Le 18 mars dernier à Paris, Bernard-Henri Lévy remettait à Patrick Drahi le Prix Scopus, la plus prestigieuse distinction de l’Université hébraïque de Jérusalem, décerné chaque année à une « personnalité engagée dans des actions éducatives et sociales pour la promotion du progrès et du savoir ».
Pour la troisième fois, après Maurice Lévy et Éric de Rothschild, ce prix était remis à une personnalité du monde des affaires. Et pour cause : pour les seules année 2014 et 2015, Patrick Drahi a racheté SFR et lancé Mag&NewsCo, un groupe de médias regroupant ses propriétés : Libération, les titres du groupe Roularta (L’Express, L’Expansion, Lire, Studio Ciné Live, Mieux vivre votre argent, Classica, Pianiste), le groupe audiovisuel MCS TV (Ma chaîne Sport) ainsi qu’i24News, la chaîne d’information en continue israélienne. Selon le dernier classement du magazine étatsunien Forbes, Patrick Drahi a ainsi vu grimper sa fortune à quelques 20 milliards de dollars, devenant ainsi la 57ème fortune mondiale et la 3ème fortune française.
La remarquable réussite entrepreneuriale du lauréat aurait pu être l’angle du discours de Bernard-Henri Lévy. Au lieu de cela, le philosophe germanopratin s’est livré à un étrange numéro mêlant dénonciation de l’enracinement, apologie du cosmopolitisme, de l’argent et du Talmud. Fier de son discours, sobrement intitulé « Patrick Drahi, les juifs et l’argent », BHL n’a pu s’empêcher d’en publier une version « révisée » sur son site La Règle du jeu.
D’emblée, celui qui se considère comme « le plus grand écrivain de sa génération » annonce la couleur en expliquant ce qui l’a « intéressé » dans le parcours de Patrick Drahi :
« C’est le fait qu’il ne vienne de nulle part. Ou plus exactement [ …] qu’il vienne de plusieurs endroits à la fois, qu’il ne s’en cache pas, qu’il s’en flatte même et qu’il aille contre, ce faisant, cette religion nationale, de plus en plus pesante, qui est la religion de l’enracinement. »
Après cette dénonciation du fait national, une rengaine servie avec constance – il faut le lui reconnaître – depuis quarante ans, Bernard-Henri Lévy a projeté ses obsessions sur Patrick Drahi en saluant chez lui le juif cosmopolite :
« Il y a, au cœur du judaïsme, le refus de cette forme d’idolâtrie qu’est l’attachement maniaque, exclusif, sacralisateur, à une racine, un sol, une matrice, une matière, une nature – je dis “le” judaïsme car le peuple juif est ce peuple paradoxal et magnifique qui, comme l’a théorisé Franz Rosenzweig, a pu passer des siècles à se souvenir d’une langue morte qu’il finira par ressusciter ; à révérer une Loi plus sainte que l’Histoire et ses événements tyranniques ; et à rêver d’une Terre qui, je le répète depuis quarante ans, n’exista longtemps que dans ses songes et son espérance. […] Citizen Drahi régnant sur ce territoire sans limite ni frontière que nous assignent les technologies dont vous êtes l’industriel, vous êtes aussi l’un de ces “Gidiens” que l’“idéologie française” réprouve depuis un siècle mais dont nous avons cruellement besoin en ces temps de lourdeur indigène et d’étouffement chauvin – vous êtes l’un de ces citoyens du monde impossibles à assigner à une “souche”, à enfermer dans une appartenance, à épuiser dans l’un de ces trois “n” (le natal, le national, le naturel) […] et, pour cela aussi, je vous salue. […] Je lui prédis, s’il continue de figurer dans le haut du classement des hommes les plus riches de France et du monde, de grands bonheurs, de beaux honneurs, mais aussi des cabales en très grand nombre. Les temps ont changé, certes. Les Juifs, là aussi, ont appris à être de bons guerriers. »
En conclusion de son long discours, Bernard-Henri Lévy s’est livré à une étrange apologie de l’argent selon les préceptes du Talmud :
« Au rebours du préjugé, l’argent ne corrompt pas ou, en tout cas, pas forcément, mais peut élever l’humanité ! À l’inverse de ce que nous répètent, tous les matins, les altermondialistes et autres antilibéraux, l’argent n’est pas nécessairement barbare mais peut avoir une fonction civilisatrice ! […] C’est cet outil très spécial qui a pour propriétés, nous dit toujours le Talmud, la banalité, la neutralité, la convertibilité et la sécabilité – et qui s’appelle, donc, l’argent. Contre le Talion, l’argent. Pour casser la machine à tuer, l’argent. Chalem (payer) pour réinstituer chalom (la paix) – telle est la dernière fonction éthique de l’argent. Là encore, l’argent ne produit pas la barbarie, il la contient, l’évite et, à la lettre, l’économise. […] L’argent comme instrument de cet embellissement du monde auquel le Midrash, dans un texte que j’ai commenté dans les gloses de mon Hôtel Europe, nous dit qu’Edom peut œuvrer quand il prend soin de ne pas oublier la part due à Jacob. »
Lire le texte intégral de l’allocution de Bernard-Henri Lévy : laregledujeu.org