La chasse aux "minerais de conflit" déclenchée aux États-Unis par la loi Dodd-Franck a provoqué d’étranges découvertes dans les chaines d’approvisionnement en minerais des firmes américaines.
Pas moins de 1 277 compagnies américaines avaient déclaré, avant la date limite du 1e juin, la lite de leurs fournisseurs, directs ou indirects, de minerais à l’organisme de régulation boursière, la Securities and Exchange Commission. Ils se conformaient ainsi à l’article 1502 de la loi Dodd-Frank portant sur les minerais de conflit qui les oblige à divulguer si les minerais nécessaires à la fonction ou à la production de leurs produits proviennent de la République démocratique du Congo ou des pays avoisinants. Les minerai visés sont l’étain, le tantale, le tungstène et l’or, présents notamment dans de nombreux produits électroniques.
Résultat surprenant de l’application de la loi, 68 des entreprises ayant fait cette déclaration ont listé une fonderie dépendant de la Banque nationale de la République Populaire de Corée parmi leur fournisseur d’or. L’or, en raison de ses qualités conductrices, entre dans la fabrication des cartes SIM. Or, les États-Unis ont instauré des sanctions économiques contre la Corée du Nord depuis 1950, ce qui ne pouvait échapper aux 68 compagnies. Interrogé par Bloomberg, un porte-parole de Hewlett-Packard a confirmé que certains de ses sous-traitants utilisaient de l’or nord-coréen, mais que les produits HP n’en contenaient pas.
Bruce Calder, un responsable du consultant spécialisé dans la législation des approvisionnements, Claigan Environmental, a confirmé à Bloomberg que seulement 1,9% des compagnies suivaient attentivement les recommandations de la SEC en matière d’approvisionnements en minerais. Pratiquement 40% des déclarations ne sont pas complètes, a précisé Bruce Calder. De l’or nord-coréen a également été utilisé dans les systèmes de stockage de données d’IBM. "Nous dépendons de nos fournisseurs, nous n’avons pas été à la source", a expliqué HP, soulignant qu’il n’avait pas tenté de dissimuler les faits. Dans un courriel au Wall Street Journal, IBM a déclaré compter sur ses fournisseurs pour "se procurer des minerais depuis des sources responsables".
Il semble que l’or nord-coréen a pu passer les mailles du filet en raison d’une erreur géographique. Les compagnies utilisaient une liste réalisée par une ONG, Conflict-Free Sourcing Initiative, dédiée à l’identification des raffineries utilisant des minerais ne contrevenant pas à l’article 1502. Dans une version précédente de la liste, la raffinerie aurifère de la banque centrale nord-coréenne était située en Corée du Sud. C’est probablement la source du malentendu, concède Julie Schindall, une porte-parole de l’ONG, indique le Wall Street Journal. Elle ajoute que son organisation est incapable de dire si "des fournisseurs en Chine utilisent encore cette raffinerie".
Un avocat américain, Michael Littenberg, qui travaille sur cette question pour une vingtaine de firmes, a expliqué au WSJ qu’après avoir découvert que leurs fournisseurs utilisaient de l’or nord-coréen, des investigations supplémentaires leur avaient donné la certitude que ce métal jaune n’était pas entré dans la composition de leurs produits. Cela prouve qu’il faudra encore bien des efforts "pour comprendre le fonctionnement des chaines d’approvisionnement", résume Michael Littenberg.