Pendant que l’aviation et l’artillerie israéliennes bombardent sans discontinuer Gaza, qui compte la moitié d’enfants sur ses 2 000 000 d’habitants, la guerre de l’image a remplacé la guerre tout court. Et à ce jeu, c’est Israël qui gagne, haut la main, afin de prendre la posture de la victime absolue. Le cas des « 40 bébés décapités » à Kfar Aza, cet élément de langage qui tourne partout, ressemble comme deux gouttes d’eau au précédent des couveuses du Koweït. C’était il y a 33 ans, presque jour pour jour :
L’affaire des couveuses au Koweït désigne le scandale du faux témoignage fait le 14 octobre 1990, lors de l’invasion du Koweït par les forces armées irakiennes de Saddam Hussein, qui alléguait des atrocités commises contre des nouveau-nés koweïtiens. Le témoignage se révéla être mensonger, après avoir servi à favoriser l’entrée en guerre des Occidentaux. (Wikipédia)
Après le « pogrom », le « camp de la mort »
Aujourd’hui, tout le monde a repris, sans la vérifier, l’information des « 40 bébés décapités » à Kfar Aza, un kibboutz situé près de Gaza. Le Point, en pointe dans la propagande sioniste en France, ouvre le bal le 10 octobre 2023 :
« Quand nous avons retiré les cadavres des civils, d’enfants, j’ai pensé au général Eisenhower, après qu’il a vu les camps de la mort en Europe », observe le major général en retraite Itai Veruv, face à la presse. […]
« Il va être extrêmement difficile pour moi de vous décrire l’horreur que nous avons pu voir ces dernières minutes », abonde le journaliste Maël Benoliel de la chaîne i24News, auprès de nos confrères de BFMTV. Conduit sur place par Tsahal, l’armée de défense israélienne, le journaliste décrit des « dizaines de maisons brûlées avec des familles entières tuées à l’intérieur », dont des enfants et des bébés.
Veruv (ou Verov) termine son témoignage par un classique « ils vont payer pour cela ». On se demande même qui de la poule et de l’œuf...
Pujadas retrouve l’excitation du 11 septembre 2001
En réalité, sur place, deux journalistes sérieux, un Français et un Israélien, sont allés contre-enquêter. Dans les deux cas, on confirme que des habitants du kibboutz ont été abattus, mais on ne voit pas trace des « 40 bébés ».
Premier témoignage, celui de Samuel Forey sur Twitter, journaliste depuis 12 ans au Proche-Orient, et qui travaille pour Le Monde, Le Soir (Belgique) et Mediapart :
Mise au point : j’étais hier à Kfar Aza. Personne ne m’a parlé de décapitations, encore moins d’enfants décapités, encore moins de 40 enfants décapités.
J’ai vérifié auprès de deux services de secours (souhaitant rester anonymes, tant le sujet est sensible), qui ont collecté nombre de cadavres. Les deux affirment qu’elles n’ont pas été témoins de telles exactions – sans dire que ça n’a pas existé.
Selon cet article de @libe, un porte-parole de Tsahal a évoqué des atrocités, mais a affirmé ne pas encore « pouvoir confirmer ces décapitations dont il est beaucoup fait état ».
Je ne minimise pas les atrocités commises par les combattants du Hamas. Je les ai documentées (article à venir dans quelques minutes). Je voulais préciser que je ne peux vérifier ces décapitations d’enfants. L’avenir apportera d’autres détails.
Un passage plus personnel. J’ai couvert des guerres, des massacres et un génocide, celui des Yézidis. Ce que j’ai vu hier à Kfar Aza était terrible. Et je réalise chaque jour l’ampleur du drame, que j’essaie de documenter de la façon la plus précise possible.
Second témoignage, celui du journaliste et photographe israélien Oren Ziv, qui écrit sur Twitter :
« I’m getting a lot of question about the reports of "Hamas beheaded babies” that were published after the media tour in the village. During the tour we didn’t see any evidence of this, and the army spokesperson or commanders also didn’t mention any such incidents.
During the tour, journalists were allowed to speak to the hundreds of soldiers on site, without the supervision of the army’s spokesperson team. I24 reporter said she heard it “from soldiers”.
Soldiers I spoke with in Kfar Aza yesterday didn’t mention "beheaded babies”. The army’s spokesperson stated : “We can not confirm at this point… we are aware of the heinous acts Hamas is capable of”
This doesn’t mean that war crimes were not committed. The scene in Kfar Aza was horrific, with dozens of bodies of Israelis murdered in their homes.
Sadly, Israel will now use these false claims to escalate the bombing of Gaza, and to justify its war crimes there. »
Traduction Google rapide
« Je reçois beaucoup de questions sur les reportages sur les « bébés décapités du Hamas » qui ont été publiés après la tournée des médias dans le village. Au cours de la tournée, nous n’avons vu aucune preuve de cela, et le porte-parole ou les commandants de l’armée n’en ont pas vu non plus. Je ne mentionne pas de tels incidents.
Au cours de la tournée, les journalistes ont été autorisés à s’adresser aux centaines de soldats présents sur place, sans la supervision de l’équipe des porte-parole de l’armée. La journaliste d’I24 a déclaré qu’elle l’avait entendu « de la bouche des soldats ».
Les soldats avec lesquels j’ai parlé hier à Kfar Aza n’ont pas mentionné les "bébés décapités". Le porte-parole de l’armée a déclaré : "Nous ne pouvons pas confirmer à ce stade... nous sommes conscients des actes odieux dont le Hamas est capable".
Cela ne veut pas dire que des crimes de guerre n’ont pas été commis. La scène à Kfar Aza était horrible, avec des dizaines de corps d’Israéliens assassinés à leur domicile. »
En France, le relais entre i24news et BFM TV fonctionne à merveille, mais si l’info originelle est corrompue, la chaîne entière l’est. Nous n’allons pas ici balancer tous ceux qui ont repris ce récit, seulement quelques exemples emblématiques. Chacun jugera.
Julien Dray, avec ses fautes d’orthographe : « Kfar Azar le monde entier doit se souvenir de ce qui s’est passé dàns ce kibboutz … Ils ont été jusqu’à tue une femme enceinte te et extraire son fœtus pour le tuer .., Qui à part les nazis a fait cela . ? »
Marine Tondelier , avec son écriture inclusive : « Comment certain.e.s peuvent-ils hésiter à qualifier ce qu'il s'est passé en Israël samedi de terrorisme ? On parle d'enfants décapités. De sang froid. Une horreur rarement atteinte dans un monde moderne qui y est malheureusement trop souvent confronté. »
Inna shevchenko, la Femen qui tente un retour : « Je veux maintenant entendre les personnes qui nous ont donné des leçons sur la résistance anticoloniale du Hamas au cours des dernières 48 heures, nous expliquer comment la décapitation de 40 bébés doit être replacée dans son contexte. »
Rappel important et conclusion
L’intox des bébés du Koweït a été le prélude à une guerre occidentale impitoyable contre un seul pays. L’Iran sera-t-il le nouvel Irak ?