L’admiration affichée du dirigeant brésilien pour Israël ne suffit plus à masquer les impairs antisémites de son gouvernement. Dernier scandale en date : l’accueil réservé fin juillet à la vice-présidente du parti d’extrême droite allemand AfD, petite-fille d’un ministre d’Hitler.
Comme quoi on peut être sioniste et antisémite ? C’est ce que sous-entend, sans l’écrire, Le Monde du 20 août 2021 dans cette énième tribune contre le populiste Bolsonaro, qui marche dans les traces de Trump depuis son élection.
Trump, c’est ce (45e) président qui passera son temps à rassurer les juifs américains, à « exploiter » ses quatre petits-enfants juifs, à flatter les Israéliens, tout en les mettant dans l’embarras avec une politique extérieure en apparence illisible : retrait américain objectif du Proche-Orient, entente tacite avec Poutine pour le laisser finir le travail en Syrie, pseudo-bombardement de représailles d’une base aérienne syrienne (désertée), bref, de grands mots sionistes pour de minuscules gains israéliens, quand il ne s’agit pas de reculades.
Le contraste entre le message creux de Trump au mémorial de l'Holocauste Yad Vashem avec celui qu'avait laissé Obama est saisissant. https://t.co/INmnAxzqZN
— pierre haski (@pierrehaski) May 23, 2017
N’oublions pas le gag du message sur le livre d’or de la Shoah (« C’est un grand honneur d’être ici avec tous mes amis. Tellement incroyable, je n’oublierai jamais ! »), ainsi que la reconnaissance de Jérusalem comme capitale, avec l’ambassade US sur place, ce qui déclenchera la fureur du monde arabe, Palestiniens et Turcs en avant. De quoi faire bien bouger les lignes, et mettre Israël dans une situation internationale délicate. Un coup à trois bandes que la presse française a eu du mal à reconnaître, tant elle verse dans l’anti-trumpisme primaire. Ce type ne pouvait qu’être un balourd en politique, pas un florentin !
Or, Trump, c’est monsieur Plein cirage, celui qui flatte pour étouffer. BHL, à l’époque (le 25 décembre 2017), ne s’était pas trompé sur la sionophilie vicelarde du milliardaire : dans sa Règle du jeu, il mettait en garde les juifs (BHL a le droit de dire les juifs, pas nous) contre leur faux ami :
D’abord Trump. Je sens trop le côté gros malin, acculé par des défaites diverses et consécutives, qui a trouvé là son coup fumant de fin de première année de mandat. Ami des juifs, dit-il ? Protecteur et saint patron d’Israël ? Pardon, mais je n’y crois guère. Je ne pense absolument pas que Donald Trump soit mû par le sentiment d’une union sacrée de l’Amérique et d’Israël ou, comme on disait déjà du temps des Pères pèlerins des États-Unis, de la nouvelle et de l’ancienne Jérusalem. Je n’imagine pas l’âme de Trump disponible, de quelque façon que ce soit, à la reconnaissance de la singularité juive, à la célébration des paradoxes de la pensée talmudique ou au goût de l’aventure qui animait la geste ardente, lyrique et héroïque des pionniers laïques du sionisme. Et je ne pense pas davantage que les fameux néo-évangélistes qui forment, paraît-il, ses bataillons d’électeurs les plus solides aient la moindre idée de ce qu’est, en vérité, cet État nommé par des poètes, bâti par des rêveurs et poursuivi jusqu’à aujourd’hui, dans le même souffle ou presque, par un peuple dont le roman national est semé de miracles rationnels, d’espérances sous les étoiles et de ferveurs logiques. Eh bien ? Eh bien l’Histoire nous apprend qu’un geste d’amitié abstrait, insincère, délié de l’Idée et de la Vérité, amputé de cette connaissance et de cet amour profonds qu’on appelle, en hébreu, l’Ahavat Israël, ne vaut, finalement, pas grand-chose – ou, pire, elle nous enseigne comment, en vertu d’une mauvaise chimie des fièvres politiques dont le peuple juif n’a eu que trop souvent à endurer l’épreuve et les foudres, il y a tous les risques que ce geste, un jour, se retourne en son contraire.
Un an plus tôt, le 23 janvier 2017, toujours dans La Règle du jeu, il avait déjà senti la vape :
Israël a peut-être été lâché par Obama. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’il sera trahi par Trump. Celui-ci ne multiplie-t-il pas les signes de bienveillance ? Et le choix d’un ambassadeur ami, l’annonce du transfert à Jérusalem de l’ambassade, la nomination d’un gendre, Jared Kushner, à la Maison-Blanche ne sont-ils pas des gestes forts, dont il faudrait se réjouir ?
Oui et non.
Car il y a une loi formulée par Gershom Scholem quand, au moment du procès Eichmann, il reprocha à Hannah Arendt de manquer à la « Ahavat Israël », à l’« amour du peuple juif ».
Elle dit, cette loi, que, s’agissant d’Israël, les preuves d’amour comptent, paradoxalement, moins que l’amour lui-même.
Elle dit, pour être précis, que les gestes d’amitié, quand ils ne sont pas adossés à une connaissance et à un attachement sincères, se retournent, un jour ou l’autre, en leur contraire.
Lucide, le Bernardo ! Aujourd’hui, quatre ans après les frasques de Donald, c’est Bolsonaro qui reprend le flambeau du sionisme à double face, un sionisme qui ressemble à un bouclier avec quelque chose d’autre derrière. Le président du temple israélite de Rio ne tarit pourtant pas d’éloges sur le président brésilien :
« Nous, les juifs brésiliens, nous n’avons jamais connu meilleur moment. Bolsonaro nous aime. Il est un ami naturel d’Israël et s’identifie à ce pays. »
Soudain, la lune de miel vire au drame. Le Monde écrit :
Mais derrière l’assurance perce une inquiétude. En cause : une polémique, qui vient d’ébranler la communauté. Le 22 juillet, Bolsonaro a reçu à Brasilia, tout sourire, la visite de la députée allemande Beatrix von Storch. À 50 ans, l’élue est non seulement vice-présidente du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) mais aussi et surtout la petite-fille de Johann Ludwig von Krosigk (1887-1977), ministre des finances d’Adolf Hitler.
L’événement a immédiatement déclenché l’émoi. « Le bolsonarisme ne cache plus ses sympathies », a tweeté l’organisation de gauche Juifs pour la démocratie, torpillant une AfD « aux racines liées au nazisme et ouvertement xénophobe ». Elle a été rejointe par les responsables du Musée de l’Holocauste et par la Confédération israélite du Brésil (Conib). « Cette visite nous préoccupe beaucoup, explique Cláudio Lottenberg, le président de cette confédération. Elle renvoie aux moments les plus sombres de notre histoire. »
- Bolso touche ici la pierre qui porte bonheur électoralement
Le journal des Lobbies et des Marchés nous apprend que Bolso a vécu comme une revirement, ou une illumination, un jour de 2016 où il a peut-être voulu devenir président (il sera élu en 2018) :
Longtemps, le leader de l’extrême droite a été surnommé le « Hitler de Brasilia », recevant dans les années 2000 le soutien de groupuscules néonazis antisémites. Le grand retournement a eu lieu en 2016. Né catholique, Jair Bolsonaro visite alors Israël, kippa sur la tête, et se fait baptiser par un pasteur évangélique dans les eaux du Jourdain. Il en revient ému et conquis par le pays.
Hélas, le directeur de l’institut Brésil-Israël y a vu autre chose que de l’amour pour les juifs brésiliens, qui ne sont que 120 000 et ne pèsent que 0,6 % de la population, c’est-à-dire rien du tout du point de vue électoral. Mais la politique, ce n’est pas seulement le nombre, c’est aussi l’influence.
« Mais le changement d’attitude de Bolsonaro est d’abord stratégique et pragmatique, relève Daniel Douek, sociologue et directeur de l’Institut Brésil-Israël. Il s’agit pour Bolsonaro de séduire l’électorat évangélique en pleine croissance [représentant 30 % de la population], fasciné par Israël et l’Ancien Testament. Le président aimerait aussi laver son image ternie, et montrer qu’il protège les minorités, alors qu’il est accusé de persécuter les Noirs et les indigènes. Enfin, Bolsonaro veut souligner le fait que des Blancs – en l’occurrence, les juifs – peuvent aussi subir des discriminations. » La démarche « a séduit une partie de la communauté », selon le sociologue. Mais cela n’est pas allé sans couacs en tout genre.
Difficile de démêler, dans la ou les stratégies successives de Bolsonaro (ses deux fils arboraient des tee-shirts à la gloire d’Israël), ce qui relève du philosémitisme, de la sionophilie, du sionisme, de l’antisionisme ou de l’antisémitisme, tant ces concepts sont utilisés comme leurres ou boucliers par les hommes politiques de nombreux pays.
Le problème, c’est la pression sioniste ou de la communauté juive organisée sur les présidents de ces pays, qui sont obligés de faire parfois allégeance, de dire que la sécurité d’Israël compte plus que celle de leur propre pays, et de se ridiculiser comme notre Macron avec Kalifat, le président du CRIF. On ne sait plus qui dirige !
Quant à Bolsonaro, il applique la méthode Trump, qui désoriente complètement l’adversaire. Ou le partenaire...
Bolsonaro est d’extrême droite, mais les juifs brésiliens votent pour lui : bug ?