Les révoltes dans les pays arabes ont perturbé la production pétrolière. Il est temps pour les économies occidentales de réfléchir à des solutions pour leur approvisionnement énergétique.
Les troubles en Egypte et la menace de fermeture du canal de Suez avaient effrayé les marchés pétroliers. Aujourd’hui, le soulèvement populaire et les affrontements en Libye, qui représente environ 2 % de la production mondiale, créent de nouvelles inquiétudes. Alors que le cours du baril dépasse les cent dollars, le monde doit se préparer à une plus grande volatilité du prix du pétrole - voire à une vraie crise, si jamais la production devait se trouver perturbée en Arabie saoudite aussi, ou ailleurs.
Dans pareille situation, militants et acteurs politiques s’empressent de brandir leurs réponses habituelles, les uns appelant à un accroissement de la production nationale, les autres à des énergies de substitution. Pourtant, ni la première solution ni la deuxième ne peut faire la différence. Les énergies alternatives ont certes du potentiel, mais il faudra des décennies avant qu’elles ne soient exploitables à pareille échelle. L’augmentation de la production intérieure est une hypothèse moins prometteuse encore : une hausse de l’offre ne mettra pas les consommateurs à l’abri des grandes fluctuations des cours mondiaux et ne permet qu’une lente augmentation de la production. Ces deux solutions ne sont certes pas inintéressantes, mais nous avons aussi besoin d’initiatives pour gérer la crise, maintenant.
Cela doit commencer par une gestion cohérente des réserves pétrolières stratégiques. Ces dernières peuvent en effet servir à amortir les convulsions mondiales : si l’offre diminue, ou si les routes d’acheminement sont perturbées, on y puise pour calmer les marchés mondiaux. Reste qu’il est difficile de déterminer dans quelles circonstances un recours à ces réserves se justifie. La situation actuelle ne l’impose pas, même si le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a tenu à rassurer les marchés en précisant que ces stocks étaient mobilisables si besoin était. Si les troubles gagnent l’Arabie saoudite, ce recours serait pertinent. En attendant, la politique en cas de perturbations plus modestes reste bien floue.
Une chute de la production saoudienne, par exemple, constituerait un choc considérable pour les marchés. Le risque de contagion à ce pays a beau être très faible, il faut tenir compte de toutes les probabilités, aussi limitées soient-elles, quand les conséquences peuvent être graves. Alors que l’agitation perdure au Bahreïn, les risques de voir les troubles s’étendre dans le royaume désertique voisin augmentent. Mais que se passerait-il si, après un arrêt de la production en Libye, venait le tour de l’Algérie, qui produit environ deux millions de barils par jour ? Pour éviter toute panique prématurée des marchés, l’AIE doit préciser où se situe à ses yeux le point de rupture.
Les pays consommateurs de pétrole et plus riches doivent par ailleurs redoubler d’efforts pour intégrer la Chine et l’Inde dans un nouveau système mondial qui permette de coordonner le déblocage de réserves. Puisque les stocks de chaque pays, pris isolément, ne peuvent pas grand-chose pour atténuer les fluctuations des prix, les Occidentaux (via l’OCDE) coordonnent de leur côté le déblocage par l’intermédiaire de l’AIE. Mais lorsqu’il s’agit de la demande de pétrole de l’Asie, la responsabilité de la réaction aux chocs doit incomber à l’Asie. Or personne ne sait exactement comment les autorités chinoises, en particulier, réagiront aux révolutions en cours au Moyen-Orient. Leur réaction à une hausse notable des prix, et non à une perturbation concrète des livraisons à la Chine, demeure aussi peu prévisible.
Les efforts menés pour intégrer la Chine et l’Inde restent pour l’heure vains, notamment parce qu’aucun de ces deux pays n’est membre de l’OCDE. Pour participer, ils devraient, tous deux, faire preuve d’une plus grande transparence sur leurs propres marchés pétroliers. En attendant, il importe de mettre sur pied un nouveau système de coordination reposant sur des règles fondamentales de constitution et de déblocage des stocks qui recueillent un large consensus, éventuellement sous l’égide du G20. La gestion des stocks doit être détachée des exigences de transparence, auxquelles la Chine est opposée.
Un nouvel encadrement de la spéculation sur les marchés pétroliers s’impose par ailleurs. Le G20 s’emploie actuellement à réviser la réglementation suite à la flambée des cours de 2008, qui avait vu le baril franchir la barre des 147 dollars. Cependant, cette envolée était alors due à des facteurs économiques (notamment la hausse spectaculaire de la demande chinoise), non à un choc géopolitique. Et logiquement, les solutions proposées s’appliquent à une crise du même genre.
Or la spéculation, en cas de perturbations de la production en Arabie saoudite ou en Irak, pourrait être d’une autre nature. Les spéculateurs réagiraient alors à des changements politiques imprévisibles, et non à des évolutions économiques progressives. Si la spéculation est généralement un phénomène sain, ces agissements risqueraient dans un tel contexte d’aggraver la volatilité au moment même où les traders achètent frénétiquement du pétrole. Il serait sage d’envisager de nouvelles restrictions exceptionnelles de la spéculation à appliquer dans les moments de forte tension géopolitique, et si nécessaire, de s’y préparer.
Aucune de ces mesures ne dispense d’une transformation à long terme de l’économie mondiale des énergies. Cependant, cette réflexion plus large ne doit pas non plus écarter des mesures à court terme pour gérer les problèmes du moment. Nous ignorons comment notre économie récemment mondialisée réagira à un choc pétrolier aigu et de nature géopolitique. Mais nous avons intérêt à nous y préparer si nous ne voulons pas le découvrir à nos dépens.