Faïza (son prénom a été changé) ne veut pas rencontrer une journaliste près de chez elle, de peur d’être vue avec. Elle donne rendez-vous à sept stations de sa cité HLM de l’est de Paris. Au café, elle choisit une table isolée, près de la fenêtre et s’enfonce dans un fauteuil club si grand qu’elle disparaît.
Elle ne souhaite pas que son foulard apparaisse sur la photo, de peur que des gens reconnaissent sa couleur, un peu particulière c’est vrai.
Pendant notre conversation, elle demande, de temps en temps, en riant nerveusement, de lui poser des questions moins fort. Faïza, 54 ans, chuchote ses convictions politiques. Française d’origine algérienne, musulmane, voilée, elle admire Marine Le Pen et l’appelle par son prénom.
« J’ai eu une éducation à l’américaine »
Si Faïza vote Marine Le Pen, c’est, selon elle, parce qu’elle a hérité de son père d’une grande liberté de pensée.
Son père était un original dont elle aimerait écrire la biographie. Il a passé son adolescence en Allemagne, avant de s’installer en France. Il a failli épouser une Germanique. Faïza est fière de cette folie. Il a finalement épousé sa mère, algérienne, avec laquelle il a eu neuf enfants.
Elle dit qu’elle a eu « une éducation à l’américaine » qui l’a poussée à penser par elle-même et contre les autres :
« Mon père m’a aussi appris à entrer dans des cafés, et discuter comme on le fait en ce moment. »
Faïza regarde les documentaires sur Elvis et la route 66 avec fascination. Elle rêve d’aller au Texas : elle mettrait « un foulard coloré » qui passerait pour un accessoire folklo, pour ne pas choquer les locaux.
« Nous, on est racistes envers les Noirs »
Toute leur vie, ses parents ont fait des allers et retours entre la France et l’Algérie, puis ils sont rentrés « au bled » définitivement en 1966.
Faïza est née en France. Elle a demandé ses papiers français il y a seulement deux ans. Mais elle se sent française avant d’être algérienne :
« Quand je marche dans mon quartier, je sens les arrivages d’immigrés, je les entends parler arabe. Ils arrivent et on leur donne tout, un logement et des aides, je ne suis pas d’accord. Nous, les anciens, on se plaint parce qu’ils ne nous ressemblent pas. Je suis française. Mes enfants sont nés en France. Il faut s’occuper d’eux d’abord. »
Faïza essaye de convaincre son entourage proche de voter Marine Le Pen :
« Je leur rappelle que nous, en Algérie, on est racistes envers les Noirs et les Chinois par exemple. On ne supporterait pas qu’ils profitent de notre pays. Pourtant, on ne voit pas le problème à venir en France, il faut pas charrier. »
Elle tient à préciser que son premier mari venait d’Afrique subsaharienne.
« Les gens de chez nous nous font honte »
Les jeunes Franco-Algériens de son quartier l’agacent aussi.
Ils n’ont plus de valeurs. Ils traînent dehors toute la journée. Ils profitent du RSA et des allocations. Plus tard, « quand ils sont obligés », ils cherchent un petit boulot de caissier ou « tirent des palettes », pour gagner leur vie :
« Les Indiens et les Chinois, ils bossent, mais les gens de chez nous, ils nous font honte. Les Blancs nous mettent tous dans le même sac, alors que moi, tous mes amis sont des intellectuels, je suis la seule à ne pas en être une. »
Faïza se réjouit d’avoir eu cinq filles douées pour les études (sauf la dernière qui refuse d’aller à l’école). « Avec les garçons, on n’a que des problèmes, c’est la cata. »
Elle méprise aussi les hommes adultes de sa cité qui « exploitent les femmes et profitent de tout » :
« Vous savez ce qu’ils font les hommes maintenant ? Ils attendent d’obtenir la nationalité française, puis ils repartent vivre au bled. C’est ce qu’a fait mon [deuxième] mari. Il nous délaisse complètement. Il m’a pris ma vie et il est parti. Je pense le dénoncer, il ne mérite pas la nationalité. »
« Moi, Marine me garderait »
Selon elle, une fois au pouvoir, Marine Le Pen fera un vrai tri :
« Elle jugera au cas par cas. Elle renverra tous les profiteurs dans leur pays, mon mari inclus. C’est pour ça que plein de gens qui ne sont pas de souche ont peur, ils flippent d’être renvoyés. A eux, on ne peut pas dire qu’on aime Marine Le Pen. »
Et elle, le FN la garderait, alors qu’elle ne travaille que par intermittence (en ce moment deux heures par jour, en tant qu’assistante maternelle) ?
« Moi, il m’est arrivée de toucher le RSA, mais je ne suis pas une délinquante. Et puis, ce n’est pas déshonorant pour une femme de rester chez soi et d’élever ses enfants. J’ai du mal à travailler en collectivité, je trouve les gens jaloux et ingrats. Je suis certaine que Marine me garderait. »
Les prières de rue, « une provocation »
Faïza a décidé de porter le foulard il y a un an et demi. Avant, elle n’était pas prête. Elle fait ses prières, mange halal et fait le ramadan.
Elle n’est jamais allée à un meeting politique, mais écoute souvent Jean-Jacques Bourdin (« Je l’adore »).
Elle ne sait pas trop ce que Marine Le Pen ou ses collaborateurs disent de l’islam (que c’est une religion englobante incompatible avec nos valeurs ou que l’immigration musulmane altère notre culture, par exemple).
Elle ne sait rien du discours de Nantes, au cours duquel la présidente du FN a joué sur les amalgames : Mohamed Merah n’est pas une exception, la France est menacée par l’islam radical, il faut fermer les frontières.
Elle va voter pour le FN aux législatives, c’est prévu, mais elle ne connaît pas le nom du candidat de sa circonscription. Elle dit : « Je vais voter Marine. »
Elle se fiche des attaques de Marine Le Pen sur la viande halal et de ses affabulations, de ses mensonges et ses approximations à propos de l’abattage rituel :
« Elle est très intelligente, cela m’étonnerait qu’elle l’interdise. De toute façon, c’est secondaire. Ce qui compte, c’est que mes filles trouvent du boulot par exemple. Si Hollande ne leur permet pas de trouver du travail à elles et aux autres jeunes, c’est Marine Le Pen qui passera la prochaine fois. »
Elle approuve la présidente du Front national concernant les prières de rue :
« Je pense que ces prières rue Myrha, que Dieu me pardonne, mais c’était à 50% pour embêter les Français, c’est une provocation. »