Quelques semaines seulement après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis vont de nouveau être plongés dans la psychose du terrorisme, une deuxième vague moins spectaculaire mais bien plus pernicieuse : des lettres contaminées, contenant des spores de la maladie du charbon, sont adressées anonymement à des médias et des hommes politiques. Une attaque bioterroriste d’un genre nouveau qui va déboucher sur une des enquêtes les plus complexes de l’histoire des États-Unis : AMERITHRAX.
Le charbon est une maladie qui touche principalement le bétail, les bovins en majorité, qui peuvent la transmettre à l’homme. La transmission d’homme à homme n’a toutefois pas encore eu lieu, ce qui en fait une maladie peu fréquente à l’état naturel. On recense trois formes de charbon chez l’homme : la forme cutanée, contractée par entrée des spores au niveau d’une coupure ou d’une excoriation ; la forme intestinale, contractée à la suite de l’ingestion d’aliments contaminés, principalement de la viande ; et la forme pulmonaire, due à l’inhalation de spores en suspension dans l’air. Ces trois formes du charbon peuvent entraîner la mort si elles ne sont pas traitées rapidement. Les symptômes apparaissent dans les 7 jours suivant le début de l’infection. La forme pulmonaire est la plus mortelle et se manifeste au départ comme un rhume banal, qui évolue en quelques jours avec l’apparition d’importants troubles respiratoires provoquant un choc septique. Cette forme de charbon est quasiment toujours mortelle en l’absence de traitement, le plus connu étant l’antibiotique CIPRO. Les cas d’infection chez l’homme sont presqu’intégralement confinés au pays d’Afrique et d’Asie.
L’agent infectieux du charbon est la bactérie Bacillus anthracis. Le charbon est le terme courant pour désigner la bactérie – en anglais, l’anthrax. En l’absence de transmission d’homme à homme, ce sont les propriétés de diffusion des spores par l’air qui font du charbon, potentiellement, une menace bioterroriste redoutable. L’emploi d’agents bactériologiques demeure toutefois un outil d’attaque rarissime, peu maniable, et nécessitant des installations sophistiquées.
Sur le sol américain, la première attaque bactériologique a eu lieu en 1984 dans la ville de The Dalles, état de l’Oregon, lorsque plusieurs restaurants ont été infectés par la bactérie de la salmonelle. 751 personnes avaient été touchées par cette contamination fomentée par des partisans de Bhagwan Shree Rajneesh (plus tard connu sous le nom d’Osho), un gourou indien. L’enjeu de l’attaque était l’élection du comté de Wasco, les partisans du gourou espérant neutraliser une partie de la population le jour des élections, afin que leurs propres candidats augmentent leurs chances d’être élus. 751 personnes ont ainsi contracté la salmonellose ; 45 d’entre elles ont été hospitalisées. Il n’y a eu aucun décès.
Une semaine après les attentats du 11 Septembre 2001, une première série de lettres contaminées à l’anthrax parvient à divers médias, ABC NEWS, CBS, NBC, le New York Post, et le National Enquirer. Robert Stevens, la première personne décédée, travaillait dans un tabloid et meurt le 5 octobre 2001, quatre jours après son hospitalisation pour un syndrome inconnu. L’apparition brutale de la maladie du charbon, en octobre 2001, au sein de la rédaction d’un journal de Floride, a immédiatement orienté les recherches sur la piste d’une contamination délibérée, et non accidentelle. Il est vrai que le terrain était déjà préparé : depuis plusieurs mois, l’hypothèse de l’utilisation du bacille de charbon par des organisations terroristes était avancée par plusieurs responsables politiques, avec en première ligne, Donald Rumsfeld, secrétaire d’état à la défense, farouche néo-conservateur habitué des déclarations chocs et toujours prompt à prévoir le pire. Toutefois, déjà sous Bill Clinton, William Cohen, qui a précédé Rumsfeld à la Défense, évoquait « une hypothétique dispersion de germes d’anthrax dans le métro de la capitale Washington, qui ferait des dizaines de milliers de morts ».
Deux autres lettres contaminées au charbon ont été adressées à deux sénateurs démocrates, Tom Daschle du Dakota du Sud et Patrick Leahy du Vermont. À l’époque, Daschle était le chef de la majorité du Sénat et Leahy était à la tête de la commission judiciaire du Sénat. La lettre Daschle a été ouverte par un assistant, Grant Leslie, le 15 octobre, entraînant la fermeture immédiate du service de messagerie du gouvernement et une paralysie de la vie politique. La lettre Leahy a été découverte dans un sac de courrier, le 16 novembre. Un employé des postes, David Hose, a contracté la maladie. Les lettres envoyées aux médias contenaient une substance brune grossière, alors que la substance contenue dans les lettres du Sénat était une poudre sèche très raffinée composée d’environ un gramme de spores presque pures. Les lettres étaient également accompagnées de messages codés. [...]
Nombreux sont ceux qui aujourd’hui affirment que les attaques à l’anthrax étaient le fait d’un groupe de l’intérieur, et qu’elles étaient destinées à jouer un rôle important dans la stratégie américaine de guerre mondiale contre le terrorisme. Les attaques ont été largement utilisées pour soutenir l’invasion de l’Afghanistan et, plus tard, l’invasion de l’Irak, pour justifier l’adoption du Patriot Act et soutenir le retrait du Traité ABM sur les missiles antibalistiques, un retrait fortement soutenu par les néo-conservateurs du think tank Project for the New American Century.