Nous avons déjà cité ce mot de Lénine : « Les faits sont têtus« . Plus têtus que les mensonges qui, pourtant, peuvent avoir la vie dure. C’est peut-être pour ça que le journaliste du Figaro Georges Malbrunot – dont nous avons à plusieurs reprises épinglé la partialité et la fausseté de sa couverture des événements de Syrie – vient de livrer, à propos de la lutte armée, une analyse que nous, Infosyrie, pourrions à peu de choses près, signer des deux mains.
La discorde chez l’ennemi
Qu’écrit, le 1er décembre, Malbrunot ? Que l’opposition intérieure syrienne connait une « dérive » violente, qui commet « des actes de vengeance particulièrement sanglants« . Que la contestation du régime de Bachar al-Assad se mue dans certaines régions en « affrontements confessionnels« . Qu’au sein de l’opposition institutionnelle exilée, les modérés sont en train d’être subjugués par les radicaux islamistes, politiques et militaires.
Mais Malbrunot se fait plus précis : il écrit que le courant n’est pas passé entre Burhan Ghalioun, président du CNS – structure officielle regroupant, sous l’égide turque et avec l’appui occidentale, plusieurs partis d’opposition radicale – et le colonel Ryad al-Asaad (NDLR : sa photo plus haut), chef replié en Turquie de la très médiatique Armée syrienne libre, responsable – ou revendiquant en tout cas – un certain nombre d’actions sanglantes contre les forces syriennes régulières. Ghalioun et ses collaborateurs sont en effet opposés aux attaques de l’ASL contre l’armée régulière, parce qu’ils craignent le développement d’une vraie guerre civile.
Mais, justement, et c’est là que Malbrunot semble rompre avec un certain « stalinisme atlantiste » qui caractérisait ses précédents articles, al-Asaad ne voudrait pas subordonner « son » ASL au CNS. Parce qu’il obéit à d’autres maîtres, « ceux qui tirent les ficelles » du colonel et l’ASL comme l’écrit noir sur blanc le reporter du Figaro.
Lesquels ? Les Frères musulmans syriens et le gouvernement turc. « Asaad aujourd’hui n’est qu’une couverture utilisée par les autorités turques » déclare ainsi un responsable du CNS cité par le journaliste. En fait, l’ASL est carrément contrôlée par les services de renseignements turcs. Mieux, « un agent du ministère turc des Affaires étrangères répond aux demandes d’entretien que les journalistes souhaitent réaliser avec le chef de l’ASL ». Texto !
Qui nous apprend en outre que le malheureux « colonel » Harmouche, premier chef déclaré des déserteurs, réfugié en Turquie puis rapatrié en Syrie dans des conditions demeurées obscures a probablement été livré aux services secrets syriens par le pouvoir turc pour avoir refusé de collaborer avec les frères musulmans syriens, protégés d’Erdogan.
Ces derniers ont alors pris langue avec le chef de l’ASL, le colonel al-Asaad, qui est donc devenue le bras armé des frères musulmans. Dont « l’agenda pourrait différer de celui des laïcs » écrit Malbrunot dans un magnifique understatement.
Ghalioun = Kerensky
Du coup le pauvre Ghalioun, universitaire distingué exilé depuis des lustres en France, et devenue à la tête du CNS la potiche des radicaux, évoque irrésistiblement Kerensky, cette personnalité sociale-démocrate russe modérée qui crut pouvoir, après la chute du tsar Nicolas II, ramener la révolution russe de 1917 dans les rails de la démocratie libérale, mais fut balayé en quelques mois par Lénine et ses bolchéviks.
Rappelons, entre autres, que Ghalioun a été reçu au quai d’Orsay avec force salamalecs par Alain Juppé, dont on finit par se demander s’il est un politique cynique pro-OTAN, ou un grand bourgeois ignorant des réalités politiques proche-orientales et ne marchant qu’au politiquement correct.
A vrai dire, le destin politique de Burhan Ghalioun nous importe peu. Mais cet homme, dépassé littéralement par les événements de Syrie, est en train de se rendre compte quels intérêts politiques il sert, et quelle responsabilité historique – et dramatique – est la sienne. Dans les mois – les semaines ? – qui viennent, les lignes de fractures au sein du CNS devraient devenir des précipices, et les derniers masques islamo-turcs des ASL et autres groupes armés tomber !
Mieux vaut tard que jamais, M. Malbrunot !
En résumé, l’homme du Figaro en charge du dossier syrien donne l’impression d’avoir, c’est le cas de le dire, trouvé une sorte de « Chemin de Damas« . Ce qu’il vient d’écrire, nous l’écrivons depuis des mois, sur les violences de l’opposition, son inspiration islamiste – turque, Frères musulmans, séoudienne -, sa volonté d’une révolution sanglante et son refus de tout dialogue avec le pouvoir.
Sur le fait que ce CNS, cette opposition exilée, radicale et soutenue à bout de bras par les ennemis géostratégiques de la Syrie, est un panier de crabes, l’alliance non viable de la carpe « démocrate » et du lapin islamiste. Georges Malbrunot a fini par l’écrire à son tour. A tout pêcheur miséricorde !