Sommé par ses proches amis de « dire la vérité » sur les circonstances de la mort du caporal Arthur Noyer, Nordahl Lelandais, même ébranlé, reste de marbre. Dans cette journée à haute intensité, même son avocat, Alain Jakubowicz a fondu en larmes. Récit d’une audience un peu folle.
Un instant, un instant seulement, il a semblé hésiter. Un minuscule instant. Une poignée de secondes pendant lesquelles Nordahl Lelandais a lâché cette phrase : « La vérité, je la donnerai. » Puis dans la seconde suivante, il s’est ravisé, il est revenu sur ses rails, et n’a pas varié d’un pouce de son récit invraisemblable de la mort du caporal Arthur Noyer. Trois de ses proches, dans cette troisième journée d’audience un peu folle, Alexandra une amie, Julien son ancien meilleur ami, et Nazim, son pote en or, tous les trois, dans des registres différents, l’implorent de dire « la vérité ». Mais en vain tant la « carapace » Lelandais semble solidement arrimée.
« Soulage-toi de la vérité. Soulage-toi. Le mal est fait. Vis ce qu’il te reste à vivre plus léger. Il n’y a rien qui puisse être changé de toute façon », lui a lancé Nazim en fin de journée. « Même par respect pour toi-même. Arrête tout ce cinéma et dis ce qu’il y a à dire. »
Sur les bancs de la défense, l’avocat Alain Jakubowicz, écoutant le témoignage de ce garçon qui ne renie en rien son amitié pour Lelandais, semble gagné par l’émotion. Nazim raconte cette journée où il a appris que son « pote Nono » avait avoué le meurtre de la petite Maelys.
« Toute l’après-midi, j’ai pleuré en silence à mon bureau entre deux clients. Le soir, je suis rentré chez moi, ma femme avait notre enfant dans ses bras, les yeux rouges tellement elle avait pleuré. Elle m’a demandé comment on fait pour mettre notre famille à l’abri. Je l’ai prise dans mes bras, j’ai pleuré et je lui ai dit que je ne savais pas… »
Le 11 avril 2017, la nuit de la mort du caporal Noyer, c’est chez Nazim et son épouse que Lelandais est venu dîner. Et le 13 avril, 36 heures à peine après avoir tué le militaire, c’est encore avec Nazim et ses amis que Lelandais est venu faire la fête. « Comme si de rien n’était. Sans aucune trace au visage. Aucune », a admis le témoin. « Je suis sans haine, conclut cet ami d’une voix claire et basse. J’ai juste de la peine… Il s’est bousillé lui-même ».
Alain Jakubowicz renonce à l’interroger : « Je suis heureux de vous avoir vu. Merci c’est tout », lui lance le ténor, bouleversé. C’est maintenant l’avocat qui est en larmes, submergé d’émotion à son tour, lui qui d’ordinaire joue avec celle des autres sans jamais avoir à dévoiler la sienne. Tout à l’heure, ce sont deux autres témoins qui, à la barre, se sont mis à nu.
Du côté des parties civiles, dans cette salle d’audience, les visages des Noyer ne sont que souffrance. En fait, devant la Cour d’assises de la Savoie, un seul semble impassible. Comme étranger à ce qui se joue, indifférent à la douleur des autres et sourd à leurs suppliques. C’est Nordahl Lelandais. Un accusé chaque jour plus seul. Chaque jour davantage contredit par les témoignages et les éléments du dossier. Et pourtant encore cramponné à son récit de la mort du caporal. Un récit qui, même pour ses meilleurs amis, transpire le mensonge.
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La « version » Lelandais prend l’eau
Une de ses amies est appelée à témoigner dans la foulée. Alexandra, 44 ans, une grande brune aux cheveux longs, commence par dresser un portrait flatteur de l’accusé. Elle se souvient de quelqu’un « de très agréable, très prévenant, très à l’écoute ». [...]
Dans son box, l’accusé se tasse. Puis Alexandra fond en sanglots. Elle se tourne alors vers lui, sur sa droite, légèrement en retrait. « Tu leur dois la vérité Nordahl », lance-t-elle, secouée de larmes… Une onde électrique fouette la salle d’audience. Alain Jakubowicz tente une question : « Mais au nom de quoi dites-vous cela Madame ? » interroge-t-il. « C’est la maman qui parle, réplique Alexandra, toute personne se doit de dire la vérité ». L’avocat insiste : « Sur quelle base ? » Il voudrait comprendre sur quoi se fonde la mère de famille pour imaginer que son client ne dise pas la vérité. « C’est un sentiment personnel, réplique-t-elle. Je dis à Nordahl qu’il a été un super mec, qu’il continue à l’être et qu’il assume ». Me Jakubowicz n’insiste pas. Mais dans cette salle, il va lui être de plus en plus difficile de soutenir que le récit de son client puisse être crédible, tant même ses plus proches amis semblent désormais en douter…
Le président invite l’accusé à se lever et à « réagir » à l’invective d’Alexandra. Nordahl Lelandais se tait de longues secondes. « T’as une bonne mémoire », lâche-t-il en direction de la barre. « C’est pas moi qu’il faut que tu regardes », lui lance-t-elle, désignant le banc de la famille Noyer. L’accusé pivote légèrement sa tête en direction des parties civiles, sans parvenir à garder le cap plus d’une poignée de secondes. Nordahl Lelandais, pour la première fois depuis le début de ce procès, semble déstabilisé. « La vérité je la donnerai », souffle-t-il. Il se reprend, semble chercher ses mots, ramasser ses idées. Veut-il gagner du temps pour garder le contrôle ? Est-il ébranlé ? « Je ne sais pas quoi dire », dit-il… « Dis ce qui s’est passé », suggère son ancienne amie. Un dialogue inédit s’installe. « Tu sais ce que tu as fait, toi, dis-le », poursuit-elle. Il garde toujours le silence. Comme bloqué. « Tu ne peux pas dire que c’est un accident, c’est pas possible Nordahl », continue-t-elle dans un murmure. « Tu sais au fond de toi que ce n’est pas un accident. » Il secoue la tête. « C’est pas facile ». Lelandais se tortille sur lui-même. Il évoque sa « carapace », certaines de ses phrases sont inaudibles. Elle insiste. Ne le lâche pas. « Je t’ai vu quelques heures après, Nordahl, ce n’est plus une carapace et tu le sais », poursuit-elle. Il hoche la tête, repousse son micro comme pour faire mine d’arrêter de parler. Se ravise.
[...]
Au micro, Alexandra se tourne à présent en direction de la cour, et quitte son ancien ami du regard. Elle hoche la tête négativement. « Mon cerveau n’arrive pas à le voir comme il est… Je n’arrive pas à le voir comme un monstre. Pour moi, cela reste Nordahl », dit-elle avec gentillesse et tristesse à la fois. « Et s’il n’était pas ce monstre ? » la reprend Jakubowicz.
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