Ils ont la formidable puissance de symboles : Areva, Alstom, Alcatel, ces trois-là étaient il n’y a pas si longtemps des champions mondiaux, fleurons conquérants imposant leurs technologies, leurs recherches, leurs innovations dans des domaines stratégiques – le nucléaire, l’énergie, les télécoms. Mais en moins d’une décennie, leur destinée a viré au cauchemar. Si le premier, en quasi-faillite est en phase avancé de démantèlement, les deux autres sont quasi cédés à des entreprises étrangères, américaine et finlandaise. Ces symptômes accusateurs de la désindustrialisation en disent long sur les erreurs de stratégie, les carences de l’État, la considération des élites pour l’industrie. À l’heure de sa renaissance, il reste à tirer les leçons de cette collection de désastres, les enseignements de ces fâcheuses trajectoires pour imaginer les conditions de la nouvelle industrie.
Arcelor, Alstom, Areva, Alcatel… Ils étaient quatre, en ce début de siècle, à s’imposer comme les fiers fleurons d’une industrie française éclatante. Les trois derniers s’affichaient même comme champions mondiaux dans le Top 500 de ‘Fortune’. Ces trois champions ont non seulement disparu du classement, mais sont brutalement passés du rôle de puissants conquérants à celui de proies. En une décennie. Areva, en quasi-faillite ayant perdu 5 milliards d’euros en 2014 – le groupe est évalué à 3,4 milliards par la bourse – et plus 5 milliards les 3 années précédentes, bientôt démantelé façon puzzle ; les joyaux stratégiques d’Alstom – 18 000 salariés – vendus par appartements : les deux tiers de ses activités dans l’énergie, notamment ses turbines, cédés à l’Américain General Electric, et Alcatel, handicapé par sa fusion ratée avec l’Américain Lucent, vendu au Finlandais Nokia… Que du stratégique. Demain, ce sont les salariés de General Electric qui auront la responsabilité de la maintenance de nos centrales nucléaires. Avec la dépendance que l’on imagine.
Les centrales nucléaires, les réseaux de communication et les turbines ne sont pourtant pas des biens de consommation à faible valeur ajoutée, et délocalisables, mais des métiers à très dense teneur en technologie et valeur ajoutée.
Qu’il est loin le temps des conquêtes, des ambitions puissantes, lorsqu’Alcatel était l’unique pôle de consolidation crédible pour les télécoms européennes. Des métiers à envergure mondiale ayant déserté le village gaulois qui voit s’envoler un à un les centres de décision industriels. Comme Lafarge va le découvrir dans les mois qui viennent. Stigmates éclatant d’un déclin patent.
Nos champions industriels au tapis Les symboles de la puissance industrielle française se sont subitement transformés en symptômes de sa formidable vulnérabilité. Le poids de la France dans le high-tech n’a cessé de fondre. Et la situation s’aggrave : selon le dernier constat publié par le cabinet AT Kearney, seuls 8 groupes européens (après la cession de Nokia) figurent dans le classement des 100 premiers groupes high-tech dans le monde (basé sur chiffre d’affaires). Résultat de ces Waterloo à répétition : l’industrie manufacturière a actuellement une importance dans l’économie de la France équivalente dans l’économie à celle de la Grèce – 10 % du PIB, contre 24 % en 1980 –, quand celle des Allemands est plus du double (25 %) et celle des Italiens (18 %) largement supérieure.
En effet, la production industrielle actuelle a plongé au niveau de celle d’il y a 20 ans, enregistrant un recul de 16,5 % par rapport à celle de 2008. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée atteint chichement les 11 % (contre 16 % dans la zone euro et 22 % en Allemagne). Plus inquiétant, depuis 2000, l’investissement productif se traîne au rythme de 1,1 % par an, contre près de 5 % dans les années 80/90.