et son remplacement par le complexe hôtelier Abraj Al Bait.
Au-delà de l’émotion, la destruction de sites historiques majeurs par Daech en Syrie et en Irak pose question : le vandalisme de l’organisation terroriste relève-t-il de la simple irresponsabilité ou au contraire, est-il fondé sur une idéologie précise ?
À l’examen des attitudes wahhabites envers les lieux de mémoire, la réponse se trouve en Arabie Saoudite. Si la destruction de lieux sacrés – et avant tout ceux de l’islam lui-même – a eu ses adeptes dans le passé, dont les premiers Abassides au VIIIème siècle et les premiers Séfévides persans au XVIème siècle, ce n’est qu’avec l’arrivée du wahhabisme, au XVIIIème siècle, qu’elle s’inscrit au cœur même de l’islam réformiste radical. Or, le wahhabisme est aux fondements de l’Arabie Saoudite.
En 1703, à Al-Uyaynah, une oasis du nord de Riyad, naît Muhammad ibn Abd al-Wahhab. En esprit aussi individualiste que puritain, n’écoutant que ses propres perceptions, al-Wahhab conteste l’autorité de ses professeurs et, selon certaines sources, puise dans les prescriptions de l’école hanbalite (la plus rigoriste des quatre écoles de l’islam) pour fonder une ligne doctrinale à même de purger l’islam de ce qu’il considère comme des éléments de décadence et le ramener à une pureté originelle dont il définit personnellement les conditions. D’autres sources, en particulier wahhabites, nient tout rapport avec l’école hanbalite et proclament l’originalité absolue d’al-Wahhab, dont l’inspiration aurait émané d’une révélation divine directe. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, une autre mouvance musulmane fondamentaliste, le Salafisme, est aussi liée au wahhabisme qu’à l’école hanbalite dont elle tire son origine.
Après qu’il a pris sur lui d’infliger des punitions à ceux qui ne se joignaient pas aux prières communales, détruit de ses mains la tombe d’un saint de l’islam et mené un groupe de zélotes à lapider une femme, l’activisme religieux d’al-Wahhab lui vaut un bannissement de sa ville pour hérésie. À Dariya, un village distant de quelques soixante kilomètres, il trouve la protection de l’émir local, Mohammed ibn al-Saoud. Al-Whabbab qui, à l’instar d’un Luther ou d’un Calvin, rejette les exégèses des oulémas accumulées au cours des siècles pour y substituer le libre examen individuel du Coran, des hadiths et de la Sunna, décrie le culte populaire des saints de l’islam et rejette violemment les innovations inacceptables (bid’ah) constituées, selon lui, par le chiisme et le soufisme, est si bien accueilli qu’al-Saoud officialise sa doctrine moyennant un pacte : le minuscule émirat adopte les vues d’al-Wahhab contre le soutien loyal de tous les wahhabites à sa famille régnante. Ainsi, dès ses débuts au XVIIIème siècle, le wahhabisme a représenté le socle du pouvoir politique des Saoud. Il le reste à ce jour. [...]
Sur les décombres de l’empire ottoman, le 22 septembre 1932 Ibn Saoud annonce la création d’un nouvel État, l’Arabie Saoudite. Principalement composé de vastes étendues désertiques, le royaume est misérable, mais cela ne durera pas. Dès l’année suivante, la découverte d’immenses champs de pétrole place l’Arabie Saoudite au rang des pays les plus importants de la planète et le wahhabisme, avec ses moyens dorénavant inépuisables, au centre des débats sur l’islam. [...]
L’Arabie Saoudite, une terre millénaire transformée en méga-complexe hôtelier
Depuis 1985, 98 % des sites religieux et des édifices millénaires de l’Arabie Saoudite ont disparu. En 2014, les portiques ottomans qui entouraient la Kaaba depuis des siècles ont été enlevés, officiellement pour permettre l’extension de la grande mosquée de La Mecque. Auparavant, la maison de l’oncle de Mahomet, Hamza, avait déjà cédé la place à un hôtel ; la maison de Khadijah, sa première épouse, à des toilettes publiques et celle d’Abou Bakr, le premier calife de l’islam, à un hôtel Hilton flanqué d’un Burger King. Aujourd’hui, l’hôtel Mecca Royal Clock Tower construit par l’entreprise de bâtiment Saudi Binladin Group (groupe Ben Laden), qui fait partie d’un complexe ultra-moderne comportant un centre commercial de cinq étages, des hôtels de luxe et des parkings, surplombe la Kaaba à la place de la forteresse Al-Ajyad, une citadelle ottomane bâtie en 1780 pour protéger la ville sainte et ses sanctuaires. L’acte a été qualifié d’« acte de barbarie » et de « massacre culturel » par la Turquie.