D’un certain point de vue européen, les révolutions arabes signent incontestablement l’acte de décès de la politique migratoire de l’Union européenne et Marine Le Pen n’a pas tort de fustiger lucidement, en France comme sur le sol de l’île de Lampedusa, la terrible impuissance de Bruxelles à endiguer à ses frontières une pression migratoire plus que jamais grandissante.
Aujourd’hui en première ligne, l’Italie fait chaque jour l’amère expérience de cette crise migratoire sans précédent, comme le fit voici peu une Espagne alors aux prises aux exodes maritimes de migrants surgissant massivement des côtes du Sénégal ou de Mauritanie.
A Lampedusa « 15.000 immigrés ont afflué depuis le début de l’année contre 25 en 2010 » (Le Figaro, 25 mars 2011) et Roberto Maroni, ministre italien de l’Intérieur, évalue à 50.000 le nombre potentiel de candidats tunisiens à une expatriation dont l’Italie voudrait ne pas être la seule à supporter le fardeau, au nom de la solidarité entre les Etats de l’Union européenne : la situation est devenue à ce point incontrôlable que le gouvernement italien « menace de délivrer 50.000 visas Schengen aux Tunisiens de Lampedusa. Avec la certitude qu’ils n’auront qu’une destination en tête : la France » (Le Figaro, 25 mars 2011).
Alors qu’elle s’attend pareillement à affronter un afflux migratoire considérable en provenance des pays du Maghreb, la Grèce peine toujours, de son côté, à endiguer les dizaines de milliers d’immigrants, en provenance d’Afghanistan, du Pakistan ou de Somalie, qui franchissent illégalement ces derniers mois le fleuve Evros la séparant de la Turquie.
Vue de Paris, la situation est jugée des plus préoccupantes car, de l’aveu de Dominique Paillé, président de l’Office français de l’immigration, les pays d’Afrique du Nord « ne sont plus en mesure de contenir l’immigration subsaharienne comme ils le faisaient par le passé » (Le Figaro, le 24 mars 20011), depuis que l’effondrement des forces de l’ordre en Tunisie, en Egypte ou en Lybie, a permis au trafic de clandestins de se structurer et de s’intensifier sans entraves.
Du coup, les chancelleries européennes sont prises d’un vent de panique et deviennent le théâtre de grandes manœuvres diplomatiques : après avoir rencontré Alfredo Perez Rubalcaba, ministre espagnol de l’Intérieur, le 23 mars 2011, lors d’une tournée qui l’amènera à rendre prochainement visite à son homologue italien, Claude Guéant en « appelle au renforcement des moyens des pays les plus exposés aux flux migratoires » (Le Figaro, le 24 mars 2011).
Avec en toile de fond le poids d’arrière-pensées électorales évidentes, la lutte contre l’immigration illégale, aux effets domestiques si dévastateurs pour la sauvegarde de l’identité française, est devenue pour le gouvernement français une priorité politique absolue. Sur la scène intérieure, le nouvel hôte de la place Beauvau n’a-t-il pas réservé symboliquement son premier déplacement ministériel, le 15 mars 2011, à l’inspection de la frontière franco-italienne, toujours si peu hermétique, pour évaluer l’efficacité des dispositifs de contrôle de l’immigration clandestine, au poste frontière de Menton puis au Centre de coopération policière et douanière (CCPD) de Vintimille ?
Pour beaucoup, cette prétention du gouvernement français à vouloir peser efficacement sur un phénomène migratoire de moins en moins contrôlable est vouée inévitablement à l’échec, singulièrement depuis que la France a perdu ces dernières années, avec la complicité active de ses oligarchies, de droite comme de gauche, sa pleine capacité régalienne à maîtriser souverainement ses frontières, au profit d’une lointaine puissance bruxelloise, autoritaire et sans âme.
Au fil des décennies, prenant soin, sur cette question comme sur beaucoup d’autres, de tenir soigneusement en lisière du pouvoir les peuples de notre continent, l’Union européenne s’est dotée progressivement d’une politique commune d’asile et d’immigration, en application du principe de libre circulation des personnes gravé dans le marbre des traités européens.
Selon une logique d’intégration toujours plus poussée des Etats, le traité de Lisbonne a renforcé tant et plus cette politique supranationale, exercée en commun par l’Union et les États membres, en dotant les institutions européennes d’un système de gestion des frontières placées sous la surveillance d’une agence, « Frontex », non sans simplifier en la matière les décisions prises dorénavant à la majorité qualifiée par le Conseil des ministres en « codécision » avec le Parlement européen.
Conséquence mécanique de cette irrésistible dépossession des prérogatives séculaires de notre pays : l’incapacité juridique pour la France à définir seule sa politique migratoire et à l’appliquer à l’intérieur de ses frontières comme bon lui semble.
Parmi maints exemples récents de cette impotence d’Etat, citons l’impossibilité pour la France de pouvoir procéder dorénavant à l’expulsion des étrangers en situation irrégulière selon son droit propre, depuis l’avis rendu le 21 mars 2011 par le Conseil d’Etat qui invalide sur ce point la règlementation française, au profit d’une directive européenne moins répressive en la matière, dite « directive retour ».
Point de départ d’une nébuleuse affaire qui, depuis lors, agite passablement les couloirs des préfectures : le 16 décembre 2008, le Parlement européen avait adopté cette directive retour qui réglemente en pratique les conditions du rapatriement des étrangers clandestins vers leurs pays d’origine ou vers un autre pays de l’Union européenne, notamment en leur offrant un délai de sept à trente jours, que le droit français ne leur accordait pas jusqu’à présent, pour quitter « volontairement » le pays dans lequel ils ont été interpellés en situation irrégulière.
Cette norme européenne, plus favorable que la législation française, devait être transposée au sein des Etats de l’Union avant le 24 décembre 2010, ce que le Parlement français n’a pas été en mesure de réaliser à cette date. Dans l’attente de sa transposition dans notre législation, qui ne sera pas effective avant la fin du premier semestre 2011, les Sages du Palais-Royal ont donc considéré, dans cet avis opposable aux juridictions administratives françaises, que la directive retour était directement applicable en droit français et que les étrangers en situation irrégulière pouvaient donc immédiatement s’en prévaloir pour échapper à leurs expulsions.
S’appuyant par anticipation sur cette interprétation juridique, que le principe contraignant de primauté du droit européen sur le droit des Etats rendait malheureusement inévitable, les tribunaux administratifs aussi bien que les Juges des libertés et de la Détention ont ainsi annulé partout en France, depuis le début de l’année 2011, des centaines d’autorisations préfectorales de reconduites à la frontière !
Cette faille juridique qui mine tant le système français des expulsions, les pouvoirs publics s’appliquent pour l’heure à en trouver discrètement la parade, dans la plus grande précipitation toutefois : les préfets sont à présent invités par la place Beauvau à notifier au clandestin, placé en garde à vue, son droit de retourner librement dans son pays d’origine, par ses propres moyens, pendant une durée de sept à trente jours. En d’autre termes, les Préfets ne seront plus fondés en droit à procéder immédiatement à la reconduite à la frontière des 40.000 à 60.000 étrangers interpellés chaque année en situation irrégulière, le plus souvent à l’occasion de contrôles d’identité inopinés, laissant ainsi aux intéressés un mois de liberté pour se réfugier aussitôt dans la clandestinité, en toute impunité…
Chacun voit bien que notre pays est enfermé désormais dans un épouvantable carcan européen qui le prend littéralement en tenaille : dans l’incapacité de dire et d’appliquer librement le droit qui doit être le sien, en fonction d’intérêts propres dont elle se doit d’être le seul juge, la France ne peut pour autant s’en remettre avec confiance à des autorités européennes qui ont fait preuve de longue date, en matière de gestion des flux migratoires, d’un laxisme frappé du sceau d’un dessein idéologique, celui qui voudrait au fond imposer sournoisement aux peuples européens, sans autrement recueillir leurs consentements, une nouvelle donne migratoire mondiale qui imposerait, au diapason de l’Histoire, l’ouverture programmée des frontières de notre continent.
Comme en écho au célèbre roman de Jean Raspail, Le Camps des Saints (1973) qui décrivait, dans une étonnante vision prophétique, le débarquement sur la Côte d’Azur d’un million de réfugiés indiens, le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, dit craindre un « exode biblique » de migrants venus de Libye, en cas de renversement du régime de Mouammar Kadhafi, allant même jusqu’à évoquer « une vague de 200.000 à 300.000 immigrés » (Corriere della Sera, 23 février 2011).
L’histoire de l’Humanité nous enseigne qu’il n’existe aucun déterminisme à redouter par principe et que la fiction peut fort heureusement ne pas devenir réalité. Assurément, il n’est jamais trop tard pour réagir, dans un sursaut vital, dès lors que l’on ne se trompe pas d’objectif stratégique. Celui-ci tient, en définitive, pour nos compatriotes, en quelques mots essentiels : restaurer partout l’entière capacité de la France à conduire effectivement une politique indépendante, conforme à ses intérêts autant qu’à ceux de son peuple, à l’intérieur comme hors de ses frontières souveraines. Dans la volonté salutaire des peuples à ne pas laisser leur échapper la maîtrise de leurs destins, quoi de plus urgent pour la France que d’œuvrer prioritairement à son émancipation résolue de la tutelle bruxelloise, si castratrice, en se débarrassant ainsi définitivement des fers qui l’enchainent implacablement à l’Union européenne.