Professeur de droit public, Anne-Marie Le Pourhiet détaille les raisons pour lesquelles il ne lui semble pas judicieux de réviser le préambule de la Constitution où sont consacrés la philosophie politique de la France ainsi que les droits et libertés des citoyens.
Par décret du 9 avril 2008, le président de la République a désigné le comité présidé par Simone Veil, chargé de réviser le préambule de la Constitution française où sont consacrés la philosophie politique de la France ainsi que les droits et libertés des citoyens. Trois mois s’étant écoulés depuis l’annonce faite le 8 janvier, et le président ayant depuis judicieusement rappelé qu’il n’avait pas été élu pour désigner des comités, on s’était pris à espérer qu’il renonce à son inquiétant projet. Il n’en a rien été.
C’est pour ancrer la Ve République dans la tradition républicaine, et rassurer ceux qui redoutaient une dérive bonapartiste du régime, que la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 avait imposé au gouvernement du général de Gaulle de garantir dans la nouvelle Constitution les droits essentiels consacrés par la déclaration libérale de 1789 et le préambule social de 1946.
La cohabitation n’a pas toujours été facile entre ces deux philosophies puisque le libéralisme impose à l’État de se cantonner dans des fonctions régaliennes (État gendarme) tandis que le socialisme l’invite au contraire à fournir prestations et réglementations (État providence). Toutefois, les textes de 1789 et de 1946 ont en commun un élément essentiel qui assure leur cohérence : l’universalisme, qui ne veut rien voir entre le citoyen libre et la nation souveraine. La consécration de l’autodétermination d’un homme doué de conscience et de raison, libéré de toute chaîne ou appartenance héréditaire, coutumière, ethnique, religieuse ou linguistique est la caractéristique majeure de la tradition républicaine et donc de notre « identité constitutionnelle », pour reprendre l’expression du Conseil constitutionnel. L’égalité de tous les citoyens devant la loi, le refus des groupes, catégories ou corporations, l’abolition des privilèges et la promotion du seul mérite constituent, depuis la Révolution, le socle intangible de nos valeurs.
Or la lettre de mission adressée par le président Sarkozy à Mme Veil, malgré ses précautions de langage, promet clairement une remise en cause de celles-ci. Il ne suffit pas, en effet, d’affirmer que la révision projetée ne saurait « modifier ou affaiblir » les textes de 1789 et de 1946 et qu’il s’agirait seulement d’inscrire dans le préambule « des droits et principes fondamentaux nouveaux ». Les juristes savent bien que beaucoup de « droits nouveaux » issus du multiculturalisme ou du féminisme ne s’ajoutent pas simplement aux droits de l’homme traditionnels mais les contrarient au point de les détruire. Lorsque Marcel Gauchet affirme : « Un nouvel homme des droits de l’homme est né qui n’a plus rien à voir avec son ancêtre de 1789 », il constate simplement que les nouveaux droits aujourd’hui revendiqués ou consacrés dénaturent les libertés fondamentales de la première génération.
Introduire la parité et la diversité dans le préambule revient à saper le principe d’égalité de tous devant la loi et à consacrer des assignations à identité sexuelle, ethnique, linguistique ou religieuse que le Conseil constitutionnel a toujours refusées au nom de l’universalisme révolutionnaire. C’est aussi remettre en cause la méritocratie républicaine que d’introduire des discriminations positives, c’est-à-dire des passe-droits ethniques et sexuels, qui constituent autant de privilèges, au sens étymologique de lois privées, en opposition avec la res publica. Ne nous y trompons pas, c’est la philosophie réactionnaire de Joseph de Maistre, illustrée par son fameux « J’ai vu des Français, des Italiens, des Russes mais quant à l’homme je déclare ne jamais l’avoir vu de ma vie », qui est de retour et que l’on a clairement entendue dans le discours de Dakar qui ne voulait voir, lui aussi, que « l’homme africain ». La remise en cause de la laïcité n’est sans doute pas expressément au programme du comité Veil, mais on devine bien qu’elle rôdera alentour sous couvert de « diversité religieuse » ou de « dignité des croyants », et l’on sait aussi que les militants des langues et « préférences » régionales ont déjà préparé leurs amendements ethnocentriques.
La dignité constitue aujourd’hui la menace la plus directe contre la philosophie des Lumières et l’idée républicaine, l’arme fatale contre nos libertés. Ériger cette notion philosophique et morale, éminemment subjective et relative, en norme juridique est une folie. On voit déjà depuis plusieurs années que c’est au nom de la dignité des individus et des groupes que des militants narcissiques et hystériques ont obtenu la multiplication des incriminations pénales de harcèlement moral et sexuel, de discriminations et propos sexistes, homophobes, handiphobes, etc., aboutissant à un arsenal répressif menaçant notamment les libertés d’expression et de la presse. C’est encore au nom de la dignité humaine qu’est revendiquée une euthanasie « très active », et ce n’est pas non plus un hasard si les décisions juridictionnelles récentes les plus intellectuellement indigentes et tirées par les cheveux ont été rendues sur le fondement de cette notion fourre-tout et galvaudée.
Prenons garde à ce que l’on ne nous remplace subrepticement la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » par la trilogie « dignité, diversité, parité » et que l’emblème « bleu, blanc, rouge » ne vire subitement au « black, blanc, beur ». Le seul texte constitutionnel français à avoir jusqu’à présent mentionné expressément la « dignité de la personne humaine » et reconnu les « droits des communautés » est le projet de Constitution du maréchal Pétain. C’est à méditer.
Dans ses vœux à Jacques Chirac, en janvier 2006, Pierre Mazeaud indiquait que « l’inconstance institutionnelle porte l’empreinte du sous- développement ». C’est exact et il est certain que le remplissage droit-de-l’hommiste ne saurait tenir lieu de philosophie politique. Et puisque nous avons emprunté notre principe « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » à Abraham Lincoln, il conviendrait enfin de rappeler au président de la République française que si c’est le « peuple constituant » qui s’est effectivement référé en 1958 aux principes de 1789 et de 1946, c’est encore à ce même peuple qu’il conviendrait de proposer, cinquante ans plus tard, de les modifier. On ne change pas le contrat social d’une nation sans son consentement exprès et direct.
Anne-Marie Le Pourhiet
Par décret du 9 avril 2008, le président de la République a désigné le comité présidé par Simone Veil, chargé de réviser le préambule de la Constitution française où sont consacrés la philosophie politique de la France ainsi que les droits et libertés des citoyens. Trois mois s’étant écoulés depuis l’annonce faite le 8 janvier, et le président ayant depuis judicieusement rappelé qu’il n’avait pas été élu pour désigner des comités, on s’était pris à espérer qu’il renonce à son inquiétant projet. Il n’en a rien été.
C’est pour ancrer la Ve République dans la tradition républicaine, et rassurer ceux qui redoutaient une dérive bonapartiste du régime, que la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 avait imposé au gouvernement du général de Gaulle de garantir dans la nouvelle Constitution les droits essentiels consacrés par la déclaration libérale de 1789 et le préambule social de 1946.
La cohabitation n’a pas toujours été facile entre ces deux philosophies puisque le libéralisme impose à l’État de se cantonner dans des fonctions régaliennes (État gendarme) tandis que le socialisme l’invite au contraire à fournir prestations et réglementations (État providence). Toutefois, les textes de 1789 et de 1946 ont en commun un élément essentiel qui assure leur cohérence : l’universalisme, qui ne veut rien voir entre le citoyen libre et la nation souveraine. La consécration de l’autodétermination d’un homme doué de conscience et de raison, libéré de toute chaîne ou appartenance héréditaire, coutumière, ethnique, religieuse ou linguistique est la caractéristique majeure de la tradition républicaine et donc de notre « identité constitutionnelle », pour reprendre l’expression du Conseil constitutionnel. L’égalité de tous les citoyens devant la loi, le refus des groupes, catégories ou corporations, l’abolition des privilèges et la promotion du seul mérite constituent, depuis la Révolution, le socle intangible de nos valeurs.
Or la lettre de mission adressée par le président Sarkozy à Mme Veil, malgré ses précautions de langage, promet clairement une remise en cause de celles-ci. Il ne suffit pas, en effet, d’affirmer que la révision projetée ne saurait « modifier ou affaiblir » les textes de 1789 et de 1946 et qu’il s’agirait seulement d’inscrire dans le préambule « des droits et principes fondamentaux nouveaux ». Les juristes savent bien que beaucoup de « droits nouveaux » issus du multiculturalisme ou du féminisme ne s’ajoutent pas simplement aux droits de l’homme traditionnels mais les contrarient au point de les détruire. Lorsque Marcel Gauchet affirme : « Un nouvel homme des droits de l’homme est né qui n’a plus rien à voir avec son ancêtre de 1789 », il constate simplement que les nouveaux droits aujourd’hui revendiqués ou consacrés dénaturent les libertés fondamentales de la première génération.
Introduire la parité et la diversité dans le préambule revient à saper le principe d’égalité de tous devant la loi et à consacrer des assignations à identité sexuelle, ethnique, linguistique ou religieuse que le Conseil constitutionnel a toujours refusées au nom de l’universalisme révolutionnaire. C’est aussi remettre en cause la méritocratie républicaine que d’introduire des discriminations positives, c’est-à-dire des passe-droits ethniques et sexuels, qui constituent autant de privilèges, au sens étymologique de lois privées, en opposition avec la res publica. Ne nous y trompons pas, c’est la philosophie réactionnaire de Joseph de Maistre, illustrée par son fameux « J’ai vu des Français, des Italiens, des Russes mais quant à l’homme je déclare ne jamais l’avoir vu de ma vie », qui est de retour et que l’on a clairement entendue dans le discours de Dakar qui ne voulait voir, lui aussi, que « l’homme africain ». La remise en cause de la laïcité n’est sans doute pas expressément au programme du comité Veil, mais on devine bien qu’elle rôdera alentour sous couvert de « diversité religieuse » ou de « dignité des croyants », et l’on sait aussi que les militants des langues et « préférences » régionales ont déjà préparé leurs amendements ethnocentriques.
La dignité constitue aujourd’hui la menace la plus directe contre la philosophie des Lumières et l’idée républicaine, l’arme fatale contre nos libertés. Ériger cette notion philosophique et morale, éminemment subjective et relative, en norme juridique est une folie. On voit déjà depuis plusieurs années que c’est au nom de la dignité des individus et des groupes que des militants narcissiques et hystériques ont obtenu la multiplication des incriminations pénales de harcèlement moral et sexuel, de discriminations et propos sexistes, homophobes, handiphobes, etc., aboutissant à un arsenal répressif menaçant notamment les libertés d’expression et de la presse. C’est encore au nom de la dignité humaine qu’est revendiquée une euthanasie « très active », et ce n’est pas non plus un hasard si les décisions juridictionnelles récentes les plus intellectuellement indigentes et tirées par les cheveux ont été rendues sur le fondement de cette notion fourre-tout et galvaudée.
Prenons garde à ce que l’on ne nous remplace subrepticement la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » par la trilogie « dignité, diversité, parité » et que l’emblème « bleu, blanc, rouge » ne vire subitement au « black, blanc, beur ». Le seul texte constitutionnel français à avoir jusqu’à présent mentionné expressément la « dignité de la personne humaine » et reconnu les « droits des communautés » est le projet de Constitution du maréchal Pétain. C’est à méditer.
Dans ses vœux à Jacques Chirac, en janvier 2006, Pierre Mazeaud indiquait que « l’inconstance institutionnelle porte l’empreinte du sous- développement ». C’est exact et il est certain que le remplissage droit-de-l’hommiste ne saurait tenir lieu de philosophie politique. Et puisque nous avons emprunté notre principe « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » à Abraham Lincoln, il conviendrait enfin de rappeler au président de la République française que si c’est le « peuple constituant » qui s’est effectivement référé en 1958 aux principes de 1789 et de 1946, c’est encore à ce même peuple qu’il conviendrait de proposer, cinquante ans plus tard, de les modifier. On ne change pas le contrat social d’une nation sans son consentement exprès et direct.
Anne-Marie Le Pourhiet