Le gouvernement égyptien a demandé mercredi aux partisans de l’ancien président islamiste Mohamed Morsi d’"entendre la voix de la raison", et a estimé que les forces de sécurité avaient fait montre de "retenue" lors de la dispersion dans la journée des campements organisés en soutien du chef d’Etat destitué.
Les forces de l’ordre égyptiennes ont mis mercredi matin leurs menaces à exécution et ont commencé à disperser les partisans de Mohamed Morsi, dans une opération qui a rapidement tourné au bain de sang avec des dizaines de morts.
Dans un communiqué, le gouvernement s’engage à mener à bien la transition politique "de manière à n’exclure la participation d’aucun parti" et demande aux cadres des Frères musulmans de ne pas inciter à la violence. "Le gouvernement tient ces dirigeants entièrement responsables de toute effusion de sang, et de toutes les émeutes et les violences qui sont en train d’avoir lieu", dit le communiqué.
Moins de trois heures après les premiers tirs de grenades lacrymogènes, un journaliste de l’AFP a compté 43 cadavres - tous des hommes dont plusieurs manifestement tués par balles - dans la morgue de fortune de l’un des deux rassemblements pro-Morsi, celui de la place Rabaa al-Adawiya au Caire.
Dans cet hôpital de campagne au sol maculé de sang, les médecins débordés délaissaient les cas désespérés pour concentrer leurs efforts sur les blessures les plus susceptibles d’être soignées. Un homme qui respirait encore mais avait reçu une balle dans la tête n’a ainsi pas pu recevoir de soins, a constaté le journaliste.
Le correspondant en Egypte de Skynews a pu pénétrer dans le campement des partisans du président déchu Mohamed Morsi, sur la place Rabaa al-Adawiya. Sur son compte Twitter, il évoque des scènes de "chaos absolu".
L’hôpital de campagne sont "plein de cadavres" et de blessés graves. Les femmes et les enfants se cachent dans la mosquée, poursuit-il, ajoutant avoir vu au moins deux nourrissons morts, "pas en raisons de tirs, mais à cause de la chaleur et du manque d’eau". Le journaliste évoque également des snipers tirant à balles réelles, rendant lpus difficile encore l’accès à l’entrée de l’hôpital.
Les Frères musulmans, l’influente confrérie dont est issu M. Morsi, ont annoncé un bilan dépassant les 250 morts et 5 000 blessés, tandis que les autorités recensaient 13 décès, dont cinq membres des forces de sécurité, en affirmant que les manifestants avaient ouvert le feu sur la police.
L’imam d’Al-Azhar, plus haute autorité de l’islam sunnite, s’est désolidarisé de l’opération en expliquant à la télévision n’avoir pas eu connaissance des méthodes que les forces de l’ordre comptaient employer, après avoir pourtant apporté sa caution lors du coup de force des militaires contre M. Morsi le 3 juillet.
Les partisans du président déchu ont été pris par surprise par les bulldozers des forces de l’ordre car les nouvelles autorités avaient promis des "sommations" afin de laisser partir ceux qui le souhaitaient, en particulier les femmes et les enfants.
Les islamistes occupaient ces places depuis près d’un mois et demi pour réclamer le retour de M. Morsi, destitué et arrêté par l’armée le 3 juillet.
Deux heures après le début de l’opération, le ministère de l’Intérieur a annoncé que la place Nahda, le second rassemblement, était "totalement sous contrôle". Un correspondant de l’AFP a vu quatre cadavres, dont certains calcinés, sur cette place.
En revanche, sur la place Rabaa, dont l’accès était interdit aux journalistes qui ne se trouvaient pas déjà sur les lieux, des tirs d’arme automatique résonnaient et une pluie de grenades lacrymogènes s’abattait sur le village de tentes, sur fond de chants religieux diffusés à plein volume par les haut-parleurs de l’estrade.
L’armée égyptienne a ouvert le feu sur des partisans du président déchu qui tentaient de rejoindre un campement pris d’assaut par les forces de sécurité, a également indiqué un correspondant de Reuters sur place, qui a dit avoir vu une vingtaine de protestataires atteints aux jambes par des balles tirées par les militaires. Les manifestants jetaient quant à eux des pierres des cocktails incendiaires sur les soldats.
Des sources au sein des services de sécurité ont par ailleurs fait état d’affrontements entre des partisans de Morsi et la police dans les villes d’Al-Minya et Assiout, au sud du Caire.
Un responsable de la sécurité a affirmé à l’AFP que des résidents avaient aidé les forces de sécurité à arrêter des dizaines de manifestants, alors que la télévision diffusait des images d’hommes menottés assis au sol et de familles escortées hors du site.
"Ce n’est pas une tentative de dispersion mais une tentative d’écraser d’une façon sanglante toute voix opposée au coup d’Etat militaire", a dénoncé Gehad el-Haddad, porte-parole des Frères musulmans, sur Twitter. Sa confrérie a appelé "les Egyptiens à descendre dans la rue pour arrêter le massacre". En réponse, le gouvernement a annoncé que le trafic ferroviaire en direction et depuis Le Caire était interrompu.
En représailles à la dispersion, des islamistes ont commencé à bloquer des grands axes du Caire en incendiant des pneus en travers des routes pour tenter de paralyser le pays. Des heurts sporadiques avaient lieu dans plusieurs quartiers du Caire ainsi que d’autres villes du pays.
Dans les provinces d’el-Menia et de Sohag (centre), des pro-Morsi ont incendié des églises de la communauté copte, dont le patriarche avait lui aussi soutenu la décision de l’armée de destituer M. Morsi, toujours retenu au secret. Les militants accusent les pro-Morsi de mener "une guerre de représailles" contre les chrétiens.
Le gouvernement et la presse quasi-unanime accusaient les Frères musulmans d’être des "terroristes" ayant stocké des armes automatiques sur les deux places et se servant des femmes et des enfants comme "boucliers humains". Les nouvelles autorités, s’appuyant sur une grande partie de la population qui reprochait à M. Morsi d’avoir cherché à accaparer le pouvoir sans rien faire pour l’économie en crise, entendent lancer une période de transition devant mener à des élections début 2014.