En manque d’argent et de sang neuf, accusées d’être des clubs de « bien-pensants » déconnectés des réalités, les grandes associations antiracistes tentent de surmonter cette mauvaise passe en érigeant un front commun contre la xénophobie, qui se traduira par une marche unitaire samedi.
« Dans les années 80, on était un peu les rois des dîners en ville », raconte Alain Jakubowicz, président de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). « Aujourd’hui, on est tout le temps accusé d’être des donneurs de leçons liberticides. ».
« Ce n’est pas simple de se faire entendre quand le FN mène la danse et que la parole raciste est totalement libérée », ajoute Aline Le Bail-Kremer, porte-parole de SOS Racisme.
La crise du militantisme, qui frappe tout le monde associatif, n’arrange pas la situation. « On peut mobiliser sur un projet, pour s’opposer à la construction d’un aéroport, par exemple, mais pas pour des causes qui s’inscrivent sur le long terme », estime Pierre Tartakowski, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH).
Conséquence : leur base militante s’érode. La LDH, qui avait 100 000 membres dans les années 30, n’en compte plus que 10 000. SOS Racisme ne revendique plus que 9 000 adhérents, la Licra 4 000 et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) 2 000.
Plus grave, « on a une réelle difficulté de transmission générationnelle et on n’est pas suffisamment habité par les minorités visibles », reconnaît pudiquement M. Tartakowski.
« Les associations historiques sont des clubs d’intellos blancs, déconnectés du terrain et des quartiers populaires », tacle la militante antiraciste Rokhaya Diallo qui a cofondé en 2007 l’association les Indivisibles. « En plus, ils ont complètement raté le virage Internet. »
Le divorce avec la société a été mis au grand jour par un sondage publié en octobre : 74 % des Français disent « mal connaître » les associations antiracistes, 86 % se désintéressent de leur action et 70 % les jugent « pas efficaces ».
« Ça a creusé des fossés »
Les associations antiracistes souffrent également financièrement. Contrairement à leurs espoirs, le retour de la gauche au pouvoir n’a pas permis le retour des subventions, réduites sous le précédent gouvernement. SOS Racisme, qui avait organisé un coûteux concert en juillet 2011, peine encore à s’en remettre.
Pour surmonter ces épreuves, LDH, Mrap, Licra et SOS Racisme ont entrepris un rapprochement. Le 22 octobre, pour la première fois depuis des années, elles ont publié un communiqué commun pour dénoncer la politique du « bouc émissaire ».
« C’est en train de bouger parce qu’on se pose tous les mêmes questions », commente M. Tartakowski. « Mais il y a un travail de clarification à mener qui ne se fera pas en une semaine. »
« On n’est pas d’accord entre nous sur l’existence d’un racisme antiblanc ou d’une islamophobie, ça a creusé des fossés », précise Aline Le Bail-Kremer.
Si tous reconnaissent que des Blancs peuvent subir des brimades, seule la Licra assume pleinement l’usage du terme « racisme anti-blanc », souvent instrumentalisé par l’extrême droite.
De même, tous déplorent une hausse des actes antimusulmans mais la Licra et SOS racisme refusent d’utiliser le terme islamophobie, qui risque selon elles d’empêcher toute critique de la religion musulmane.
À cause de ces antagonismes, « on n’a pas su créer de cordon efficace en cas d’urgence », estime Aline Le Bail-Kremer, en regrettant que les associations antiracistes n’ait pas réagi plus tôt aux attaques ayant visé la ministre de la Justice.
Christiane Taubira a été comparée à une guenon dès le 17 octobre, mais il aura fallu qu’elle s’émeuve de la tiédeur des réactions pour qu’un appel à manifester émerge, près d’un mois plus tard.
LDH, Licra, Mrap et SOS Racisme marcheront finalement samedi à Paris et dans d’autres villes de France et d’Outre-mer, aux côtés des grandes centrales syndicales et de collectifs d’ultramarins.
Pour Aline Le Bail-Kremer, « si on reconstitue pas quelque chose là-dessus, on est complètement cuit ».
À ne pas manquer, sur E&R : « De l’antiracisme à Égalité & Réconciliation : rencontre avec Farida Belghoul »