En cette période de génocide israélien sur les Palestiniens de Gaza, et donc d’antisionisme grandissant dans le monde entier, il fallait réagir : l’image des juifs d’Israël et de sa diaspora était en jeu. Pour ça, certains se sont dit qu’il fallait rejouer la carte Shoah. Selon nous, une mauvaise idée, mais personne ne nous écoute, surtout pas les spécialistes et héritiers plus ou moins autoproclamés de la persécution des juifs de 1939 à 1945. La suite va nous donner raison.
Petit rappel du génocide en cours, ensuite on passe au génocide passé
Peut-être sous pression, mais c’est invérifiable, le SPA a rediffusé le 30 janvier 2024 le film de Claude Lanzmann, pour ceux qui ne l’ont pas vu, 9 heures d’interviews sur les camps de la mort nazis en Pologne. Dès le mois de janvier, la presse bruissait devant l’arrivée de l’anniversaire des 80 ans de la libération du camp d’Auschwitz, de mémoire sinistre. C’est en effet le 27 janvier 1945 que les soldats soviétiques sont entrés dans le camp, quasi vide.
Et quel meilleur combo que celui formé par Le Monde, le journal des Lobbies (& des Marchés), et Stéphane Sitbon(-Gomez), le directeur des programmes de France Télévisions, pour nous vendre la rediff le 30 janvier ? On les écoute, puis on passe à BHL, et enfin aux audiences. On s’excuse d’avance auprès de Xavier Niel, le proprio du Monde, mais on va un peu citer le journal, pour les besoins de l’info.
« Shoah » a été diffusé treize fois sur les chaînes françaises depuis sa sortie en salle, en 1985. La dernière, sur Arte, remonte à 2018 (à l’occasion de la mort de Claude Lanzmann). La recrudescence des actes antisémites depuis le 7 octobre 2023, jour de l’attaque du Hamas contre Israël, a-t-elle joué un rôle dans cette décision de rediffusion sur France 2 ?
Tout à fait. D’autant qu’à ces chiffres [le nombre d’actes antisémites recensés en France a été multiplié par quatre en un an et a explosé après le 7 octobre : + 1 000 %, selon un rapport du Conseil représentatif des institutions juives de France publié le 25 janvier] s’ajoutent ceux d’une étude réalisée à la fin de l’année 2023 par OpinionWay auprès des 16-24 ans montrant que seulement 63 % d’entre eux savent ce que signifie le terme « Shoah » et seulement 46 % étaient capables de dire ce qu’a été la « solution finale ». Cette décision de programmer Shoah en première partie de soirée s’est imposée à nous, et est le fruit d’une discussion que nous avons menée à trois, avec Alexandre Kara, le directeur de l’information de France Télévisions, et Delphine Ernotte, notre présidente.
On résume : Sitbon & Kara (un poulain de Michel Field quand ce dernier était aux commandes des rédactions de France Télévisions) remettent une 14e couche de Shoah parce que les actes antisémites auraient augmenté. Attendez, en Palestine ou en France ? On parle des étoiles de David sur les murs de Paris, ce bidonnage ? Ou de la femme qui a fait croire qu’un antisémite lui avait donné un coup de couteau ? Et si on parle de la Palestine, la résistance des combattants du Hamas, c’est de l’antisémitisme aussi ? Les mots sont importants. C’est pas BHL qui nous contredira.
Le second argument du « fils de » et de son acolyte est étrange : les 16-24 ans se foutent de la Shoah, donc il faut la leur fourrer dans la gorge. OK, mais les jeunes ne regardent plus la télé, et encore moins France Télévisions, ce canon à propagande d’une bêtise inimaginable. Fallait mettre Shoah sur TikTok, bande d’ânes, là où sont les jeunes ; sur France Télé, vous n’aurez personne.
D’ailleurs, ils n’ont eu personne : Le Parisien du 31 janvier a donné le résultat du gavage.
Le film documentaire de Claude Lanzmann devenu une référence sur l’Holocauste, rediffusé par France 2 ce mardi 30 janvier, a peut-être intimidé les téléspectateurs. Rien que pour sa première partie, « Shoah » – toujours disponible sur france.tv – dure 4h23. Il faut bien ça pour raconter l’indicible, l’innommable de l’extermination du peuple juif entre 1942 et 1944. Selon le site Médiamétrie, 637 000 individus se sont ainsi souvenus des atrocités commises à Chelmno ou Treblinka.
La timidité, c’est donc ça l’explication. Les jeunes en particulier et le grand public en général seraient intimidés par Shoah, ou la Shoah, au choix. On ne savait pas les jeunes si timides, mais si Le Parisien, le quotidien du ministère de l’Intérieur, le dit, c’est que c’est vrai.
Dommage pour la rediff et dommage pour France 2, qui a dû perdre pas mal de fric en tunnels de pubs. Pourquoi ne pas faire une version courte, mettons de 3 minutes, un montage fort qui donne envie aux jeunes de regarder, un peu comme une bande-annonce de Superman ? Bien fichu, le truc peut rapidement faire 5 ou 6 millions de vues, avec en plus un carton sur TikTok et YouTube (quand même modérer un peu les coms). Le problème, c’est que nos élites médiatico-politiques sont larguées : le réel, elles ne savent pas ce que c’est.
On écoute BHL qui, dans sa chronique du Point, nous a fait une chouette envolée lyrique aux amphètes :
« Innombrables », les téléspectateurs, selon lui. On rappelle au multimillionnaire que seulement 637 000 individus étaient devant le film de Lanzmann ce soir-là. Et quand on connaît la réalité des audiences, que ce soit en télé ou en presse mainstream, faut tout diviser par deux pour approcher de la réalité. Les chiffres sont tous gonflés pour faire bander et raquer les annonceurs, leur faisant croire que des millions de Français sont accros aux programmes lacérés de pubs...
Bref, à peine 300 000 fans, et on est gentils, soit moins de 1,5 % de parts de marché ce soir-là, c’est même pas tous les Français de confession juive. Ou alors c’est seulement eux. On ne saura jamais, en fait. De plus, le 30 janvier étant un mardi, un moment mal choisi pour une nuit blanche avec les gens qui bossent le lendemain, on ne parierait pas sur le fait que toute l’audience a été au bout du cauchemar. La première partie a été diffusée à 21h13 et a duré jusqu’à 1h36, la seconde a duré 4h41 et s’est éteinte à 6h17. Vous imaginez la gueule de bois le mercredi 31 ?
– Merde, t’en fais une tête Maurice, t’es malade ?
– Non, j’ai regardé Shoah toute la nuit.
Bref, Sitbon, Kara et BHL ont tout faux : mauvaise méthode, mauvais résultat. Refilez-nous Shoah et nous on vous fait un montage d’enfer qui fait des millions de vues !
Le mot de la fin à Sitbon, qui explique pourquoi Shoah n’a pas été diffusé le samedi 27 au soir...
Enfin, pourquoi une diffusion le 30 et non le 27 janvier, date anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau et Journée internationale à la mémoire des victimes de la Shoah ?
Sur la date, nous avons fait le choix du mardi, jour généralement consacré à la diffusion des documentaires en première partie de soirée, car nous souhaitions diffuser en majesté cette œuvre monument et l’exposer ainsi au plus grand nombre.
Si vous avez raté la rediff
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