Il y a dans la politique des évènements relevant de plusieurs catégories. Il y a les évènements dont l’importance et la réelle portée politiques sont totalement insignifiantes mais qui occupent néanmoins, on ne sait trop pourquoi, l’espace médiatique (en fait si, on sait très bien pourquoi). Dans cette catégorie se côtoient, dans une sorte d’anarchie en réalité parfaitement organisée, les déplacements du maire de Paris à la fofolle Parade du coin et, au hasard, une énième motion de censure socialiste dont les véritables analystes savent qu’elle n’est qu’une gesticulation stérile de plus. Il y a aussi les évènements plus importants mais qui ne séduisent pas les médias, par exemple parce qu’ils n’entrent pas dans certains cadres idéologiques. De ces évènements-ci, nul ne souffle mot. On les oublie, on préfère faire comme s’ils n’existaient pas, de peur qu’ils attirent subitement l’attention des Français que l’on préfère voir occupés à nominer le prochain vainqueur de la Star Academy ; c’est moins dangereux pour le pouvoir en place et ça a le mérite de faire tourner la grosse bécane financière, religion de substitution après que nous ayons balayé certaines autres valeurs, comme la famille, la nation, la croyance en des lendemains meilleurs … bref !
Alain Soral est une sorte d’ovni politique ; l’expression n’a rien de méprisant et accepte même volontiers d’être considérée comme un compliment. Il a rejoint le parti politique qui, fait exceptionnel, réalise le coup de force d’être le plus détesté par les élites médiatiques, cultureuses et politiques, en même temps d’être celui qui, dans l’intimité des isoloirs et des repas de famille, séduit et fascine le plus. Et pas nécessairement en mal, justement. Les anciens « camarades » de Soral ont dit ne pas comprendre ce revirement, et pour se laver de tout soupçon de connivence, se sont empressés de dénoncer le pourrissement de la belle pomme rouge, devenue vieille larve brune. Etre une merde politique, un navet de la réflexion et la pire des escroqueries intellectuelles sont des tares moins graves que d’être accusés de fricoter avec la Bête immonde. Les gauchistes ex-compagnons de lutte et stars des médias ont donc lâché Soral, l’ont montré du doigt, fustigé, critiqué, insulté, bref ils se sont lamentablement baignés dans tous les jus de crasses possible pour passer, haut la main, leur Brevet de républicanisme antifasciste.
De l’adhésion au Front National d’un transfuge du Parti Communiste de la part d’un intellectuel français, évènement symbolique pourtant majeur, nous n’avons donc retenu qu’une trahison des camarades, motivée par la haine antisémite et misogyne d’un trublion dont aucun parti de gauche ne voulait de toutes façons (comme par hasard…). Circulez, il n’y a rien à voir.
Aujourd’hui, Soral quitte le Front, et explique cette décision dans un article qu’il a fait figurer sur son site Internet officiel. « Marine m’a tuer », le sous-titre de l’article, sonne la messe et à partir de là tout est dit. La politique au sens noble n’existant plus, ce départ du Front qui dans un premier temps va ravir et rassurer leurs ennemis (au Front et à Soral), va également permettre à grosso modo toute la clique médiatique pourrie d’accuser, tour à tour, 1) Soral d’avoir intégré le Front dans le but de se faire une place confortable dans le paysage politique et, après s’être vu retiré plus ou moins au dernier moment la possibilité de le faire par une direction frontiste qui lui aura préféré un autre, claque maintenant la porte, déchu et déçu. 2) D’accuser le Front d’avoir une fois de plus activé la grosse machine à purger ses rangs, en faisant partir, encore une fois, l’une de ses têtes.
C’est ce qui restera de ce départ. Car bien évidemment, qui va se donner le mal de comprendre les vraies raisons et de les expliquer sur la place publique ? Personne, bien entendu. Absolument personne.
Pourtant, il y a réellement matière à s’interroger, notamment sur l’influence en interne de Marine qui, visiblement, n’a pas eu la meilleure idée du monde en faisant prendre au Front National ce début de virage en direction du Système. A trop vouloir être comme les autres, elle a fini par se laisser prendre par l’euphorie des jeunes recrues, toujours prêtes à repousser les limites pour se prouver et se justifier. Aux yeux de certains électeurs (les plus soucieux de réellement changer les choses), le Front s’était ramolli, trop ramolli, et en fait tellement ramolli qu’il aura fallut à Sarkozy de durcir une mèche de son discours le temps de deux ou trois apparitions pour apparaître comme plus radical et plus capable de changer le Système que le Front, désormais jugé démissionnaire par ses électeurs traditionnels.
Echec total. Finalement, les Français ont préféré la copie à l’original, ce qui n’entrait pas dans les plans du vieux leader breton.
A celui qui tend un peu l’oreille il est permis d’entendre les souffles de soulagement des adversaires et ennemis du Front. « Ouf, Soral n’en est plus ! ». Il faut dire que Soral a de quoi faire peur et osons le dire tout net ; il est, et de très loin, le débatteur le plus implacable et le plus redoutable de ces vingt dernières années. L’épisode du débat annulé face à Besancenot, et les justifications grotesques avancées par ce dernier pour expliquer son refus de se retrouver en face d’un type qui allait le démolir verbalement en direct, donne des informations sur la crainte qu’il inspire à ses contradicteurs. Alors avoir un tribun de cette trempe exceptionnelle dans les rangs du Front rendait ce parti encore plus dangereux aux yeux de ceux qui, encore en 2009, feignent de voir en lui la réémergence d’Hitler et une « menace pour notre république et nos valeurs de tolérance, de respect et d’humanisme ». Jean-Marie le Pen, la crainte de tous les hommes politiques, l’homme à qui il a été impossible, pendant trente ans, de prendre le dernier mot, se retirant doucement de la vie politique, la boucle est, en quelques sortes, bouclée. Marine a le parti dans la poche, et Sarkozy a déjà presque Marine dans la poche. Je laisse chacun libre de tirer les conclusions qu’il veut.
Ce fut une belle aventure.
Max Claren