Bien des masques tombent depuis le 7 octobre 2023, et celui des antifas est un morceau de choix.
L’adoubement (en date du 24 novembre 2023) par Causeur d’un groupe antifa actif en Bavière en dit long sur la trajectoire de l’activisme d’extrême gauche ouest-européen de 1960 à nos jours :
« Dans l’univers complexe et diversifié de l’extrême gauche allemande, un groupe se distingue par un positionnement surprenant. La Königlich-Bayerische Antifa, mouvement activiste bavarois, se définit comme antifasciste, sensiblement royaliste, pro-LGBT et, de manière controversée au sein de son milieu, pro-israélien. »
Quel dessert suprême pour Élisabeth Lévy ! La chatte nationale-sioniste se pourlèche en tenant sous sa patte une souris gauchiste teutonne. Mais au-delà de ces antifas (royalistes bavarois) de carnaval, ouvertement pro-Israël, la question demeure : où sont donc les antifas dans les manifs de soutien aux martyrs de Gaza ?
Depuis Gracchus Babeuf, le combat du plus faible contre le plus fort et la révolte des oppressés contre leurs oppresseurs sont des lignes de mire de l’activisme d’extrême gauche. Depuis l’avènement de l’impérialisme américain au sortir de la Seconde Guerre mondiale, tous les communistes révolutionnaires d’Europe occidentale furent consubstantiellement propalestiniens. Aujourd’hui pourtant, en 2023, les antifas allemands de l’Antifaschistische Aktion gonflent les rangs des manifestations anti-AfD, mais sont absents des manifestations pro-palestiniennes. Ils tiennent donc la pancarte de tête dans des manifs sponsorisées par le système néolibéral qu’ils prétendent combattre, et boycottent des manifs interdites par ce même système. Va comprendre, Karl ! Pour des anti-capitalistes allemands censés marcher dans les pas de leurs aînés de la Rote Armee Fraktion, ça sent le reniement. Les anciens de la RAF mettaient, eux, de la cohérence entre leurs idées et leurs actes. Entre Israël et les Palestiniens, ils avaient choisi le camp des colonisés et le faisaient savoir par les mots et par les armes.
Chez E&R on sait bien pourquoi le martyre des Gazaouis met les antifas d’aujourd’hui face au plus inavouable de leurs reniements. Cela fait vingt ans qu’Alain Soral, lui-même passé par le Parti communiste, fait le boulot et prend les coups pour expliquer comment (et par QUI) l’extrême gauche a été détournée de ses fondamentaux idéologiques. Un décryptage sur le sofa rouge de l’arnaque SOS Racisme suffit pour piger comment la gauche anticapitaliste et anti-impérialiste issue de l’Action directe des années 70 s’est vue réduite à coups de pilpoul à une gauche seulement antifasciste. Sous la manœuvre de gens très marqués communautairement, exit la critique du capitalisme et de l’impérialisme (les deux chemins menant à Jérusalem). Ne reste plus que l’antiracisme, sur lequel la communauté en question a le monopole (Shoah oblige) et donc les pleins pouvoirs. Emballé, c’est pesé. Grâce à l’expert ès chronographes Julien Dray, on passe de la gauche au gauchisme, de Jean Jaurès à BHL, d’Action directe au Betar, et de Free Palestine à Am Yisrael Chai.
Voilà pourquoi les Antonin Bernanos et consorts sont aujourd’hui absents des manifs de solidarité avec Gaza. En fait, il est probable que ces derniers ne sachent plus à quel saint se vouer depuis le 7 Octobre dernier : entre le prof de krav-maga de leur section qui leur dit que les soldats de Tsahal sont les gentils, et papa Mélenchon parti grave en mode goy marron, ils ont de quoi être déroutés idéologiquement.
À tous ces jeunes gens, naturellement plus dotés de testostérone que de raison, nous voulons rappeler le positionnement historique de leurs ainés sur la question israélo-palestinienne ; et nous prendrons pour ce faire l’exemple des fondateurs de la Rote Armee Fraktion, dont les actions communistes révolutionnaires sont gravées de sang dans les annales de la social-démocratie allemande.
Andreas Baader, Ulrike Meinhof et Horst Mahler, sont tous les trois des enfants de la Seconde Guerre mondiale et d’une Allemagne vaincue. Alors que leur pays retrouve dans les années 60 la prospérité économique et que les Trente Glorieuses consacrent l’avènement d’une nouvelle bourgeoisie encore plus conne que celle de Bouvard et Pécuchet, ces trois jeunes idéalistes remettent la lutte des classes et la révolution prolétarienne sur le plan de travail. Ils bouffent du Hegel, du Marx, du Rosa Luxemburg et rendent visite à Georg Lukacs à Budapest. Marxistes-léninistes, ils forment des sections et manifestent à Francfort, Hambourg ou Berlin contre l’impérialisme US (guerre du Viêt Nam), pour Mossadegh en Iran, pour l’émancipation de l’Allemagne de la tutelle de l’OTAN, et décident que leur contestation passera par l’action armée. À titre de comparaison, au même moment à Paris, leur compatriote Cohn-Bendit réclame à la Sorbonne des dortoirs mixtes.
Dans son premier manifeste Das Konzept Stadtguerilla (De la guérilla urbaine), publié en avril 1971, dont le slogan « Macht kaputt, was euch kaputt macht » (Détruisez ce qui vous détruit) annonçait la couleur, Ulrike Meinhof écrit :
« Die Pflicht eines Revolutionärs ist, immer zu kämpfen, trotzdem zu kämpfen, bis zum Tod zu kämpfen – Es gibt keinen revolutionären Kampf und hat noch keinen gegeben, dessen Moral nicht diese gewesen wäre : Russland, China, Kuba, Algerien, Palästina, Vietnam. […] Von bewaffneter Propaganda werden wir nicht reden, sondern wir werden sie machen. »
Traduction : « Le devoir d’un révolutionnaire est de toujours combattre, de combattre malgré tout, et jusqu’à la mort. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu de lutte révolutionnaire sans ce mot d’ordre : Russie, Chine, Cuba, Algérie, Palestine, Vietnam. (…) Nous n’allons pas parler de propagande armée, nous allons la faire. »
Dans son manifeste suivant intitulé Die Aktion des Schwarzen Septembers in München et rédigé en novembre 1972 à la suite de la prise d’otages par la fraction palestinienne Septembre noir lors des Jeux olympiques de Munich, Meinhof enfonce le clou du positionnement de la RAF sur la question israélo-palestinienne (Achtung, c’est pas du Louis Boyard !) :
« Die Aktion des Schwarzen September hat das Wesen imperialistischer Herrschaft und des antiimperialistischen Kampfes auf eine Weise durchschaubar und erkennbar gemacht wie noch keine revolutionäre Aktion in Westdeutschland oder Westberlin (…) Die Aktion des Schwarzen September wird aus dem Gedächtnis des antiimperialistischen Kampfes nicht mehr zu verdrängen sein (…) Die Schuld am Tod der Geiseln gibt sie nicht den Geiselnehmern, sondern dem Staat Israel, der „seine Sportler verheizt [hat] wie die Nazis die Juden – Brennmaterial für die imperialistische Ausrottungspolitik. »
« L’action de Septembre noir a plus fait pour mettre en lumière la domination impériale et la résistance anti-impérialiste que n’importe quelle action révolutionnaire en RFA ou a Berlin-Ouest (…) Cette action demeurera à jamais dans les mémoires du combat anti-impérialiste (…) La faute relative à la mort des otages ne revient pas aux preneurs d’otages, mais à l’État d’Israël, qui a fait mourir ses athlètes comme les nazis l’avaient fait des juifs, soit en les considérant comme un combustible prompt à servir une politique impérialiste d’extermination. »
Poursuivant son concours de saut en longueur en deçà du point Godwin, Ulrike Meinhof prolonge sa comparaison entre l’Allemagne de 1942 et l’Israël de 1972, en parlant du « nazisme d’Israël » et du « fascisme de Moshe Dayan, ce Himmler israélien ». Certes le concept de Herrenrasse (race supérieure) avait vécu 12 ans alors que celui de peuple élu existait depuis 2 500 ans, mais qu’importe. À l’époque de la RAF, les activistes de gauche n’avaient manifestement pas peur de se faire traiter d’antisémites, et au moment de la guerre du Kippour cela donnait à leur anti-impérialisme une certaine cohérence. Meinhof, Dutschke et Mahler, pourtant nés sous le national-socialisme, ne faisaient pas du deux poids, deux mesures, et désignaient nommément l’extrême droite suprémaciste où qu’elle soit, même en Israël. Ni Herrenrasse ni peuple élu.
Tout au long des années 70, les cadres de la RAF, des Brigades rouges ou d’Action directe (dont se réclament nos antifas actuels) iront se former aux techniques de guérilla urbaine auprès de la branche armée du Fatah palestinien ou de l’OLP, en Jordanie principalement. Le positionnement propalestinien et antisioniste de l’extrême gauche ouest-européenne à cette époque n’a donc jamais été sujet à débat. Entre les chars Merkava de Tsahal et les lance-pierres de l’Intifada, les communistes révolutionnaires avaient choisi leur camp.
Aussi nous répétons de manière faussement candide notre question : Gaza 2023, où sont donc les antifas ? Où êtes-vous, les gars ? Quid de la défense des opprimés face à des colonisateurs d’extrême droite suprémacistes ? Est-ce le rayon shoatique qui continue à vous paralyser ? Méluche vient pourtant de sauter le pas et de s’échapper de la plantation ! Les vidéos de soldats de Tsahal urinant sur des cadavres d’adolescents gazaouis ou faisant exploser des habitations ne vous suffisent toujours pas à piger combien Julien Dray vous l’a mise profond jadis, quand il se présentait à vous comme le champion de l’antiracisme ? Figurez-vous que depuis le 7 Octobre, Julien prétend que l’Hébreu qui sommeillait en lui s’est réveillé. Il vous ment une fois de plus : le sioniste en lui n’avait jamais fait dodo.
L’activisme d’extrême gauche est un positionnement compréhensible quand on a vingt ans. On dit qu’un homme qui n’est pas communiste à vingt ans est un homme sans cœur et qu’un homme qui est toujours communiste à quarante ans est un homme sans cervelle. Entre ces deux âges se tient le temps de la découverte du travail productif, de la fondation d’une famille et de l’élévation de l’esprit par la lecture. Ces choses-là vous ancrent, elles structurent votre esprit critique, elles vous permettent de trier le bon grain de l’ivraie et de démasquer les faux hommes de gauche.
Antifas, vos héros des organisations communistes révolutionnaires des années 70 lisaient des livres. Certes leur passage par la case prison leur conférait pour certains ce loisir. Quand, en 1972, Horst Mahler est condamné à 17 ans de prison pour braquages et terrorisme, son avocat Otto Schily (qui deviendra plus tard ministre de l’Intérieur du gouvernement Schröder) lui remet la Gesamtausgabe (les œuvres complètes) de Hegel. Au sortir de prison et de cette immersion dans le matérialisme dialectique (et probablement d’autres lectures), Horst Mahler aura fait évoluer sa compréhension du monde. On vous le donne en mille ? Il ne suivra pas le chemin d’un Jean-Marc Rouillan, mais celui d’un certain professeur privilégiant l’humble recherche de l’exactitude à la quête de la vérité.
Finissons cet appel au réveil des consciences et au soutien à la résistance palestinienne en citant Rudi Dutschke. En franchissant la distance de vingt à quarante bougies, il dira :
« Je suis un socialiste construit sur une tradition chrétienne, et j’en suis fier (…) Il s’agit avant tout de ne pas perdre l’amour et l’espoir en des temps meilleurs (…) Le christianisme est l’expression même des espoirs et des rêves de l’humanité ».
Main ferme, mais main tendue, les gars !