Ministre de la Culture accusé de révisionnisme, Zlatko Hasanbegovic est le personnage le plus controversé du gouvernement ultraconservateur croate. Une tribune publiée mardi 24 mai dans Libération et signée par plusieurs intellectuels européens parmi lesquels Alain Finkielkraut ou Annette Wieviorka dénonce notamment son « idéologie » destinée à « mettre en cause les vérités historiques et les valeurs fondamentales » de l’Union européenne.
Depuis sa nomination, cet historien musulman, considéré comme l’idéologue du HDZ, le parti nationaliste au pouvoir, multiplie les attaques contre la presse, les ONG et les artistes au nom de la lutte contre les restes du communisme dans le pays. Il se défend dans un entretien au Monde.
Vous êtes très critiqué par les milieux culturels, plusieurs milliers d’artistes demandent votre démission, n’est-ce pas un problème ?
Je suis critiqué par une partie de la communauté culturelle et artistique, mais je suis soutenu par une autre. Je dois faire face à une sorte de guerre culturelle. Dans notre société postcommuniste existent en effet toujours des divisions sur les interprétations du passé, notamment yougoslave. Mais, dans mon cas, le cadre d’un débat courtois et civilisé a été dépassé. Il y a une hystérie, une campagne de diffamation, venant d’une pseudo-gauche qui continue à exercer une sorte d’hégémonie culturelle et sociale sans prendre en compte la chute du communisme.
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Vous avez été l’éditeur du penseur d’extrême droite français Alain de Benoist et du suprémaciste blanc Tomislav Sunic. Êtes-vous toujours proche de ces deux hommes ?
La thèse de Tomislav Sunic est un travail universitaire de politologue sur la « nouvelle droite » européenne, soutenu aux États-Unis dans les années 1980. C’est un travail scientifique très apprécié, cela ne veut pas dire que je soutiens tout ce qu’il dit. En ce qui concerne Alain de Benoist, on dit qu’il est controversé, mais, d’après moi, il est l’un des plus grands intellectuels français. Nombre de ses travaux ont joué un rôle prépondérant dans ma formation intellectuelle.
Vous êtes l’un des organisateurs des commémorations du massacre de Bleiburg, où chaque année viennent défiler des nationalistes avec des symboles oustachis. Pourquoi continuez-vous d’y aller ?
Vous vous concentrez sur cinq provocateurs, les symboles oustachis sont un folklore marginal. Bleiburg est le symbole de la souffrance du peuple croate et de la persécution infligée par les communistes yougoslaves. Après la seconde guerre mondiale, ceux-ci se sont débarrassés d’une façon brutale de leurs opposants – pas seulement des militaires sans armes, mais aussi de civils. Il y a eu des exécutions brutales de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Et les crimes de Bleiburg ont été un des tabous les plus importants et les plus sévèrement gardés du communisme yougoslave.
Vous ne mettez pas autant de ferveur à commémorer l’insurrection du camp d’extermination de Jasenovac, où sont morts plus de 80 000 juifs, serbes ou gitans…
C’est votre impression, j’ai le même respect pour toutes les victimes de n’importe quelle guerre. Il y a une différence notable entre Bleiburg et Jasenovac. Pendant cinquante ans, il a été interdit de commémorer les crimes perpétrés à Bleiburg, alors que les manipulations des crimes perpétrés à Jasenovac et l’exagération du nombre des victimes étaient des éléments constitutifs du régime communiste yougoslave et de son idéologie.
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Votre gouvernement s’est clairement rapproché du premier ministre ultraconservateur hongrois, Viktor Orban, qui n’a jamais caché son rejet de l’Islam. Qu’en pense un musulman comme vous ?
Je ne vois pas en quoi Viktor Orban représenterait l’avant-garde de l’islamophobie. Il a certes pris position contre l’immigration. Mais toute sorte d’immigration chaotique et non contrôlée est un problème de société, pour les migrants comme pour le pays d’accueil. Si soudainement il arrivait une immigration incontrôlée de bouddhistes ou de taoïstes, les résistances à l’immigration seraient absolument identiques.
M. Orban ne conteste pas que l’Islam fait partie de l’Europe, il a d’ailleurs récemment reçu le mufti de Bosnie. C’est la différence avec Alain Finkielkraut, qui pense que l’Europe n’est que judéo-chrétienne, qui critique l’Islam et participe à la campagne de diffamation contre moi en me reprochant de mener une « alliance dangereuse entre le catholicisme intégriste et l’islamisme radical », ce qui a provoqué des éclats de rire en Croatie.