La réponse du berger syrien à la bergère euro-américaine ne s’est pas trop fait attendre : dans sa quatrième adresse au pays depuis le début des troubles – sous la forme cette fois d’un entretien avec deux journalistes de la télévision d’Etat syrienne -, Bachar al-Assad a mis quelques points sur les « i ».
D’abord à l’intention des Américains et de leurs amis de l’U.E. qui avaient exigé – jeudi 18 août – son départ du pouvoir – et de Syrie. Pour le n°1 syrien « de tels propos ne doivent pas être tenus à l’égard d’un président qui a été choisi par le peuple syrien et qui n’a pas été installé par l’Occident, un président qui n’est pas fabriqué aux Etats-Unis. »
Pour Bachar al-Assad ces paroles (les appels à son départ) « se disent à un peuple soumis qui accepte de recevoir des ordres de l’étranger« . Et, pour que les choses soient claires pour tout le monde – Américains, Européens ou Turcs – « Toute action militaire contre la Syrie aura des conséquences autrement plus graves que ce qu’ils peuvent imaginer. » En un mot comme en cent, Bachar n’est pas Kadhafi et la Syrie n’est pas la Libye.
Quand le président syrien rappelle qu’il a été « choisi » par le peuple syrien, il se réfère au référendum du 10 juillet 2000 qui a consacré par un vote populaire sa désignation, un mois plus tôt, comme successeur de son père par le Parlement de Damas.
On peut légitimement critiquer ou relativiser la validité démocratique de ce genre de procédure, ironiser sur le score « à la soviétique » obtenu par Bachar en la circonstance, il n’en demeure pas moins que le chef de l’Etat syrien a sans doute au moins autant de légitimité populaire que le président américain qui n’a obtenu que 53% des suffrages des 63% d’électeurs s’étant déplacées en 2008 – une élection de « maréchal » par rapport à Bush Jr qui avait obtenu 50,73% des 56,7% de votants.
La Syrie « inaffamable » et indomptable
A propos de pressions étrangères, le chef de l’Etat a relativisé l’impact des mesures de rétorsion économiques décidées – ou en passe de l’être – par les Euro-Américains : la Syrie, a-t-il rappelé, est déjà victime de sanctions économiques de la part des Occidentaux, et notamment des Américains, depuis 2003 (voir notre article « Samir Aita : la Syrie est déjà sous le coup de sanctions économiques depuis huit ans« , mis en ligne le 16 août). « Malgré les bonnes relations économiques que nous avions avec l’Europe, nous avons d’autres alternatives » assuré Bachar al-Assad, qui a précisé son propos : « On s’est orienté vers l’Est et nous continuerons à le faire« .
L’ »Est« , c’est évidemment la Russie, mais ce peut-être aussi la Chine, l’Inde, l’Iran. Pour autant, Bachar ne nie pas que la crise intérieure a eu un impact sur l’économie – on pense notamment au secteur touristique – mais il estime que la situation « commence à se rétablir depuis deux mois. » De toute façon, « la Syrie ne peut avoir faim, car nous avons une autosuffisance » a-t-il affirmé.
Interrogé par les journalistes sur l’attitude de la Turquie, le n°1 syrien a plutôt donné dans un « mix » de dédramatisation et de fermeté : « En général, nous nous rencontrons souvent avec les responsables de tous les pays et nous n’éprouvons jamais de gêne quand nous parlons avec eux de nos affaires intérieures, surtout avec les pays qui nous ressemblent (…)
Nous acceptons des conseils et parfois des leçons (…) nous discutons avec eux, mais quand les choses arrivent à la décision syrienne, là nous ne permettons à aucun pays proche ou lointain de s’ingérer« . Bachar dit qu’il veut croire qu’un Erdogan a pu vouloir exprimer un « souci » réel, par exemple de voir la situation intérieure syrienne influer sur la situation intérieure turque. Mais, précise-t-il, si le gouvernement turc a cru pouvoir, en la circonstance, assumer un rôle de guide, de maître, de meneur de jeu régional aux dépens de la Syrie, c’est « totalement inacceptable« .
Bien sûr, Bachar al-Assad s’est aussi exprimé sur la question des troubles et manifestations : « Nous avons commencé à enregistrer des succès et nous pouvons dire que la situation est à présent plus rassurante« . Et le président de se féliciter qu’ait été « déjoué » le « complot (qui) visait à faire tomber la Syrie en quelques semaines. » Effectivement, l’armée et la police ont repris, courant août, le contrôle des villes – ou plutôt de certains quartiers d’entre elles – qui connaissaient une agitation endémique et souvent violente, à Hama, Homs, Deir Ezzor, Lattaquié, Deraa. A chaque fois, il y a eu des victimes, à cause de bavures, mais surtout de provocations de manifestants armés.
Combien ? Certainement pas autant – « 1 900 à 2 000 » – que le proclament les propagandistes de l’OSDH et des « Comités locaux de coordination« . Et, de toute façon, relativement peu, compte tenu des conditions de guérilla urbaine auxquelles étaient souvent confrontés soldats et policiers. La répression en Syrie a été, par la force des choses, violente mais pas « sanguinaire » ou « barbare », compte tenu de ce qu’on sait des pertes subies par les forces de l’ordre depuis mars dernier : plus de 400 morts – et bien plus de blessés – de l’aveu même de l’OSDH.
Un calendrier électoral et une pétition de principe
Et justement, puisqu’il s’agit de sortir de cette crise, d’apaiser les tensions, de réformer le système, le président, s’adressant cette fois aux Syriens, a donné des échéances assez précises : élections locales en décembre, et législatives « quatre à huit mois après la publication, peut-être jeudi (25 août,Ndlr) des décrets d’application sur la loi électorale, en tout cas pas plus tard qu’en février (2012), afin de permettre aux partis de se constituer et d’avoir le temps de faire campagne. » Car, rappelons-le, l’ »autocrate » Bachar a quand même pris la décision historique d’autoriser la création de partis non inféodés au Baas, et certains opposants l’ont déjà pris au mot (voir notre article « Création du premier des nouveaux partis« , mis en ligne le 16 août).
Pour ce qui est du pluralisme, justement, notamment celui de la presse, le président a estimé qu’il ne fallait pas mette de « plafond » pour la liberté d’expression ». Tout de même, le « plafond » existe, il est défini par la loi, et doit reposer sur des critères d’ »objectivité » : la Syrie, c’est vrai, n’a guère de tradition en matière de pluralisme de l’information, et Bachar tente manifestement, dans ce domaine comme dans d’autres, un saut dans l’inconnu. C’est son handicap, qui fait aussi tout son mérite historique.
Bref, le président syrien n’a pas fait « profil bas ». Il a des raisons de penser que son gouvernement a franchi un cap difficile, mais que la grande majorité des Syriens refuse l’aventurisme de l’opposition radicale et l’ingérence étrangère, et soutient les réformes annoncées et aussi effectivement mises en route par son président. Il est aussi conscient, certainement, de n’avoir pas de leçons de démocratie à recevoir des Américains qui ont fait tant de mal en Irak et en Palestine -par Israéliens interposés – ou des monarchies du Golfe. Dis-moi qui te combat, sous quels prétextes, et je te dirai que tu n’es pas si mauvais qu’on le dit !