Vous mangez de la viande halal et la majorité des produits sur les étagères des supermarchés sont cashers. Vous pensez que l’intrusion du religieux dans votre alimentation ne peut aller plus loin. Détrompez-vous, voici maintenant les rabbins-inspecteurs.
Filet soigneusement posé sur la tête et sur la barbe, l’inspecteur s’assure qu’il n’y pas d’insectes dans la farine ni de rongeurs dans la boulangerie Homemade à Outremont. « Faut surveiller. On vérifie. Parfois je viens à minuit pour inspecter. Je n’ai jamais rien trouvé ici. »
Salomon Kermel ne travaille pas pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments. L’homme d’une soixantaine d’années est plutôt inspecteur de Vaad Hair, une division du Conseil de la communauté juive de Montréal. Son travail consiste à s’assurer que la boulangerie respecte les règles de la religion juive, ce qui permet à l’entreprise de vendre ses produits comme cashers.
Une enquête de l’émission J.E. diffusée vendredi à 19h à TVA montre comment, grâce au soutien financier d’Ottawa, le Conseil de la communauté juive de Montréal pilote un projet qui vise à faire des rabbins comme Salomon Kermel, des inspecteurs en aliments. Alors que le gouvernement fédéral coupe dans le budget de l’agence canadienne des aliments, il a accordé en novembre 2011 une subvention de près de 800 000$ à Vaad Hair. Un produit casher deviendra ainsi un aliment approuvé pour consommation. Comme si, finalement, des inspecteurs gouvernementaux l’avaient inspecté.
« Les rabbins s’assurent déjà du respect d’un certain nombre des normes alimentaires de l’Agence canadienne à l’intérieur de leur vérification cashère. » explique au journaliste de J.E., Danielle Médina qui pilote le projet pour le Conseil. L’idée est donc de profiter de ce travail et éviter ainsi les dédoublements avec l’Agence fédérale. « Ce ne sont pas les rabbins qui vont décider des normes, ce sont les experts. »
Le projet vise d’abord les pâtisseries, l’huile et le chocolat. Mais l’objectif c’est de l’étendre à l’ensemble des aliments à l’exception du lait et de la viande.
Mais ce n’est pas la responsabilité d’un organisme religieux de déterminer la salubrité de ce que vous mangez, estime le Centre canadien de politiques alternatives. L’économiste David Macdonald accuse Ottawa d’utiliser les rabbins pour privatiser l’inspection des aliments au pays. « On ne peut pas voir le même niveau de confiance », estime-t-il. « Si le gouvernement paye moins cher pour des inspecteurs, on aura des personnes moins bien formées et moins expérimentées. »
« Je m’inquiète. Nous n’avons jamais eu autant d’inspecteurs et ça n’a pas empêché les problèmes de XL Foods, en Alberta. » Dans cette optique, couper dans les budgets de l’Agence canadienne d’inspection des aliments et, en même temps, subventionner une organisation religieuse est préoccupant, selon l’organisme basé à Ottawa.
Le Conseil rabbinique de Montréal de son côté se frotte les mains. Pour le rabbin David Bannon, cela va favoriser le développement de la certification cashère. « On va pouvoir certifier la qualité du produit pour les juifs et pour la population en général », précise-t-il, en ajoutant qu’il s’agit, à son avis, d’un accommodement tout à fait raisonnable.
Comme pour le reste des produits cashers, la facture sera en effet distribuée à l’ensemble des consommateurs. Kevin Hart, propriétaire de la boulangerie Homemade estime que cela augmente son coût de production de 5 à 7%. Une facture qu’en tant que consommateurs, vous devez payer bien sûr.