Tirs de missiles iraniens, avion syrien abattu par les Américains, menaces russes... La tension grandit entre les puissances impliquées dans la région.
Un simple coup de bluff ou une menace réelle ? La Russie a « interdit » lundi aux États-Unis et à la coalition internationale de survoler le gros de la Syrie, soit toute la partie située à l’ouest de la vallée de l’Euphrate. « Tout appareil » survolant cette zone sera considéré comme « une cible légitime », précisait Moscou. Un langage guerrier qui vient couronner un week-end de haute tension, avec tirs de missiles iraniens à la clé, et la destruction, dimanche, d’un chasseur syrien par un avion américain.
La bataille finale de Raqqa, la « capitale » de l’organisation État islamique (Daech) dans le nord de la Syrie, est à deux doigts de commencer. Les troupes kurdes et arabes financées par les États-Unis entament désormais leur progression à pied, pour déloger les djihadistes de la vieille ville.
Action américaine
Mais déjà, en parallèle, semble avoir commencé ce qui s’apparente à la guerre de l’« après-Daech ». Dimanche, un F/A-18 américain a réduit en miettes en plein vol un Soukhoï de l’armée syrienne, à proximité de Raqqa, sur la ville de Tabqa : une première depuis le début de la guerre en Syrie, en 2011.
Selon l’explication américaine, l’appareil syrien participait à une opération militaire visant les Forces démocratiques syriennes (FDS), les troupes qui assiègent précisément l’État islamique à Raqqa. Selon le porte-parole des FDS, le général Talal Silo, cette attaque « de grande ampleur » aurait duré deux jours, et aurait regroupé non seulement des avions, mais aussi des chars d’assaut et des pièces d’artillerie. Alors que, jusqu’ici, ces forces kurdo-arabes ne se sont jamais réellement confrontées à celles de Damas, le général menaçait de retourner les canons, et de lancer des représailles contre l’armée syrienne.
Du côté de Damas, pourtant, la version des événements est différente : l’avion abattu par les Américains aurait été en route pour bombarder, lui aussi, des positions de l’État islamique dans son autre bastion de la vallée de l’Euphrate, Deir-Ezzor. C’est une « agression flagrante », affirmait le régime syrien, en accusant les États-Unis de « coordonner » leurs actions avec les djihadistes de Daech.
Les procédures d’urgence pourraient être supprimées
Moscou (qui soutient l’armée syrienne) se montrait sur la même ligne, en évoquant, lui aussi, un « acte d’agression » de la part des Américains. En avril déjà, après l’utilisation d’armes chimiques par Damas et des tirs de missiles américains sur une base syrienne, la Russie avait menacé de mettre fin à la procédure d’urgence qui permet aux Russes et aux Américains d’éviter une escalade dans un ciel syrien saturé d’appareils de guerre. Entre-temps, les escarmouches se sont multipliées, au risque de provoquer un engrenage entre les deux superpuissances.
Dans cette nouvelle phase de la guerre, les intérêts des uns et des autres menacent de diverger pour de bon. Les forces loyalistes syriennes ont entamé un important déploiement vers l’est, dans le désert syrien. La volonté, de la part de Bachar el-Assad, de reconquérir la majeure partie du pays, alors que la défaite de l’État islamique semble programmée ? Le souci de ne pas laisser filer Deir-Ezzor, et ses champs pétroliers ? Les accrochages de Tabqa seraient ainsi un coup de semonce adressé aux protégés des Américains. Et, peut-être, un avant-goût de ce qui pourrait se passer une fois délogés les combattants djihadistes de Daech.
C’est donc une course contre la montre qui s’est engagée dans le désert. Or, il n’est pas certain que la Russie soit exactement sur le même pied que son protégé syrien en souhaitant cette extension. Il n’en reste pas moins que les officiels russes semblent redouter, eux aussi, que les États-Unis et les groupes qu’ils soutiennent ne profitent de leur victoire prochaine sur Daech pour établir une présence durable en Syrie. « Les intentions réelles (des Américains) sont sujettes à caution », assurait lundi le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov en appelant les États-Unis à « coordonner » tous leurs mouvements de troupes avec le régime syrien.
L’Iran paraît décidé à se ménager un couloir terrestre
La Russie a déployé en Syrie des batteries de missiles antiaériens, capables de mettre à exécution ses menaces. Les Américains, de leur côté, ont également installé récemment dans le sud du pays un système de lance-roquettes (HIMARS) dont l’objectif n’est de toute évidence pas l’État islamique, situé trop loin.
Reste encore un autre acteur, dans ce jeu international de plus en plus tendu : l’Iran, qui combat lui aussi du côté de Bachar el-Assad. Dimanche, les Gardiens de la révolution iraniens lançaient de leur côté une salve de missiles balistiques du côté de Deir-Ezzor. Une première, qui visait officiellement à se venger des attentats qui ont frappé Téhéran début juin, mais qui pourrait avoir un tout autre message. L’Iran semble en effet déterminé à garantir l’existence d’un « couloir terrestre » qui lui permette d’acheminer directement des troupes, ou des armes, depuis l’Irak voisin et, au-delà, depuis l’Iran. Ces dernières semaines, les tensions se sont aussi accrues entre les milices iraniennes et les groupes soutenus par les Américains, dans le sud de la Syrie, autour du petit poste de garnison d’Al-Tanf. C’était après que le président Donald Trump désigne l’Iran comme la plus grande menace pour la région.