Sur France Culture, Caroline Fourest met dans le même sac un dictateur vieillissant (Castro), les FARC et un président sud américain en exercice (Chavez), avec des approximations ahurissantes. Gaël Brustier s’étonne qu’autant d’approximations puissent être assénés sur une radio publique.
Dans une étonnante chronique consacrée aux « guérilléros », Caroline Fourest a multiplié les clichés, les imprécisions et les contrevérités. Si on écoute attentivement la chroniqueuse des lundis matins de France Culture, on peine à comprendre de quoi il est question mais Chavez, Castro et de mystérieux amis des FARC semblent visés...
Quatre jours après une tentative de putsch contre le Président socialiste Rafaël Correa (accusé sur les mêmes ondes par Alexandre Adler de collusion avec les FARC), il est étonnant de voir une chroniqueuse « de gauche » mener pareille offensive radiophonique avec autant d’accumulations d’imprécisions.
Derrière son micro, Caroline Fourest dénonce les groupes qui, en France, font preuve de mansuétude à l’égard des FARC au nom du « romantisme révolutionnaire ». On a beau suivre l’actualité latino-américaine, on est en peine de trouver des soutiens aux FARC en Europe. On comprend mal comment Marulanda et ses bottes en caoutchouc serait parvenu à créer une connivence « romantique » et comment le fiasco historique colombien, cette guerre civile sans fin, de l’extermination des militants de gauche par les paramilitaires à la dérive totale des groupes épars des guérillas, pourrait susciter un quelconque rêve...
Caroline Fourest dénonce l’asile donné par Chavez aux FARC. Une fois de plus, elle manifeste là son ignorance de l’histoire du Venezuela, de sa géographie, comme de celle de la Colombie. Dans tous les gouvernements vénézueliens (de Carlos Andrés Pérez, Rafaël Caldera puis Hugo Chavez), il y a eu un « Ministre de la Frontière » pour une bonne et simple raison : compte tenu de la guerre civile colombienne et de la nature inextricable de la frontière (forêt dense etc...), il est nécessaire pour la Casa Amarilla (le Quai d’Orsay de Caracas) de dialoguer à la fois avec le gouvernement et les factions « révolutionnaires » présentes (FARC et ELN).
Mais Caroline Fourest n’a pas imaginé que la continuité de la politique vénézuelienne en la matière puisse être plus importante qu’elle ne le pensait. Cette ignorance est d’ailleurs partagée par Alexandre Adler qui affirme qu’il « ne pleut pas beaucoup au Vénézuela » (sic). S’ils entendent y passer leurs vacances, que l’un et l’autre s’attendent donc à y trouver autre chose qu’un climat sec et tempéré... Chroniquer depuis le XVIème arrondissement devrait avoir une contrepartie : s’intéresser à l’avance à ses sujets, vérifier, confronter... La méconnaissance de la géographie de ce pays n’a d’égale que celle qui est la leur de l’histoire de l’Amérique latine...
Chavez révulse Fourest. Chacun a des bêtes noires. Chavez est né dans l’Etat de Barinas au Vénézuela, il est métis, dans une société longtemps marquée par la ségrégation. Ses adversaires des beaux quartiers l’appellent le « singe » parce qu’il est « zambo », métis d’Indiens et d’esclaves noirs... Chavez a une vision du monde qu’on peut juger contestable. Victime d’un putsch en 2002, fomenté à la télévision en direct, par le patronat ou le clergé proche de l’Opus Dei (Caroline Fourest pourra, si elle souhaite, passer ses vacances tropicales à rencontrer Monseigneur Baltazar Porras, proche des ultraconservateurs du Vatican), Chavez a quelque peu de mal à émanciper sa lecture géopolitique du monde d’une vision ami-ennemi qui lui fait préférer la fréquentation de quelques spécimens douteux (comme Loukachenko par exemple).
On mettra de coté l’Iran avec lequel le Vénézuela a, de tout temps (OPEP oblige) eu des échanges... A propos de Chavez, rappelons à Caroline Fourest une autre vérité indéniable. C’est Hugo Chavez qui a promu une réforme de la « Constitution bolivarienne du Venezuela » incluant la possibilité d’unions pour des couples du même sexe. Ce que Caroline Fourest ignore par la même occasion, c’est l’utilisation par Primero Justicia et ses alliés « sociaux-démocrates » ou « démocrates-chrétiens » de l’article de la réforme pour mener une campagne sur la prétendue homosexualité du Président et lancer une lancinante campagne homophobe aussi subtile que celle qui visait à faire croire au peuple vénézuelien que les Cubains allaient enlever leurs enfants. On connaît l’histoire : Chavez a perdu le référendum et reconnu sa défaite. Les réformes sociétales chères à Caroline Fourest attendront !
Chavez, accusé d’abriter le « trafic de drogue » est coupable de « soutien aux FARC », fait aussi oublier à Caroline Fourest que l’ancien Maire de Medellín (Alvaro Uribe, ex-Président colombien), ancien directeur de l’aviation civile, détient le record de délivrance de licences de pilotage (mais à quoi donc peut-il servir à tant de colombiens de savoir piloter ?).
Le même soutien est imputé à Cuba. Or la vérité historique est que seule l’ELN s’est directement inspirée ou a été inspirée par Guevara... Je succombe sans doute là moins au « parfum d’attraction ambigu qui flotte parfois autour du guérilléro latino-américain » qu’à la connaissance (certes relative) de ces pays qui m’inspire surtout le souhait d’affiner sans cesse l’analyse et de prendre en compte une complexité que le goût des hommes politiques locaux pour le ton définitif et les envolées lyriques camoufle trop souvent...
Ce qui est gênant dans la chronique de Caroline Fourest ce n’est pas le fait qu’elle critique les FARC. Qui peut soutenir avec sérieux qu’après quarante ans de guerre civile les FARC, l’Armée colombienne, l’ELN et a fortiori les paramilitaires d’extrême droite (qui eux n’enlèvent pas puisqu’ils découpent leurs victimes à la tronçonneuse) ont les mains propres ? Qui soutiendra qu’un gosse (ou un adulte) armé d’un fusil est incapable, quelque soit l’idéologie qu’on lui inculque, de violer ou tuer...
On ne peut reprocher à Caroline Fourest ses élans humanitaires... Qu’Ingrid Betancourt apparaisse antipathique ne justifie nullement ses six années de calvaire même infligées par une guérilléra d’origine marxiste. On peut reprocher en revanche deux choses à Caroline Fourest. D’une part, reproche peut lui être fait d’ignorer l’histoire et l’actualité des pays dont elle parle : ses erreurs manifestes ne sont pas à l’honneur de quelqu’un qui s’exprime sur France Culture.
D’autre part, on ne saurait passer sous silence sa vision « systémiste » qui inquiète (et rappelle le livre de Victor Farias consacré aux pseudo-connivences de Salvador Allende avec... l’eugénisme et le national-socialisme). Elle inquiète parce qu’elle marque une fracture dans le camp laïque dont Caroline Fourest prétend devenir l’égérie sinon l’incarnation. Ceux qui font preuve, comme elle, d’un universalisme abstrait semblent irrésistiblement attirés par le néoconservatisme, c’est à dire par une vision du monde qui fonctionne exactement comme ceux qu’elle dénonce : selon un mode ami-ennemi exclusif.
Face à cette dérive il restera aux autres militants laïques à éviter l’européocentrisme tout en refusant le différentialisme et la complaisance envers l’islamisme. Il s’agira de nouer un dialogue avec le Sud qui tienne compte de quelques réalités : les contingences nationales de chaque pays et une temporalité qui, hélas, n’est pas calquée sur Saint Germain des Prés...