Entretien de Camel Bechikh, président de Fils de France, avec le journal La plume de l’est.
Plume de l’est – Tout d’abord, merci d’avoir accepté de nous accorder un peu de votre temps pour répondre à nos questions. Pouvez-vous nous parler de Fils de France, quels sont les objectifs de cette association ?
Camel Bechikh - La première ambition de Fils de France est de proposer aux français de confession musulmane une perception de la France qui soit plus équilibrée. Je m’explique. Le regard que portent nos coreligionnaires sur leur pays est souvent limité aux Croisades, à la Colonisation, aux conditions d’accueil des primo-migrants. Toutes ces parties de l’Histoire de France sont bien réelles, mais fortement imprégnées d’un regard passionnel qui donne à la France un rôle ontologiquement malfaisant dans l’Histoire du monde. À Fils de France, nous souhaitons que le regard sur cette Histoire soit dépassionné afin que l’ensemble soit envisagé, des heures les plus sombres aux plus lumineuses.
De plus, la spiritualité musulmane épouse la diversité des cultures qu’elle rencontre. Les musulmans maliens doivent être fiers de l’immense richesse des cultures maliennes, de même pour les musulmans des Balkans, du Yémen ou de Chine… Selon cette logique les musulmans de France devraient être fiers de l’immensité culturelle qu’a produit la France à travers ses Arts, ses Lettres, la diversité de ses traditions régionales.
Nous constatons à Fils de France que nombre de musulmans français éprouvent un véritable amour pour leur pays, leur région, leur ville, mais que le poids de l’histoire des épisodes ci-dessus cités interdit de s’avouer ce sentiment au risque de passer pour un félon à sa foi, ses origines. Nous sommes là en plein dans le regard émotionnel, compréhensible certes, mais qui doit être dépassé.
L’intégration des musulmans d’origine étrangère doit se faire, selon vous, par le biais du processus d’acculturation. Ainsi, le musulman doit se construire à partir de la culture française mais n’y a-t-il pas un risque de se trouver confronté en contradiction avec le culte musulman ?
Votre question est très pertinente mais, 14 siècles après l’avènement de l’islam, force est de constater que cette religion s’est adaptée aux cultures des plus diverses de l’Afrique de l’ouest en passant par la péninsule arabique jusqu’aux confins de l’Océan pacifique. Pourquoi diable spéculer sur un échec en France ?
Certes, si les musulmans demeurent dans une posture identitaire et victimaire, c’est plutôt mal parti, mais si les musulmans prennent conscience de la plasticité de l’islam, alors il n’y aura aucune difficulté.
Concernant la culture française, il n’y a pas d’antinomie probante. S’agissant d’une pendaison de crémaillère, de la célébration du 14 juillet, ou de l’ouverture de la chasse en automne…
Tous ces événements ne sont en rien contradictoires avec le culte. Dans la très musulmane Égypte, on célèbre en chœur, chrétiens et musulmans, la fête de Cham el-Nessim qui date de l’époque pharaonique, en lran, pareillement, est encore célébrée comme fête nationale le Norouz qui trouve ses racines dans la Perse zoroastrienne, aucun théologien sunnite dAl-Azhar ou chiite de Qum ne trouverait à s’opposer à ces célébrations inscrites dans l’ADN culturel.
En résumé, beaucoup de musulmans français portent un regard d’opposition à la culture française car beaucoup la considère comme « étrangère » mais ce n’est qu’une question de rationalité et de temps…donc d’acculturation.
Votre point de vue par rapport à l’immigration semble rude pour un enfant d’immigré… Pouvez-vous nous en dire plus ?
Certes, le fait qu’un musulman issu de l’immigration évoque l’idée que doivent cesser les vagues migratoires peut sembler surprenant. J’en conviens. Mais soyons honnête, hormis quelques mondialistes acharnés ou encore quelques gentils artistes – habitants tous dans les beaux quartiers - qui vous dira que l’immigration est encore « une chance » pour la France ? ll est clair qu’en France le seuil a largement été atteint et même dépassé. La « machine » républicaine est saturée. Pas assez de travail, pas assez de logement, une école publique ne répondant plus à sa mission de transmission des savoirs, de la citoyenneté.
Enfin, l’émigration est le pire ennemi du développement du fait d’une jeunesse n’ayant d’yeux que pour la fuite vers le Nord. À qui la faute ? À la colonisation diront les uns, au néolibéralisme diront les autres, à l’incompétence des dirigeants et leur corruption. Peut-être que ces trois raisons ont une part de vrai mais il me semble évident que ce n’est pas aux plus défavorisés dans notre pays d’en subir les conséquences, qu’ils soient nouveaux français de souche ou résidents.
Enfin, pour en terminer avec une certaine hypocrisie, chacun de ceux et celles qui liront ces lignes pourront témoigner qu’ils sont à l’affût de logements, d’écoles et même de loisirs loin des concentrations migratoires.
On vous reproche souvent d’avoir un patriotisme trop exagéré. Qu’est-ce qui différencie votre ligne intellectuelle de celle du front National et de I’UMP mis à part le fait d’être d’identité musulmane ?
L’idée que le patriotisme soit une valeur de droite voire d’extrême-droite est une aberration. Le patriotisme transcende les appartenances politiques, la confession ou la race, tout au moins dans sa conception française. L’amour de son pays est un sentiment naturel à condition d’un petit peu le connaître. Je crois intimement que connaître la France c’est l’aimer. Son Histoire, la variété de sa géographie, sa langue… produit un attachement qui, dans un contexte de mondialisation, donne envie d’être préservé. Je préfère les belles pierres de Bordeaux, les colombages de Strasbourg, la brique rouge de Lille à la froideur des buildings d’une ville américaine. Je préfère le Bœuf Bourguignon aux Hamburgers et le béret à la casquette…
Je trouve que l’aventure humaine est belle dans sa diversité et que la destruction organisée des cultures est un crime contre l’Humanité. Les quelques fois où je suis allé à La Mecque, j’ai été à chaque fois bouleversé par la beauté de cette diversité humaine. Donc, non, mille fois non ! L’amour de son pays n’est pas la propriété exclusive de l’UMP ou de FN.
Si votre association continue d’avoir de l’influence, envisagerez-vous d’entrer en politique ?
Le succès de Fils de France n’est dû qu’au fait que les idées que nous défendons sont attendues par beaucoup de musulmans français, jeunes ou moins jeunes. Je suis très ému lorsque l’on vient me dire que Fils de France a révélé un amour de la France refoulé et qu’enfin pouvoir assumer cet attachement au pays était libérateur.
Pour revenir à votre question.
Non.
Un conseil aux jeunes français d’origine étrangère ?
Organisez votre « devoir de mémoire » individuel, familial par la discussion avec vos parents, vos grands-parents. Tentez de connaître I’histoire des lieux où ils ont vécu, car savoir d’où l’on vient facilite le fait de savoir où l’on va.
L’amour de la France n’est pas le déni de son passé, tout au contraire. Prenez le temps de comprendre comment l’islam intègre les cultures locales, jusque dans sa jurisprudence. Enfin, prenez le temps de redécouvrir la France.