Alain Chevalérias est l’animateur du site recherches-sur-le-terrorisme.com qui publie très régulièrement des analyses sur les terrorismes mais aussi des informations sur l’actualité internationale et la géopolitique. Journaliste professionnel, auteur de plusieurs ouvrages sur Ben Laden et dernièrement sur les Moudjahidin du Peuple d’Iran, il a bien voulu répondre à nos questions.
QUE FAIRE : Entre l’expansionnisme américain et le terrorisme islamiste, quelle est selon vous la plus grande menace ?
À mon avis l’expansionnisme américain parce qu’il devient lui-même une cause de l’amplification du terrorisme islamiste. Je m’explique : le terrorisme islamiste existerait de toute façon, comme il existe un terrorisme basque, voire corse. Mais, comme nous le voyons avec ces deux irrédentismes, l’injustice dont souffrent les populations étant insignifiante, voire nulle, le terrorisme tend à décroître en intensité. La manière dont les Américains ont prétendu répondre à la menace terroriste islamiste, par contre, suscitant de nouvelles injustices, a permis la levée d’une nouvelle vague de recrues dans une population rendue folle de colère.
QUE FAIRE : A partir de quand avez-vous senti que l’islamisme, longtemps allié au « monde libre » contre le communisme, allait devenir un sérieux problème ?
Je mets un bémol à votre affirmation. L’islamisme n’a jamais été l’allié du monde libre. Il a été instrumentalisé par les Britanniques d’abord, entre les deux Guerres mondiales, quand ils ont financé la création des Frères musulmans en Egypte. Il a aussi été récupéré et manipulé par les Américains, lors de l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, dans les années 80.
Tant que les Américains soutenaient une guérilla contre un envahisseur, la résistance afghane contre les Soviétiques, ils étaient dans leur rôle de leader du monde libre. En même temps, c’est vrai, ils protégeaient le golfe arabo-persique, par où transite 65% de la production de pétrole du monde, de la mainmise de Moscou. Washington a dérapé faisant appel aux islamistes arabes, singulièrement aux Frères musulmans, pour intervenir à l’intérieur de l’Afghanistan. Ceci pour trois raisons. D’abord les Afghans n’avaient pas besoin de combattants. Ensuite, les islamistes arabes importaient des concepts nouveaux qui pervertissaient la résistance afghane. Enfin, l’Afghanistan représentait pour ces recrues arabes un terrain d’entraînement.
Dès 1985, j’ai pris conscience du danger quand, dans les maquis afghans, j’ai entendu des Arabes appelant les Afghans à la radicalisation politico-religieuse. Pire, dans cette époque, devant moi, des responsables islamistes arabes annonçaient qu’après la défaite soviétique, ils retourneraient leurs armes contre l’Europe. Cela même a été clairement dit, par exemple au printemps 1985, par un certain Abdallah Anass, de son vrai nom Boudjemah Bounoua Anass, un Algérien aujourd’hui protégé par les Britanniques. Dès mon retour en France, j’ai publié une série d’articles sur le sujet. Je ne pense pas avoir été pris très au sérieux dans les hautes sphères.
QUE FAIRE : Selon vous, qu’est-ce qui nourrit actuellement le terrorisme islamiste ?
Le terrorisme, tous les terrorismes, s’appuient sur deux piliers principaux : l’injustice et une idéologie. Je n’ai pas connaissance, aujourd’hui ou dans l’histoire, en remontant aux Sicaires en rébellion contre Rome, de situations ne corroborant pas ce principe. Pour l’injustice, les musulmans dans leur plus grand nombre, les Arabes plus particulièrement et les Palestiniens dans leur chair, souffrent de la politique d’Israël. Les États-Unis n’ont fait qu’amplifier la colère des musulmans, en soutenant inconditionnellement Israël et en menant une politique conquérante et arrogante.
Pour l’idéologie, l’émergence des Frères musulmans, en 1929, a redonné vie à la notion de « chahid », le musulman devenant témoin de sa foi en tombant au combat pour « Dieu et sa religion ». Dans le creuset de la guerre civile du Liban, le « chahid » est devenu le musulman qui se suicide pour entraîner « ses ennemis » dans la mort.
QUE FAIRE : Pour vous, la France a-t-elle encore une « politique arabe » ou est-elle à la remorque des Américains comme à l’époque de Mitterrand ?
La France n’a pas de politique arabe. Elle cherchait jusqu’à maintenant à pratiquer une politique d’équilibre. Ses dirigeants, en général, son administration en tout cas, sont seulement mieux informés des réalités moyennes orientales que les États-Unis. C’est la propagande israélienne qui a forgé cette expression de « politique arabe de la France ». Par ces mots, que les Israéliens veulent désobligeants, le gouvernement de l’État hébreu cherche à agir sur l’opinion publique française pour obtenir un soutien inconditionnel de notre pays à son aventurisme politique.
Néanmoins, l’élection de Nicolas Sarkozy, sa connaissance limitée des choses du Moyen-Orient, ses sentiments en faveur d’Israël et l’ambiguïté de sa relation avec George W. Bush peuvent nous faire craindre un changement. Surtout avec l’arrivée de Bernard Kouchner aux affaires. Espérons qu’il n’en sera rien et que les intérêts de notre pays l’emporteront sur les affinités personnelles.
QUE FAIRE : L’État d’Israël a-t-il un avenir ?
À vouloir toujours plus de territoire, l’État israélien s’est placé dans une situation sécuritaire extrêmement coûteuse, autant en hommes qu’en argent. Pour l’argent, Israël dépend de l’aide des États-Unis. Or ces derniers, pour des raisons politiques, suite à un basculement de l’opinion américaine, ou économiques, en raison du coût des opérations militaires, pourraient être amenés à réduire leur aide. Ceci d’autant plus qu’un affaissement du PIB des États-Unis apparaît comme une éventualité de plus en plus possible. Les décideurs israéliens s’en inquiètent déjà dans leurs analyses.
Pour les hommes, en Israël, la situation s’annonce encore plus critique sur le moyen terme. Les générations montantes n’ont plus l’esprit pionnier de leurs pères traumatisés par la politique d’extermination nazie. Pour la plupart, ils aspirent à une vie normale. Aussi, de plus en plus de jeunes Israéliens partent pour l’étranger afin d’échapper au service militaire. Courant juillet, les médias sionistes s’alarmaient de l’installation en Allemagne de 4000 Israéliens. Or, ce pays refusant la double nationalité, ils ont été obligés de renoncer à leurs passeports israéliens.
Pour tenter de combler le déficit, les agences sionistes appellent partout dans le monde leurs coreligionnaires juifs à les rejoindre. À cette fin, en France, elles vont jusqu’à dénoncer une vague anti-juive qui n’a d’existence que dans leur imagination.
L’esprit de sacrifice est passé dans l’autre camp. Côté palestinien, la colère suscitée par l’iniquité d’Israël est telle que les volontaires ne manquent jamais pour les attentats-suicides. En d’autres termes, plus le conflit dure entre les Palestiniens et les Israéliens, plus l’existence d’Israël se voit remise en question.
QUE FAIRE : La Syrie est unanimement montrée du doigt à propos des assassinats qui touchent des personnalités libanaises. N’est-ce pas un peu trop « facile » quand on sait que la mort de Rafic Hariri a forcé les troupes syriennes à évacuer le pays ?
Au « Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001 », au moment des faits, l’assassinat de Rafic Hariri et de ses compagnons, nous avons été parmi les seuls à inviter à la prudence avant d’accuser qui que ce soit.
Avec le temps, nous avons néanmoins relevé une accumulation d’indices accusateurs désignant la Syrie, autant dans l’affaire de la mort d’Hariri que dans les attentats qui n’ont cessé d’ensanglanter la région chrétienne. Certes, il convient de rester prudent avant de conclure, mais la Syrie n’aide pas à alléger les soupçons pesant sur elle. Il lui suffirait pourtant d’accepter une enquête approfondie.
Quant à la mort d’Hariri, qu’elle ait été la cause de l’évacuation de l’armée syrienne ne représente pas à mes yeux une preuve de l’innocence de Damas. Cela peut-être aussi, et je crains que ce ne le soit, le fruit d’un mauvais calcul.
QUE FAIRE : Selon vous, qu’est-ce qui peut pousser une organisation violente et terroriste à cesser la lutte armée ?
En théorie, une organisation terroriste est censée renoncer à la violence quand elle obtient ce qu’elle veut. En théorie seulement, car une organisation qui a usé du terrorisme sera toujours tentée de le réutiliser pour assouvir de nouvelles ambitions.
Pour poser la bonne question, il faut comprendre toute organisation terroriste composée de deux catégories de membres, les manipulateurs, une minorité, et les manipulés.
La question serait plutôt, comment s’opposer aux projets des manipulateurs ? Les manipulateurs resteront ce qu’ils sont et ne se soumettront que sous la contrainte. Les manipulés, par contre, comme les membres d’une secte, peuvent être « psychologiquement déprogrammés ». C’est donc sur eux qu’il faut concentrer les efforts. Cette technique, encore à l’état du balbutiement, est néanmoins déjà utilisée.
Sans entrer dans les détails, dans le cas du terrorisme politique, avant tout, il faut néanmoins réduire les grandes injustices qui ont motivé l’engagement des recrues manipulées. Ceci a de plus l’avantage d’isoler les manipulateurs qui, perdant leurs arguments de recrutement, peinent à trouver de nouveaux volontaires.
QUE FAIRE : Vous êtes aussi le rédacteur en chef du mensuel « L’Echelle des Valeurs ». Quelle est la ligne éditoriale de cette publication ?
C’est une activité différente, que je qualifierai de « journalistiquement militante ». Au cours des dernières années, j’ai constaté la tendance de plus en plus accusée de la grande presse à occulter certaines informations. D’autre part, j’aime mon pays et tiens à sa pérennisation. Si l’Europe me semble une bonne idée, je suis contre la dissolution des États dans un ensemble anonyme, dirigé par des technocrates trop éloignés des préoccupations des citoyens. Naturellement, à « L’Echelle des Valeurs » c’est donc sur ces deux axes éditoriaux que nous travaillons en diffusant les informations occultées ailleurs et en dénonçant les failles de l’Europe de Maastricht.
QUE FAIRE : Pour vous, le clivage droite/gauche a-t-il encore une réalité ou le clivage libéraux/anti-libéraux l’a-t-il remplacé ?
Je crois le clivage gauche-droite toujours réel. Néanmoins, il est atténué par d’autres clivages. Parmi eux, la divergence entre « souverainistes » et partisans d’une Europe-État. Quant à cet autre clivage entre libéraux et anti-libéraux, je ne le crois pas pertinent. La distinction est plus entre libéraux et ultra-libéraux. À droite, en particulier, vous trouverez beaucoup de libéraux opposés au « tout marché » des ultra-libéraux. Ils sont partisans de la liberté d’entreprise, en particulier des petites entreprises, mais contre la domination du marché par les monopoles qu’ils veulent sous contrôle. Ils sont même favorables à une certaine dose d’étatisme, quand il ne se transforme pas en despotisme ou en « capitalisme d’État ». Ils sont en particulier pour la restauration des droits de douanes pour protéger les productions nationales et éviter les délocalisations industrielles.
Cette nouvelle géographie politique favorise les contacts et les échanges entre familles de pensée. Ceci explique, me semble-t-il, l’impression erronée que le clivage droite-gauche est caduc.
QUE FAIRE : L’immigration cristallise bien des passions. Selon vous, est-ce un vrai problème ou simplement un chiffon rouge régulièrement agité par des politiciens sans idées ?
Vous avez raison de parler de « passions » en matière d’immigration. Il faudrait ramener cette réalité à ses justes dimensions.
Pour éviter l’éclatement, voire pire la guerre civile, un pays se doit de jouir d’un minimum d’homogénéité culturelle permettant de construire l’identité nationale. Dans cet esprit, il convient de réguler l’installation des migrants en fonction de la volonté d’assimilation des ces derniers et des possibilités d’intégration du pays d’accueil. Je parle à dessein d’effort d’assimilation pour ceux aspirant à la naturalisation et de travail d’intégration pour le pays. Ceci parce que la volonté de s’agglomérer à la communauté nationale, doit d’abord venir du migrant qui est, dans les faits, en position de demandeur.
Si ces principes ne sont pas respectés, on assiste au développement du communautarisme, les immigrés se rassemblant par catégories pour cultiver leurs différences. C’est le contraire de l’esprit de notre nation et déjà ce à quoi nous assistons en France.
Mais il y a plus grave. Si, dans un pays, un courant migratoire, plus important que les autres, ne cesse de s’installer tout en proclamant sa différence, un jour il peut devenir majoritaire et changer ainsi l’identité de la nation.
Cette évolution est possible en France avec l’immigration musulmane. Aujourd’hui, nos compatriotes et leurs enfants issus de cette catégorie sont déjà 10% de la population. Il y a quarante ans, personne n’aurait cru cela possible.
Voilà pour la partie préoccupante du phénomène. Il faut néanmoins relativiser le phénomène.
D’une part parce que la plus grosse partie des Français d’origine immigrée s’est, non pas seulement intégrée, mais assimilée. Reste ceux qui résistent au mouvement. Ils sont d’autant plus visibles qu’ils se font remarquer. Les uns le font par une pratique religieuse ostentatoire mais ils ne représentent que 10% de la communauté musulmane. Plus significatif, les fondamentalistes, les islamistes si vous préférez, ne sont pas plus de un pour cent de tous les musulmans de France.
D’autres appellent l’attention par leurs comportements délinquants. Ainsi trouve-t-on dans nos prisons une plus grande proportion de détenus d’origine immigrée, parmi eux une majorité d’identité musulmane, que de Français enracinés depuis plusieurs générations. Mais là encore, les délinquants d’identité musulmane sont une minorité au sein de leur communauté.
Cette visibilité d’une partie de l’immigration et de ses enfants, avec son cortège d’apparences inquiétantes, est encore amplifiée par la concentration de ces populations dans les mêmes quartiers. Résultat, cela tend à engendrer un climat de peur chez les citoyens, quand ils s’identifient à la nation française dans sa continuité historique.
Il est d’autant plus difficile de gérer le problème que, pendant des années, les gouvernements successifs ont refusé de mesurer le danger de la situation et d’y faire face. Qu’aussi, de nombreux parents d’origine africaine, débordés, ont démissionné. Pourtant, même une rapide visite dans les quartiers à population d’origine immigrée permet de voir que de petits groupes de voyous prennent en otages l’ensemble des habitants de la même origine qu’eux.
Les risques une fois identifiés et ramenés à leur juste proportion, on voit mieux se dessiner les solutions. Parmi d’autres, la nécessité de marquer le pas en matière d’immigration, le temps de nous donner les moyens d’intégrer, voire d’assimiler, les nouveaux Français. Sans doute aussi le besoin de faire la distinction entre immigration de travail et immigration ayant vocation à prendre la nationalité française. Les immigrés de la première catégorie, comme cela se pratique dans la majorité des pays musulmans, auraient pour obligation de rentrer dans leur pays à la fin de leur contrat.
La gestion de l’immigration devrait être un dossier parmi d’autres, mais nous sommes liés par des traités européens qui, par exemple en matière de regroupement familial, réduisent notre marge de manoeuvre. Résultat, les autorités se retrouvent handicapées pour agir et se contentent de décisions symboliques pour camoufler leur impuissance. Aussi, face à des gouvernants incapables de gérer les problèmes, la population s’inquiète. Il devient alors très facile pour certains, de se faire une clientèle en tenant des discours démagogiques et apocalyptiques à usage électoral.
Reste le rôle, encore plus néfaste de l’extrême-gauche. Inspirée par un internationalisme dans lequel les identités nationales s’affadissent avant de disparaître, les tenants de ce courant travaillent à briser les dernières retenues contenant l’immigration. Au nom d’une générosité mal comprise et pour mieux dissoudre notre identité nationale, ils veulent transformer notre pays en zone d’asile de tous les miséreux du monde. À ce jeu, nous tendons à épuiser nos ressources et risquons le pire.
Voilà une réponse un peu longue et pourtant incomplète, sur un sujet complexe, qui mériterait un livre. Je réduirai néanmoins ma pensée à un principe : il faut en matière d’immigration une politique équilibrée, entre les intérêts du pays, d’abord la préservation de son identité, et l’inévitable ouverture sur le reste du monde.
QUE FAIRE : Que pensez-vous de la ligne éditoriale de notre site ?
J’apprécie dans votre travail l’ouverture et l’indépendance d’esprit. Vous ne vous inscrivez pas dans un courant, tout en restant attaché à des principes. Vous proclamez vos sympathies, échangez pourtant avec des personnes parfois très éloignées de votre milieu politique d’origine et, surtout, décidez de vos orientations en refusant le prêt à penser de telle ou telle chapelle. En d’autres termes, vous agissez en homme honnête et libre et je vous remercie de m’avoir fait la faveur de me poser ces quelques questions.
Source : http://que-faire.info
QUE FAIRE : Entre l’expansionnisme américain et le terrorisme islamiste, quelle est selon vous la plus grande menace ?
À mon avis l’expansionnisme américain parce qu’il devient lui-même une cause de l’amplification du terrorisme islamiste. Je m’explique : le terrorisme islamiste existerait de toute façon, comme il existe un terrorisme basque, voire corse. Mais, comme nous le voyons avec ces deux irrédentismes, l’injustice dont souffrent les populations étant insignifiante, voire nulle, le terrorisme tend à décroître en intensité. La manière dont les Américains ont prétendu répondre à la menace terroriste islamiste, par contre, suscitant de nouvelles injustices, a permis la levée d’une nouvelle vague de recrues dans une population rendue folle de colère.
QUE FAIRE : A partir de quand avez-vous senti que l’islamisme, longtemps allié au « monde libre » contre le communisme, allait devenir un sérieux problème ?
Je mets un bémol à votre affirmation. L’islamisme n’a jamais été l’allié du monde libre. Il a été instrumentalisé par les Britanniques d’abord, entre les deux Guerres mondiales, quand ils ont financé la création des Frères musulmans en Egypte. Il a aussi été récupéré et manipulé par les Américains, lors de l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques, dans les années 80.
Tant que les Américains soutenaient une guérilla contre un envahisseur, la résistance afghane contre les Soviétiques, ils étaient dans leur rôle de leader du monde libre. En même temps, c’est vrai, ils protégeaient le golfe arabo-persique, par où transite 65% de la production de pétrole du monde, de la mainmise de Moscou. Washington a dérapé faisant appel aux islamistes arabes, singulièrement aux Frères musulmans, pour intervenir à l’intérieur de l’Afghanistan. Ceci pour trois raisons. D’abord les Afghans n’avaient pas besoin de combattants. Ensuite, les islamistes arabes importaient des concepts nouveaux qui pervertissaient la résistance afghane. Enfin, l’Afghanistan représentait pour ces recrues arabes un terrain d’entraînement.
Dès 1985, j’ai pris conscience du danger quand, dans les maquis afghans, j’ai entendu des Arabes appelant les Afghans à la radicalisation politico-religieuse. Pire, dans cette époque, devant moi, des responsables islamistes arabes annonçaient qu’après la défaite soviétique, ils retourneraient leurs armes contre l’Europe. Cela même a été clairement dit, par exemple au printemps 1985, par un certain Abdallah Anass, de son vrai nom Boudjemah Bounoua Anass, un Algérien aujourd’hui protégé par les Britanniques. Dès mon retour en France, j’ai publié une série d’articles sur le sujet. Je ne pense pas avoir été pris très au sérieux dans les hautes sphères.
QUE FAIRE : Selon vous, qu’est-ce qui nourrit actuellement le terrorisme islamiste ?
Le terrorisme, tous les terrorismes, s’appuient sur deux piliers principaux : l’injustice et une idéologie. Je n’ai pas connaissance, aujourd’hui ou dans l’histoire, en remontant aux Sicaires en rébellion contre Rome, de situations ne corroborant pas ce principe. Pour l’injustice, les musulmans dans leur plus grand nombre, les Arabes plus particulièrement et les Palestiniens dans leur chair, souffrent de la politique d’Israël. Les États-Unis n’ont fait qu’amplifier la colère des musulmans, en soutenant inconditionnellement Israël et en menant une politique conquérante et arrogante.
Pour l’idéologie, l’émergence des Frères musulmans, en 1929, a redonné vie à la notion de « chahid », le musulman devenant témoin de sa foi en tombant au combat pour « Dieu et sa religion ». Dans le creuset de la guerre civile du Liban, le « chahid » est devenu le musulman qui se suicide pour entraîner « ses ennemis » dans la mort.
QUE FAIRE : Pour vous, la France a-t-elle encore une « politique arabe » ou est-elle à la remorque des Américains comme à l’époque de Mitterrand ?
La France n’a pas de politique arabe. Elle cherchait jusqu’à maintenant à pratiquer une politique d’équilibre. Ses dirigeants, en général, son administration en tout cas, sont seulement mieux informés des réalités moyennes orientales que les États-Unis. C’est la propagande israélienne qui a forgé cette expression de « politique arabe de la France ». Par ces mots, que les Israéliens veulent désobligeants, le gouvernement de l’État hébreu cherche à agir sur l’opinion publique française pour obtenir un soutien inconditionnel de notre pays à son aventurisme politique.
Néanmoins, l’élection de Nicolas Sarkozy, sa connaissance limitée des choses du Moyen-Orient, ses sentiments en faveur d’Israël et l’ambiguïté de sa relation avec George W. Bush peuvent nous faire craindre un changement. Surtout avec l’arrivée de Bernard Kouchner aux affaires. Espérons qu’il n’en sera rien et que les intérêts de notre pays l’emporteront sur les affinités personnelles.
QUE FAIRE : L’État d’Israël a-t-il un avenir ?
À vouloir toujours plus de territoire, l’État israélien s’est placé dans une situation sécuritaire extrêmement coûteuse, autant en hommes qu’en argent. Pour l’argent, Israël dépend de l’aide des États-Unis. Or ces derniers, pour des raisons politiques, suite à un basculement de l’opinion américaine, ou économiques, en raison du coût des opérations militaires, pourraient être amenés à réduire leur aide. Ceci d’autant plus qu’un affaissement du PIB des États-Unis apparaît comme une éventualité de plus en plus possible. Les décideurs israéliens s’en inquiètent déjà dans leurs analyses.
Pour les hommes, en Israël, la situation s’annonce encore plus critique sur le moyen terme. Les générations montantes n’ont plus l’esprit pionnier de leurs pères traumatisés par la politique d’extermination nazie. Pour la plupart, ils aspirent à une vie normale. Aussi, de plus en plus de jeunes Israéliens partent pour l’étranger afin d’échapper au service militaire. Courant juillet, les médias sionistes s’alarmaient de l’installation en Allemagne de 4000 Israéliens. Or, ce pays refusant la double nationalité, ils ont été obligés de renoncer à leurs passeports israéliens.
Pour tenter de combler le déficit, les agences sionistes appellent partout dans le monde leurs coreligionnaires juifs à les rejoindre. À cette fin, en France, elles vont jusqu’à dénoncer une vague anti-juive qui n’a d’existence que dans leur imagination.
L’esprit de sacrifice est passé dans l’autre camp. Côté palestinien, la colère suscitée par l’iniquité d’Israël est telle que les volontaires ne manquent jamais pour les attentats-suicides. En d’autres termes, plus le conflit dure entre les Palestiniens et les Israéliens, plus l’existence d’Israël se voit remise en question.
QUE FAIRE : La Syrie est unanimement montrée du doigt à propos des assassinats qui touchent des personnalités libanaises. N’est-ce pas un peu trop « facile » quand on sait que la mort de Rafic Hariri a forcé les troupes syriennes à évacuer le pays ?
Au « Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001 », au moment des faits, l’assassinat de Rafic Hariri et de ses compagnons, nous avons été parmi les seuls à inviter à la prudence avant d’accuser qui que ce soit.
Avec le temps, nous avons néanmoins relevé une accumulation d’indices accusateurs désignant la Syrie, autant dans l’affaire de la mort d’Hariri que dans les attentats qui n’ont cessé d’ensanglanter la région chrétienne. Certes, il convient de rester prudent avant de conclure, mais la Syrie n’aide pas à alléger les soupçons pesant sur elle. Il lui suffirait pourtant d’accepter une enquête approfondie.
Quant à la mort d’Hariri, qu’elle ait été la cause de l’évacuation de l’armée syrienne ne représente pas à mes yeux une preuve de l’innocence de Damas. Cela peut-être aussi, et je crains que ce ne le soit, le fruit d’un mauvais calcul.
QUE FAIRE : Selon vous, qu’est-ce qui peut pousser une organisation violente et terroriste à cesser la lutte armée ?
En théorie, une organisation terroriste est censée renoncer à la violence quand elle obtient ce qu’elle veut. En théorie seulement, car une organisation qui a usé du terrorisme sera toujours tentée de le réutiliser pour assouvir de nouvelles ambitions.
Pour poser la bonne question, il faut comprendre toute organisation terroriste composée de deux catégories de membres, les manipulateurs, une minorité, et les manipulés.
La question serait plutôt, comment s’opposer aux projets des manipulateurs ? Les manipulateurs resteront ce qu’ils sont et ne se soumettront que sous la contrainte. Les manipulés, par contre, comme les membres d’une secte, peuvent être « psychologiquement déprogrammés ». C’est donc sur eux qu’il faut concentrer les efforts. Cette technique, encore à l’état du balbutiement, est néanmoins déjà utilisée.
Sans entrer dans les détails, dans le cas du terrorisme politique, avant tout, il faut néanmoins réduire les grandes injustices qui ont motivé l’engagement des recrues manipulées. Ceci a de plus l’avantage d’isoler les manipulateurs qui, perdant leurs arguments de recrutement, peinent à trouver de nouveaux volontaires.
QUE FAIRE : Vous êtes aussi le rédacteur en chef du mensuel « L’Echelle des Valeurs ». Quelle est la ligne éditoriale de cette publication ?
C’est une activité différente, que je qualifierai de « journalistiquement militante ». Au cours des dernières années, j’ai constaté la tendance de plus en plus accusée de la grande presse à occulter certaines informations. D’autre part, j’aime mon pays et tiens à sa pérennisation. Si l’Europe me semble une bonne idée, je suis contre la dissolution des États dans un ensemble anonyme, dirigé par des technocrates trop éloignés des préoccupations des citoyens. Naturellement, à « L’Echelle des Valeurs » c’est donc sur ces deux axes éditoriaux que nous travaillons en diffusant les informations occultées ailleurs et en dénonçant les failles de l’Europe de Maastricht.
QUE FAIRE : Pour vous, le clivage droite/gauche a-t-il encore une réalité ou le clivage libéraux/anti-libéraux l’a-t-il remplacé ?
Je crois le clivage gauche-droite toujours réel. Néanmoins, il est atténué par d’autres clivages. Parmi eux, la divergence entre « souverainistes » et partisans d’une Europe-État. Quant à cet autre clivage entre libéraux et anti-libéraux, je ne le crois pas pertinent. La distinction est plus entre libéraux et ultra-libéraux. À droite, en particulier, vous trouverez beaucoup de libéraux opposés au « tout marché » des ultra-libéraux. Ils sont partisans de la liberté d’entreprise, en particulier des petites entreprises, mais contre la domination du marché par les monopoles qu’ils veulent sous contrôle. Ils sont même favorables à une certaine dose d’étatisme, quand il ne se transforme pas en despotisme ou en « capitalisme d’État ». Ils sont en particulier pour la restauration des droits de douanes pour protéger les productions nationales et éviter les délocalisations industrielles.
Cette nouvelle géographie politique favorise les contacts et les échanges entre familles de pensée. Ceci explique, me semble-t-il, l’impression erronée que le clivage droite-gauche est caduc.
QUE FAIRE : L’immigration cristallise bien des passions. Selon vous, est-ce un vrai problème ou simplement un chiffon rouge régulièrement agité par des politiciens sans idées ?
Vous avez raison de parler de « passions » en matière d’immigration. Il faudrait ramener cette réalité à ses justes dimensions.
Pour éviter l’éclatement, voire pire la guerre civile, un pays se doit de jouir d’un minimum d’homogénéité culturelle permettant de construire l’identité nationale. Dans cet esprit, il convient de réguler l’installation des migrants en fonction de la volonté d’assimilation des ces derniers et des possibilités d’intégration du pays d’accueil. Je parle à dessein d’effort d’assimilation pour ceux aspirant à la naturalisation et de travail d’intégration pour le pays. Ceci parce que la volonté de s’agglomérer à la communauté nationale, doit d’abord venir du migrant qui est, dans les faits, en position de demandeur.
Si ces principes ne sont pas respectés, on assiste au développement du communautarisme, les immigrés se rassemblant par catégories pour cultiver leurs différences. C’est le contraire de l’esprit de notre nation et déjà ce à quoi nous assistons en France.
Mais il y a plus grave. Si, dans un pays, un courant migratoire, plus important que les autres, ne cesse de s’installer tout en proclamant sa différence, un jour il peut devenir majoritaire et changer ainsi l’identité de la nation.
Cette évolution est possible en France avec l’immigration musulmane. Aujourd’hui, nos compatriotes et leurs enfants issus de cette catégorie sont déjà 10% de la population. Il y a quarante ans, personne n’aurait cru cela possible.
Voilà pour la partie préoccupante du phénomène. Il faut néanmoins relativiser le phénomène.
D’une part parce que la plus grosse partie des Français d’origine immigrée s’est, non pas seulement intégrée, mais assimilée. Reste ceux qui résistent au mouvement. Ils sont d’autant plus visibles qu’ils se font remarquer. Les uns le font par une pratique religieuse ostentatoire mais ils ne représentent que 10% de la communauté musulmane. Plus significatif, les fondamentalistes, les islamistes si vous préférez, ne sont pas plus de un pour cent de tous les musulmans de France.
D’autres appellent l’attention par leurs comportements délinquants. Ainsi trouve-t-on dans nos prisons une plus grande proportion de détenus d’origine immigrée, parmi eux une majorité d’identité musulmane, que de Français enracinés depuis plusieurs générations. Mais là encore, les délinquants d’identité musulmane sont une minorité au sein de leur communauté.
Cette visibilité d’une partie de l’immigration et de ses enfants, avec son cortège d’apparences inquiétantes, est encore amplifiée par la concentration de ces populations dans les mêmes quartiers. Résultat, cela tend à engendrer un climat de peur chez les citoyens, quand ils s’identifient à la nation française dans sa continuité historique.
Il est d’autant plus difficile de gérer le problème que, pendant des années, les gouvernements successifs ont refusé de mesurer le danger de la situation et d’y faire face. Qu’aussi, de nombreux parents d’origine africaine, débordés, ont démissionné. Pourtant, même une rapide visite dans les quartiers à population d’origine immigrée permet de voir que de petits groupes de voyous prennent en otages l’ensemble des habitants de la même origine qu’eux.
Les risques une fois identifiés et ramenés à leur juste proportion, on voit mieux se dessiner les solutions. Parmi d’autres, la nécessité de marquer le pas en matière d’immigration, le temps de nous donner les moyens d’intégrer, voire d’assimiler, les nouveaux Français. Sans doute aussi le besoin de faire la distinction entre immigration de travail et immigration ayant vocation à prendre la nationalité française. Les immigrés de la première catégorie, comme cela se pratique dans la majorité des pays musulmans, auraient pour obligation de rentrer dans leur pays à la fin de leur contrat.
La gestion de l’immigration devrait être un dossier parmi d’autres, mais nous sommes liés par des traités européens qui, par exemple en matière de regroupement familial, réduisent notre marge de manoeuvre. Résultat, les autorités se retrouvent handicapées pour agir et se contentent de décisions symboliques pour camoufler leur impuissance. Aussi, face à des gouvernants incapables de gérer les problèmes, la population s’inquiète. Il devient alors très facile pour certains, de se faire une clientèle en tenant des discours démagogiques et apocalyptiques à usage électoral.
Reste le rôle, encore plus néfaste de l’extrême-gauche. Inspirée par un internationalisme dans lequel les identités nationales s’affadissent avant de disparaître, les tenants de ce courant travaillent à briser les dernières retenues contenant l’immigration. Au nom d’une générosité mal comprise et pour mieux dissoudre notre identité nationale, ils veulent transformer notre pays en zone d’asile de tous les miséreux du monde. À ce jeu, nous tendons à épuiser nos ressources et risquons le pire.
Voilà une réponse un peu longue et pourtant incomplète, sur un sujet complexe, qui mériterait un livre. Je réduirai néanmoins ma pensée à un principe : il faut en matière d’immigration une politique équilibrée, entre les intérêts du pays, d’abord la préservation de son identité, et l’inévitable ouverture sur le reste du monde.
QUE FAIRE : Que pensez-vous de la ligne éditoriale de notre site ?
J’apprécie dans votre travail l’ouverture et l’indépendance d’esprit. Vous ne vous inscrivez pas dans un courant, tout en restant attaché à des principes. Vous proclamez vos sympathies, échangez pourtant avec des personnes parfois très éloignées de votre milieu politique d’origine et, surtout, décidez de vos orientations en refusant le prêt à penser de telle ou telle chapelle. En d’autres termes, vous agissez en homme honnête et libre et je vous remercie de m’avoir fait la faveur de me poser ces quelques questions.
Source : http://que-faire.info