Egalité et Réconciliation
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Comment les États-Unis ont tenté de déstabiliser Cuba avec un réseau social

Traduction E&R

L’USAid a lancé ZunZuneo, un réseau social cubain reposant sur un système de messagerie texte, dans l’espoir qu’il puisse servir à organiser des « foules intelligentes » (smart mobs) susceptibles de déclencher un « printemps cubain ».

En juillet 2010, Joe McSpedon, un agent du gouvernement américain, a pris un vol pour Barcelone afin de mettre la dernière touche sur un plan secret de création d’un média social destiné à discréditer le gouvernement communiste de Cuba.

McSpedon et son équipe d’entrepreneurs en haute technologie sont arrivés du Costa-Rica, du Nicaragua, de Washington et de Denver. Leur mission : lancer un réseau de messagerie instantanée touchant des centaines de milliers de cubains. Pour cacher le réseau au gouvernement cubain, ils créeront un système byzantin fait de sociétés écrans utilisant des comptes bancaires situés aux îles Caïmans et recruteront des dirigeants insoupçonnables, qui ne seront pas au courant des liens de la société avec le gouvernement américain.

 

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Joe McSpedon

 

McSpedon ne travaillait pas pour la CIA. C’était un programme payé et supervisé par l’agence américaine pour le développement international (USAid), plus connue pour superviser des milliards de dollars en aide humanitaire.

D’après les documents obtenus pas l’Associated Press et les multiples interviews faites auprès des personnes impliquées dans ce projet, le plan consistait à développer un Twitter cubain, réduit à l’essentiel, utilisant les messages textes des téléphones portables pour contourner le strict contrôle de l’information par le gouvernement cubain et sa mainmise sur l’Internet. Comme un pied de nez à Twitter, il fut appelé ZunZuneo, qui en argot cubain désigne les cris des petits colibris.

Les documents montrent que le gouvernement américain prévoyait la mise en place d’une base donnée d’abonnés à travers des contenus « non sujets à controverse » comme le football, la musique ou les informations sur les ouragans. Plus tard, lorsque le réseau atteindra une masse critique d’abonnés, peut-être des centaines de milliers, l’opérateur introduira des contenus politiques visant à inspirer aux Cubains l’organisation de « foules intelligentes » (smart mobs), des rassemblements de masse appelés à un moment déterminé qui pourraient déclencher un Printemps cubain, ou, comme le présente un document de l’USAid : « renégocier l’équilibre du pouvoir entre l’État et la société ».

À son apogée, le projet draina plus de 40 000 Cubains pour partager des informations ou échanger des opinions. Les abonnés ne furent jamais conscients que cela avait été créé par le gouvernement américain, ou que des entrepreneurs américains rassemblaient leurs données privées dans l’espoir de les utiliser à des fins politiques.

« Il n’y aura absolument aucune mention de l’implication du gouvernement américain », d’après un mémo de 2010 de Mobile Accord, un des entrepreneurs du projet. « Cela est absolument crucial pour le succès à long terme du service et pour s’assurer du succès de la mission. »

La légalité du programme n’est pas claire : les lois américaines requièrent que chaque action de couverture par une agence fédérale ait une autorisation présidentielle. Les fonctionnaires de l’USAid ne veulent pas dire qui avait approuvé le programme ou si la Maison Blanche était au courant. McSpedon, le plus gradé des fonctionnaires, a cité dans les documents obtenus par l’AP un manager de niveau intermédiaire qui déclina tout commentaire.

Le porte-parole de l’USAid, Matt Herrick, déclara que l’agence était fière de ses programmes cubains et fit remarquer que les auditeurs du congrès les avaient passés en revue l’année dernière et les avaient trouvés en accord avec la législation.

« L’USAid est une agence de développement, et non pas une agence de renseignement, et nous travaillons tous à travers le monde pour aider les peuples à exercer leurs droits et libertés fondamentales, et leur donner accès aux outils pour améliorer leur vie et les connecter avec le monde extérieur », déclara-t-il.

Il ajouta : « Dans la mise en œuvre, est-ce que le gouvernement a pris des mesures de discrétion dans des environnements non-permissifs ? Bien sûr. C’est comme cela que vous protégez les professionnels et le public. Dans des environnements hostiles, nous prenons souvent des mesures afin de protéger les partenaires avec qui nous travaillons sur le terrain. Cela n’existe pas qu’à Cuba. »

Cependant le programme ZunZuneo met à mal ces affirmations ; c’est un problème sensible quand on sait que la mission de l’USAid consiste à promouvoir la démocratie et l’aide aux pauvres et aux plus vulnérables à travers le monde, mission qui requiert d’obtenir la confiance des gouvernements étrangers.

« À la vue de cette affaire, plusieurs aspects troublants ressortent » déclare Patrick Leahy, le sénateur démocrate du Vermont et président du sous-comité aux dotations des opérations étrangères du département d’État.

« Il y a un risque pour les jeunes cubains utilisateurs de téléphones portables, qui ne se doutent de rien et n’ont aucune idée du fait qu’il s’agit d’une activité financée par le gouvernement américain. Il y a la nature clandestine du programme qui n’a pas été révélée aux sous-comités, qui ont pourtant des responsabilités quant à la supervision du programme. Et enfin, il y a le fait troublant que cela fut activé peu après qu’Alan Gross, un sous-traitant qui fut envoyé à Cuba pour aider les citoyens à avoir accès à Internet, fut arrêté par les autorités cubaines. »

 

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Le sénateur Patrick Leahy

 

L’Associated Press (AP) a obtenu plus de 1000 pages de documents sur le développement du projet. L’AP a vérifié de manière indépendante le périmètre du projet et les détails fournis dans les documents (comme les numéros de contrat fédéral ainsi que les noms des candidats aux différents postes), à travers les bases de données ouvertes au public, les sources gouvernementales et les interviews avec les personnes directement impliquées dans le projet ZunZuneo.

Prises dans leur ensemble, elles racontent l’histoire d’agents du gouvernement américain qui, bien que travaillant dans le plus grand secret, sont devenus des entrepreneurs à Cuba. Et toute cette histoire commença par l’obtention d’un demi-million de numéros de téléphones portables cubains auprès du gouvernement communiste.

ZunZuneo ressemble à un retour à la guerre froide et à la longue décennie de lutte entre les États-Unis et Cuba. C’est arrivé à un moment ou la relation historiquement aigre entre les deux pays s’était améliorée, du moins marginalement, Cuba ayant fait de timides tentatives d’ouverture vers une économie de marché.

 

 

Il est difficile de savoir si le plan fut au départ l’initiative de l’USAid ou de Creative Associates International, une entreprise basée à Washington qui a gagné des millions de dollars en contrats publics américains. Ce que l’on sait, c’est qu’un contrat « clé » passé avec Cubacel, l’entreprise d’État cubaine de téléphonie mobile, permit l’envoi d’un demi-million de numéros de téléphones portables à un ingénieur cubain vivant en Espagne. Selon les documents, c’est cet ingénieur qui procura les numéros à l’USAid et à Creative Associates gratuitement.

Au milieu de l’année 2009, Noy Villalobos, une cadre de Creative Associates qui travailla avec l’USAid dans les années 90 sur un programme d’éradication des récoltes de drogue, commença une conversation avec son petit frère au Nicaragua via une messagerie instantanée, d’après un courriel de Creative Associates, qui captura la conversation. Mario Bernheim était un « geek » prometteur, qui s’était fait un nom comme expert de l’informatique.

« C’est très confidentiel bien sûr » dit Villalobos à son frère pour l’avertir. « Mais que pourrais-tu faire si tu avais tous les numéros de téléphones portables d’un pays en particulier ? Pourrais-tu envoyer des messages en série sans que le gouvernement le sache ? »

« Peux-tu les crypter ou quelque chose comme ça ? »

Elle était à la recherche d’un accès direct vers les portables des cubains à travers les messageries textes. La plupart d’entre eux n’ayant qu’un accès très limité avec le monde extérieur, le gouvernement voyait l’Internet comme son talon d’Achille et le contrôla en conséquence. Un ministre de la communication fit même un jour référence à un poulain sauvage qu’il fallait dompter en parlant de l’Internet.

Cependant, dans les années qui ont suivi le transfert du pouvoir de Fidel Castro à son frère Raul, Cuba chercha à faire redémarrer son économie jusque-là stagnante. Raul Castro encouragea l’utilisation des téléphones portables, ainsi des centaines de milliers de personnes se mirent soudainement à utiliser des portables pour la première fois, l’accès à l’Internet via les portables restant cependant interdit.

Les cubains pouvaient envoyer des textos, bien qu’à un coût élevé pour un pays dont le salaire moyen est de 20 dollars par mois.

Bernheim dit à sa sœur qu’il pourrait trouver un moyen d’envoyer des textos instantanés aux centaines de milliers de Cubains pour pas cher. Mais cela ne pourrait pas être de manière cryptée car c’était trop compliqué. Ils n’auraient également pas la possibilité de cacher les messages au gouvernement cubain, qui contrôle Cubacel. Cependant, ils pourraient maquiller la provenance des messages en permutant constamment le pays d’émission.

« On pourrait les faire tourner entre différents pays ? », demanda Villalobos. « Disons un message du Nicaragua, un autre d’Espagne et un autre du Mexique ? »

Berheim pouvait faire cela. « Mais j’aurais besoin de miroirs installés à travers le monde, des miroirs, cela veut dire des ordinateurs, jouant le même programme sur la même plateforme avec le même téléphone. »

« No hay problema », termina-t-il. Pas de problème.

Après leur conversation, Creative engagea Bernheim comme sous-traitant, faisant remonter les informations à sa sœur. (Villalobos et Bernheim confirmeront leur engagement avec le projet ZunZuneo à AP, mais ils déclineront tout autre commentaire). Bernheim, en retour, engagea l’ingénieur cubain qui leur avait fourni la liste des numéros de téléphone. L’équipe trouva un moyen d’envoyer un message aux masses sans être détecté, mais leur ambition était bien plus grande.

Creative Associates envisagea l’utilisation des listes afin de créer un réseau social qui pourrait s’appeler « Proyecto ZZ » ou « Project ZZ ». Le service commencerait prudemment et serait destiné surtout aux jeunes cubains, pour lesquels l’USAid voyait le plus d’ouverture à un changement politique.

« Nous devrions accroitre le risque graduellement », proposa l’USAid dans un document. Celui-ci défendait « l’utilisation de “foules intelligentes” uniquement dans des situations critiques et opportunes et pas au détriment du cœur de notre plateforme basé sur le réseau ».

Les équipes d’entrepreneurs et de sous-traitants de l’USAid construiront un site Internet complémentaire au service de messagerie mobile afin que les Cubains puissent s’inscrire, faire des retours d’expérience et envoyer leurs propres messages gratuitement. Ils discutèrent de la manière de rendre le site Internet semblable à celui d’une vraie société. « Des fausses bannières publicitaires donneront l’apparence d’une entreprise commerciale », suggéra une proposition écrite.

 

 

Dans de multiples documents, le personnel de l’USAid fait remarquer que les systèmes de messagerie mobile avaient mobilisé des « foules intelligentes » et des révoltes politiques en Moldavie et aux Philippines, entre autres. En Iran, l’USAid souligna le rôle des réseaux sociaux suite à l’élection contestée du président de l’époque, Mahmoud Ahmadinejad, en juin 2009. L’USAid les considérait comme un important outil de politique étrangère.

Les documents de l’USAid stipulent que l’objectif stratégique à Cuba est de « pousser le pays en dehors de l’impasse dans laquelle il est, à travers des initiatives tactiques et temporaires afin de relancer le processus de transition vers un renouveau démocratique ». Renouveau démocratique dans le régime autoritaire cubain, cela veut dire briser l’emprise des Castro sur le pouvoir.

 

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Les frères Castro, Raul et Fidel

 

L’USAid catégorisa la société cubaine en cinq segments par rapport à la loyauté au gouvernement. D’un coté du spectre se situait « le mouvement démocratique », qualifié de « toujours (quasiment) sans importance », et de l’autre coté se trouvaient les « supporters inconditionnels du système » surnommé les « talibans » dans une comparaison péjorative avec les extrémistes afghans et pakistanais.

Une des questions clés était de savoir comment mobiliser les gens vers le camp des activistes démocrates sans se faire détecter. Bernheim assura que cela ne serait pas un problème.

Bernheim écrivit, dans une proposition écrite pour l’USAid intitulée « Information sensible » : « Le gouvernement cubain, comme d’autres régimes impliqués dans le contrôle de l’information, manque actuellement de capacité pour surveiller et contrôler de tels services. »

ZunZuneo utiliserait la liste des numéros de téléphone pour briser l’embargo cubain sur l’Internet, et cela, pas uniquement pour délivrer de l’information aux Cubains, mais aussi pour qu’ils puissent interagir entre eux d’une façon qui échapperait au gouvernement et qu’il ne pourrait donc pas contrôler. À terme, il créerait un système qui permettrait aux Cubains de s’envoyer entre eux des messages anonymement.

D’après les notes d’une réunion stratégique, la compagnie discuta de la manière de « faire monter les volume d’utilisateurs comme une couverture [...] pour que le réseau soit utilisé pour l’organisation de la dissidence ». Il fut suggéré également que le « panorama soit assez large pour masquer les membres de l’opposition qui s’abonneraient aux services ».

Comme un pied de nez à la citation du ministre des Télécommunications, l’équipe baptisa le réseau « le poulain indomptable ».

Au début, l’équipe de ZunZuneo opéra en dehors d’Amérique centrale. Bernheim, le frère « geek », travailla de Managua, la capital du Nicaragua, pendant que McSpedon supervisait le travail de Creative Associates sur ZunZuneo dans un bureau à San Jose au Costa Rica – mais séparé de l’ambassade américaine. Cet arrangement peu habituel fit froncer les sourcils à Washington, d’après les fonctionnaires américains.

McSpedon travaillait pour le service de l’USAid appelé Office Transition Initiatives (OTI), une division créée après la chute du mur de Berlin pour promouvoir les intérêts américains dans des environnements connaissant de brusques changements politiques – sans l’habituel ruban rouge.

En 2009, un rapport du Congrès émit un avertissement sur le fait que le travail de l’OTI « la mettait souvent dans des imbroglios politiques pouvant avoir des répercussions diplomatiques ». Les membres des comités de supervision se plaignirent que l’USAid dirigeait des programmes secrets et ne procurait aucun détail.

« On nous a dit que nous ne pourrions pas être mis au courant ne serait-ce que dans les grandes largeurs et cela parce que des personnes risquaient ainsi la mort », déclara Fulton Armstrong, qui travailla pour les comités des relations étrangères au Sénat. Avant cela il était un des analystes les plus capés du comité de renseignement US pour l’Amérique latine, conseillant la Maison Blanche sous Clinton.

L’argent que Creative Associates dépensa sur ZunZuneo était publiquement assigné pour un projet non-spécifié au Pakistan, ce que montrent les données du gouvernement. Mais il n’y a pas d’indication sur le lieu où ces fonds ont été véritablement dépensés.

Alors que le projet commençait à être prêt en décembre 2009, les tensions avec le Congrès s’exacerbèrent quand un autre programme de l’USAid se termina par l’arrestation d’un entrepreneur américain, Alan Gross. Gross avait voyagé de façon répétée à Cuba dans le cadre d’une mission destinée à étendre l’usage de l’Internet par le biais de technologies sensibles, disponibles, comme on pouvait s’y attendre, uniquement grâce à l’aide d’un gouvernement étranger, une mission révélée en premier lieu par l’AP en février 2012.

Armstrong déclare qu’à un certain moment, le comité des relations étrangères fut conscient des opérations secrètes de l’OTI au Costa Rica. Les fonctionnaires du gouvernement américain l’admirent en privé, cependant l’USAid refusa de fournir les détails opérationnels.

Lors d’un événement à Washington, Armstrong raconte avoir confronté McSpedon, lui demandant s’il était au courant qu’en travaillant sur des programmes secrets d’un pays tiers, on pourrait penser qu’il travaille pour une agence de renseignement.

McSpedon, via l’USAid, déclara que cette histoire n’était pas vraie. Il déclina tout commentaire.

 

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Concert « Paix sans frontière »,
La Havane, septembre 2009

 

Le 20 septembre 2009, des centaines de cubains se rassemblèrent sur la place de la Révolution à La Havane pour un concert du rockeur colombien Juanes intitulé « Paix sans frontière ». Ce fut le plus grand rassemblement public à Cuba depuis la visite du pape Jean Paul II en 1998. Sous le regard bienveillant de la sculpture géante du révolutionnaire Ernesto « Che » Guevara, le résident de Miami, Juanes, promit une musique destinée à « détourner la haine en amour ».

Pour l’équipe de ZunZuneo, le concert était une opportunité parfaite pour tester le pouvoir politique du média social naissant. Lors des semaines précédentes, la compagnie de Bernheim, utilisant la liste de numéros de téléphone, envoya un demi-million de textos, afin de tester la réaction du gouvernement cubain.

L’équipe recruta Alen Lauzan Falcon, un artiste satirique originaire de La Havane et domicilié au Chili, afin qu’il écrive des messages typiquement cubains. Quelques-uns étaient modérément politiques et comiques, d’autres plus orientés. Un d’entre eux demandait aux destinataires s’ils pensaient qu’entre deux entractes, des musiciens locaux populaires, pas en odeur de sainteté auprès du gouvernement, devaient monter sur scène au coté de Juanes. Quelques 100 000 personnes répondirent, ne réalisant pas que le sondage était utilisé pour rassembler des renseignements cruciaux.

Paula Cambronero, une chercheuse pour Mobile Accord, commença à construire une vaste base de données sur les abonnées cubains, incluant le sexe, l’âge, la « réceptivité » et les « tendances politiques ». L’USAid pensait que les statistiques démographiques sur les dissidents pourraient l’aider à cibler son autre programme cubain et « maximiser nos possibilités à étendre nos compétences ».

Cambronero conclut que l’équipe devait faire attention. « Les messages avec des connotations humoristiques ne doivent pas contenir de connotation politique forte, afin de ne pas créer d’animosité de la part des destinataires », écrivit-elle dans un rapport.

Falcon déclara dans une interview qu’il ne fut jamais au courant qu’il composait des messages pour un programme du gouvernement américain, mais qu’il n’avait aucun regret quant à son implication. « Ils ne m’ont rien dit, et s’ils l’avaient fait, je l’aurais fait quoi qu’il en soit », déclara-t-il. « À Cuba, ils n’ont pas de liberté. Tant qu’un gouvernement me force à payer pour visiter mon pays, me fait demander des permissions, et limite mes communications, je serais contre, que ce soit Fidel Castro, [l’exilé cubain] Jorge Mas Canosa ou Glorian Estefan » la chanteuse américano-cubaine.

Carlos Sanchez Almeida, un avocat spécialisé dans les lois européennes de protection des données, a déclaré qu’il apparaissait que le Congrès avait violé les loi espagnoles sur la confidentialité des données privées car l’équipe de ZunZuneo avait illégalement rassemblé des données personnelles des listes téléphoniques et envoyé des mails non-sollicités en utilisant une plateforme espagnole. « La délivrance illégale d’information est un crime, et l’utilisation d’information pour créer une liste de gens par affiliation politique est totalement prohibé par les lois espagnoles », a affirmé Almeida. « Cela violerait un accord US-Europe de protection des données », a-t-il ajouté.

À partir des enregistrements des serveurs, l’USAid trouva des preuves que La Havane avait essayé de remonter les messages afin de s’introduire dans les serveurs de l’équipe de ZunZuneo, et occasionnellement avait bloqué quelques messages. L’USAid trouva néanmoins la réponse « timide » et conclut que ZunZuneo serait viable tant que son origine resterait secrète.

Bien que Cuba possède l’un des plus sophistiqués services de contre-renseignement dans le monde, l’équipe de ZunZuneo pensait que tant que le service de messagerie aurait l’air minime, Cubacel le laisserait tranquille.

Les documents de Creative Associates et d’USAid arguaient que lorsque le réseau aurait une masse critique, il serait plus difficile pour le gouvernement cubain de le fermer à la fois à cause de la demande populaire et du fait que Cubacel deviendrait dépendant des revenus générés par les messages texte.

En février 2010, la compagnie introduit ZunZuneo auprès des Cubains et commença le marketing. En six mois, le réseau compta presque 25 000 abonnées, croissant rapidement et attirant plus d’attention que l’équipe de l’USAid n’était en mesure de contrôler.

Saimi Reyes Carmona était une étudiante en journalisme à l’université de La Havane quand elle découvrit ZunZuneo. Elle était intriguée par la nouveauté du service et le prix. La publicité annonçait des « messages gratuits », elle s’inscrit donc en utilisant le pseudonyme de Saimita.

Au début, ZunZuneo était une très petite plateforme, expliqua Reyes durant une récente interview à La Havane, mais un jour elle se rendit sur le site Internet et vit que le service s’était étendu.

« J’ai commencé par envoyer un message par jour », le maximum possible au début, explique-t-elle. « Je n’avais pratiquement aucun follower. » Elle était très contente à chaque fois qu’elle en obtenait un nouveau.

Puis la popularité de ZunZuneo explosa.

« Le monde entier voulait en faire partie, et en quelques mois j’avais 2 000 followers dont je n’avais aucune idée de qui ils étaient ni d’où ils venaient. »

Elle laissa ses followers connaître le jour de son anniversaire et fut surprise quand elle reçu quelques 15 messages personnels. « C’est la chose la plus cool que j’aie jamais vue ! », dit-elle à son petit ami, Enesto Guerra Valdes, également étudiant en journalisme.

En peu de temps, Reyes découvrit qu’elle avait le deuxième plus grand nombre de followers sur l’île après un utilisateur appelé UCI, ce que les étudiants devinèrent être l’université d’informatique de La Havane. Son petit ami en avait 1 000. Les deux furent impressionnés par l’importance que cela leur donnait.

« C’est une chose tellement merveilleuse » dit Guerra. « Si noble. » Lui et Reyes tentèrent de comprendre qui était derrière ZunZuneo, car la technologie pour gérer un tel système devait être onéreuse, mais ils ne trouvèrent rien. Ils étaient reconnaissants malgré tout. « On a toujours trouvé cela bizarre, tant de générosité et de gentillesse », dit-il. ZunZuneo était « la Marraine magique des téléphones portables ».

Début 2010, l’équipe de Creative Associates décida que ZunZuneo était tellement populaire que la compagnie de Bernheim n’était en réalité pas assez sophistiquée pour construire « une version réduite de Tweeter ». Elle se tourna vers un autre jeune prodige de l’informatique, James Eberhard, PDG de Mobile Accord INC, une société basée à Denver. Eberhard fut un des pionniers dans l’utilisation des messages textes pour les donations durant les catastrophes naturelles et a levé des millions de dollars après le tremblement de terre en Haïti en janvier 2010.

Eberhard gagna des millions vers ses 25 ans quand il vendit sa compagnie spécialisée dans les sonneries de téléphone et les jeux. Le site Internet de sa compagnie le décrit comme un « visionnaire parmi la communauté mobile mondiale ».

En juillet, il rejoignit McSpedon, Bernheim, et d’autres à Barcelone pour travailler sur ce qu’ils appelèrent une « stratégie en dessous des radars ».

« Si on découvre que la plateforme est, ou a été, financée par le gouvernement américain, on ne risque pas seulement d’avoir le canal fermé par Cubacel, mais on risque également la crédibilité de la plateforme comme source sûre d’information, d’éducation et d’émancipation aux yeux des Cubains », nota Mobile Accord dans un mémo.

Pour couvrir leurs traces, ils décidèrent d’avoir une compagnie basée au Royaume-Uni et de monter une société en Espagne pour le fonctionnement opérationnel de ZunZuneo. Une autre société, séparée, appelée MovilChat, fut créée dans les îles Caïmans, un paradis fiscal bien connu, avec un compte dans la banque de l’île, NT Butterfield & Son, pour payer les factures.

 

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Siège de NT Butterfield & Son aux îles Caïmans

 

Un mémo d’une réunion à Barcelone indique que la société écran avait pour but de distancier ZunZuneo de toute appartenance américaine, pour que « les traces d’argent ne puissent pas remonter aux États-Unis ».

Mais il n’y avait pas uniquement l’argent qui les inquiétait. D’après les documents et les interviews des membres de l’équipe, il fallait également cacher l’origine des messages textes.

Brad Blanken, l’ancien chef opérationnel de Mobile Accord, quitta le projet tôt, mais il souligna qu’il y avait deux critères principaux pour le succès du projet. « Le plus gros défi lorsqu’on créé une telle chose est d’obtenir les numéros de téléphone. Ensuite c’est une question d’habileté à parodier le réseaux. »

L’équipe d’entrepreneurs mit au point un serveur en Espagne et en Irlande afin de générer les messages textes, pris une société espagnole en contrat appelée lleida.net afin de renvoyer les messages textes vers Cuba tout en retirant toutes les données d’identification.

Mobile Accord chercha également à obtenir des renseignements des ingénieurs de la compagnie espagnole de télécommunication Telefónica, dont certains, selon les coordinateurs du projet, « pourraient avoir des connaissances sur le réseau de Cubacel ».

« Comprendre la sécurité et le protocole de surveillance de Cubacel serait un atout inestimable pour éviter les détections inutiles de l’opérateur téléphonique », stipule un mémo de Mobile Accord.

Les fonctionnaires de l’USAid réalisèrent cependant qu’ils ne pourraient pas dissimuler leur implication pour toujours, à moins qu’ils ne quittassent la scène. Cette situation délicate fut résumée brutalement quand Eberhard se rendit pour une session de stratégie début février 2010 à Washington, où sa compagnie souligna l’« inhérente contradiction » de donner aux Cubains une plateforme de communication non-influencée par leur gouvernement qui était en fait financée par celui des États-Unis et bien sur influencée par leur propre agenda.

Ils se tournèrent vers Jack Dorsey, le co-fondateur de Twitter, pour trouver des financements pour le programme. Les documents montrent que Dorsey rencontra Suzanne Hall, un officier du département d’État qui travaillait sur des projets propres aux réseaux sociaux et autres. Dorsey refusa tout commentaire.

Le département d’État, sous la secrétaire Hillary Rodham Clinton, considérait les réseaux sociaux comme un important outil diplomatique. Lors d’un discours en 2011 à l’université George Washington, Clinton déclara que les États-Unis aidaient les peuples « à contourner les filtres dans les environnements oppressant l’Internet ». Elle déclara qu’en Tunisie, les gens ont utilisé la technologie « pour s’organiser et partager leurs griefs à l’égard du pouvoir, qui comme nous le savons, aidèrent à la prolifération d’un mouvement qui mena au changement révolutionnaire ».

 

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Hillary Clinton lors de son discours à l’université George Washington en février 2011

 

Finalement, la solution choisie fut un nouveau management qui séparerait ZunZuneo de ses origines américaines et génèrerait assez de revenus pour sa propre indépendance, tout en gardant comme stratégie à long terme d’amener le changement démocratique.

Eberhard mena l’effort de recrutement, une opération sensible du fait de la volonté de garder le management de la société espagnole à l’écart et dans l’opacité.

L’équipe de management de ZZ n’aura aucune connaissance de la véritable origine de l’opération. « Tout ce qu’ils savent, c’est que la plateforme fut établie par Mobile Accord », mentionne le mémo. « Il ne doit y avoir aucun doute dans l’esprit du management et aucune insécurité ou inquiétude concernant l’implication du gouvernement américain. »

Le mémo continue en déclarant que la conscience tranquille du PDG serait « particulièrement cruciale au moment de négocier avec Cubacel ». Sensible au coût élevé des messages texte pour le cubain moyen, ZunZuneo négocia un tarif de groupe au travers d’un intermédiaire espagnol. Les documents montrent qu’il y avait un espoir qu’un PDG ferme, convaincant et sans connaissance de l’historique serait capable de convaincre Cubacel de soutenir le projet.

Mobile Accord considéra une douzaine de candidats de cinq pays différents pour diriger la compagnie vitrine espagnole. Un d’entre eux était Françoise de Valera, PDG qui était en vacance à Dubaï quand elle fut approchée pour un entretien. Elle s’envola pour Barcelone. Au luxueux Mandarin Oriental, elle rencontra Nim Patel, qui à l’époque était le président de Mobile Accord. Eberhard avait aussi fait le déplacement pour l’entrevue. Cependant elle déclara qu’elle ne pouvait pas obtenir une réponse claire sur ce qu’ils cherchaient réellement.

« Ils me parlèrent de messagerie instantanée mais rien sur Cuba ou les États-Unis », déclara-t-elle à l’AP dans une interview à Londres. « Si l’on m’avait proposé le rôle que je l’avais accepté, je crois que tôt ou tard, il me serait devenu évident que quelque chose ne tournait pas rond », ajouta-t-elle.

En 2011, Creative Associates commença à être exaspéré par l’incapacité de Mobile Accord de faire de ZunZuneo un projet autosuffisant et indépendant du gouvernement américain. Le projet était devenu une entreprise insolvable. L’USAid payait des millions de dollars en frais de messagerie au monopole de télécommunication cubain via un compte secret et une société écran. Ce n’était pas une situation qu’elle pouvait s’autoriser ou même justifier – et si cela devait être connu du grand public, l’affaire pourrait devenir embarrassante, voire pire.

Lors d’une virulente évaluation, Creative Associates déclara que Mobile Accord avait ignoré les impératifs de durabilité car il se sentait à l’aise grâce aux généreuses subventions du gouvernement américain. Sur 60 points attribués pour la performance, Mobile Accord n’en obtint que 34 ; Creative Associates se plaignit du peu de compréhension de Mobile Accord sur la mission sociale du projet et lui attribua 3 sur 10 pour son « engagement aux objectifs du programme ». Mobile Accord se refusa à tout commentaire.

Sur un ton de plus en plus impatient, Creative Associates pressa Mobile Accord de trouver de nouveaux revenus qui pourraient payer les factures. Mobile Accord suggéra de vendre des publicités ciblées à Cuba, mais même avec des projections de plus d’un million d’utilisateurs, la publicité dans une économie étatiste reviendrait à une maigre pitance.

En mars 2011, ZunZuneo avait presque 40 000 utilisateurs. Afin de rester discret, il abandonna ses espérances passées d’atteindre les 200 000 et au contraire limita le nombre d’utilisateurs à un niveau moindre. Cela réduisit les messages textes de ZunZuneo à moins de 1 % du trafic total de Cuba, ceci afin d’éviter le soupçon des autorités cubaines. Cependant un ancien employé de ZunZuneo, qui parle sous l’anonymat car il n’est pas autorisé à évoquer son travail, déclara que les Cubains commençaient à avoir la puce à l’oreille et avaient essayé de bloquer le site.

 

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Message Facebook excusant
des problèmes techniques

 

Vers le milieu de l’année 2012, les utilisateurs cubains commencèrent à se plaindre du fait que le service fonctionnait de manière sporadique. Puis plus du tout.

ZunZuneo disparut de manière aussi mystérieuse qu’il était apparu.

En juin 2012, les utilisateurs qui avaient accès à Facebook et Twitter se demandèrent ce qu’il s’était passé. « Ou peut-on prendre des messages pour ZunZuneo ? », demanda une femme sur Facebook en novembre. « Pourquoi je ne les reçois plus ? » Les utilisateurs qui allèrent sur le site de ZunZuneo furent renvoyés sur un site pour enfant avec un nom similaire.

Reyner Aguero, un blogueur de 25 ans, dit que lui et ses amis, étudiants à l’université d’informatique de La Havane, essayèrent de retrouver la trace du site. Quelqu’un avait redirigé le site Internet au travers d’un DNS bloquant, une technique de censure développée initialement dans les années 90. Selon lui, les officiers du renseignement dirent aux étudiants plus tard que ZunZuneo avait été mis sur liste noire. « ZunZuneo, comme toute les choses qu’ils ne peuvent pas contrôler, était une menace », raconte Aguerro.

Dans un espagnol approximatif, ZunZuneo posta une note sur sa page Facebook disant qu’il était conscient des problèmes d’accessibilité du site et qu’il essayait d’y remédier.

« ¡Que viva el ZunZuneo ! », dit le message. Longue vie a ZunZuneo !

En février, lorsque Saimi Reyes et son petit ami Ernesto Guerra furent choqués lorsqu’ils découvrirent l’origine de ZunZuneo.

« Comment pouvions nous réaliser cela ? », se demanda Guerra. « Ce n’est pas comme s’il y avait un panneau disant “Bienvenue à ZunZuneo, fait pour vous par l’USAid !” »

« De plus, il n’y avait rien de mauvais la dedans. Si j’avais reçu des messages subversifs, des menaces de morts ou des incitations comme “Tout le monde dans la rue !”, je me serais dit d’accord, il y a quelque chose de racoleur la dedans. Mais rien de tout cela ne se produisit. »"

L’USAid affirme que le programme se termina quand l’argent fit défaut. Le gouvernement cubain refuse de commenter.

L’ancien nom de domaine est maintenant à vendre pour 299 dollars. Le registre de MovilChat, la société écran aux îles Caïmans, doit expirer le 31 mars.

À Cuba, rien n’a remplacé ZunZuneo. L’accès à Internet est toujours restreint.

« Le moment ou ZunZuneo disparu fit comme un vide », dit Guerra. « Les gens m’envoyaient des textos : “Qu’est-ce qu’il se passe avec ZunZuneo ?” »

« Finalement, on n’a jamais su ce qu’il s’est passé », dit-il. « On n’a jamais appris d’où cela venait. »

 

Voir aussi, sur E&R :

Sur les « révolutions colorées » et autres manipulations de l’empire,
chez Kontre Kulture :

 






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