Projeté au Cinéma du réel, Entre les frontières traite de la situation tragique des réfugiés africains en Israël. Rencontre avec son réalisateur engagé à gauche, l’Israélien Avi Mograbi.
C’est l’un des meilleurs ennemis des dirigeants de l’État hébreu. Un insider critique qui ne mâche ni ses mots ni ses images. Depuis des années, Avi Mograbi poursuit une œuvre sans concession faites de documentaires où il paie souvent de sa personne pour remettre en question les grands mythes fondateurs de son pays.
Avec Entre les frontières, le documentariste s’attaque cette fois au sort qu’Israël réserve aux migrants fuyant des conflits ou des régimes sanguinaires. Venus principalement du Soudan ou d’Erythrée, ces derniers ne peuvent être renvoyés chez eux. Considérés comme de dangereux infiltrés, ils sont maintenus dans une zone de non-droit, sans statut ni perspective d’intégration.
La première idée de Mograbi pour son film ? Faire raconter par des demandeurs d’asile africains l’histoire de migrants juifs fuyant leurs persécuteurs… De quoi faire réfléchir ses concitoyens dont il déplore le manque d’empathie envers les réfugiés. Avec l’aide de Chen Alon, un metteur en scène réputé en Israël, Mograbi a finalement proposé à des immigrés détenus par Israël au camp d’Holot, un centre de rétention dans le désert du Néguev, de participer à un atelier-théâtre. Pas n’importe quel théâtre puisqu’il s’agit de leur faire raconter leur histoire selon les techniques du Théâtre de l’Opprimé, théorisé par Augusto Boal dans l’Amérique latine des années 70. Nous avons rencontré Avi Mograbi. Toujours aussi engagé, à gauche, et pessimiste.
- Extrait de son documentaire Entre les frontières
La situation de ces réfugiés a-t-elle empiré ces dernières années ?
Ils ont commencé à affluer vers 2007, peut-être un peu avant. Ils viennent du Soudan, ravagé par la guerre du Darfour, et d’Érythrée, dont ils fuient le régime dictatorial. De quelques milliers de migrants, les quartiers pauvres de Tel-Aviv sont donc passés à plusieurs dizaines de milliers. C’est là que les problèmes ont commencé car les infrastructures de ces endroits, négligées depuis toujours, ne sont tout simplement pas faites pour accueillir une telle quantité de personnes.
L’écrasante majorité d’entre eux sont noirs – imaginez le changement dans un pays à majorité blanche ! – mâles, sans ressources. Beaucoup d’entre eux sont au chômage, la plupart sont mal logés, entassés dans des appartements trop petits et insalubres. Bref, c’est un problème. On pourrait donc penser qu’un gouvernement digne de ce nom, ou une municipalité, s’en emparerait pour le régler. Ce n’est pas le cas.
Quel est le statut actuel de ces migrants ?
Israël est signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Non seulement il l’a signé, mais il a activement participé à sa mise en forme car, en 1951, les Juifs étaient hélas les mieux placés pour savoir ce que signifiait être réfugié. Quoi de plus logique que l’État israélien se soit senti particulièrement concerné par cette question à une époque où la plupart des réfugiés dans le monde étaient juifs ?
Le problème auquel le gouvernement de l’époque n’avait pas songé c’est que cette Convention s’applique de manière universelle, et non pas seulement aux Juifs. Près de soixante-dix ans après, voilà Israël bien embarrassé de devoir appliquer cette Convention aux demandeurs d’asile non juifs… Nos dirigeants ne montrent aucune empathie envers eux, rien qui trahisse le moindre souvenir de ce que c’est que d’être persécuté, de devoir fuir au péril de sa vie, de se retrouver sans statut et de demander refuge. A croire qu’ils ne veulent pas se souvenir…
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« La pureté de la race » : cette expression évoque évidemment le régime nazi. Est-ce une provocation de votre part ou assumez-vous vraiment le risque d’une telle comparaison ?
Je n’ai jamais dit qu’Israël était comparable au régime nazi, je ne le pense évidemment pas. En revanche, je pense que la situation des demandeurs d’asile venus du Soudan ou d’Erythrée est comparable à celle des Juifs allemands fuyant l’Allemagne des années 30 et se voyant refuser l’asile par la Suisse, qui n’accordait l’asile qu’aux réfugiés politiques, pas à ceux qui étaient persécutés pour des raisons ethniques ou religieuses. En Israël, cet épisode tragique est enseigné dans les écoles.