L’Espagne est une grande puissance du chômage. Son armée de 5.273.600 chômeurs, chiffre record historique révélé vendredi par l’Institut national de la statistique, est de loin la plus imposante de l’Union européenne (UE), tant en nombre absolu qu’en pourcentage de la population active (22,85%). Mobiliser cette mégaforce latente assombrirait en Espagne et peut-être aussi en Europe la joyeuse fête du démantèlement social célébrée en honneur ou sous prétexte de la crise.
Tant au sud qu’au nord des Pyrénées, les syndicats défendent ceux qui ont un boulot, mais non ou moins ceux qui n’en ont pas. La plus formidable armée jamais vue en Espagne, quasi 5,3 millions d’hommes et de femmes, n’a donc ni chef ni stratège. Fin 2012, au terme d’une année entière de nouvelle récession prévue par les Bas-Fonds monétaires internationaux, les chômeurs du royaume ibérique seront sans doute six millions. Ceux qui les rassembleraient pour submerger pacifiquement l’une ou l’autre Bastille s’érigeraient en interlocuteurs redoutés de Madrid et du patronat, voire de l’UE et d’autres cabarets supranationaux.
Chimère ? Peut-être, mais comme Spartacus et les esclaves, comme Nicolas Sarkozy après la prochaine présidentielle, des légions d’Espagnols n’ont déjà que peu ou plus rien à perdre. Dans leur pays, le nombre de foyers dont tous les membres sont au chômage atteint 1,575 million. Pour impossibilité de paiement de loyer ou d’hypothèque, plus de 300.000 familles ont été délogées ces trois dernières années et 1,5 million d’ordres d’expulsion sont en attente d’exécution. Parmi les jeunes de moins de 25 ans, le taux de chômage explose à près de 50%. Et sur les 5,3 millions de sans-emploi, au moins 1,5 million ne sont pas indemnisés. Plus d’un million d’autres ne perçoivent qu’une obole temporaire de survie de 450 euros mensuels.
La Banque d’Espagne, l’Union européenne, le FMI, la walkyrie Angela Merkel et les agences de notation financière pressent l’Espagne de réformer son marché du travail, jugé trop rigide, afin de freiner le chômage galopant. En clair, il faudrait faciliter davantage les licenciements et réduire à nouveau les salaires pour favoriser l’embauche. Le tout sur fond de hausses d’impôts et de rigueur budgétaire qui dépriment davantage l’économie et débouchent en conséquence, dans un parfait cercle vicieux, sur un nouvel alourdissement de la fiscalité et de l’austérité.
"C’est comme soumettre un malade anémique à une cure d’amaigrissement" note le socialiste Alfredo Perez Rubalcaba. Il appuya pourtant la même politique lorsqu’il était vice-président du gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero.
Comme M. Zapatero, son successeur conservateur Mariano Rajoy, vainqueur à la majorité absolue des législatives du 20 novembre dernier, vide les poches de la classe moyenne sans exposer jusqu’à présent la moindre mesure de relance. De quoi donner raison au Mouvement des Indignés, qui accuse tant les socialistes que le Parti Populaire (PP) de M. Rajoy de considérer les Espagnols comme "des marchandises aux mains de politiciens et de banquiers".
Quoique suivi du triomphe électoral du PP, un sondage estimait en octobre dernier à 73% la proportion d’Espagnols soutenant les idées des Indignés. Les plus éclairés d’entre eux, dont plusieurs professeurs d’université, tenteront-ils de mener pacifiquement, par la résistance et la désobéissance civiles, l’irrésistible armée des chômeurs contre les bastilles des ogres Picsou ?
Peut-être est-ce rêver, mais après tout, en Espagne et dans le reste de l’Europe, ni Angela ni Nicolas et moins encore Mariano n’ont réussi jusqu’à présent à nous faire croire, même en allumant des cierges à l’euro, que le père Noël n’existe plus.