Lundi 15 avril 2019, dans Le Figaro, à quelques colonnes d’écart, on put lire deux histoires : celle d’Alain et celle d’Hugo, deux facétieux personnages qui mirent en ligne un montage humoristique dans l’esprit Charlie. L’un moquait l’exploitation mercantile de la souffrance des juifs, l’autre moquait une foule de musulmans. Chacune de ces parodies provoqua l’indignation de leurs cibles respectives, ce qui peut sembler bien légitime, mais le droit à l’humour définitivement acté par la jurisprudence Charlie devait venir trancher rapidement le débat. Et pourtant, que croyez-vous qu’il advînt ?
L’histoire a parfois de ces ironies qui inspirent. Que l’on pense que le même jour où brûlait une certaine idée de la liberté d’expression en France avec la condamnation à un an de prison ferme pour Alain Soral, une bonne partie de la cathédrale de Notre-Dame partait en cendres, obligeant – ironie dans l’ironie – le président Emmanuel Macron à différer l’allocution probablement la plus importante de son mandat...
Et ce même jour encore, dans la plupart des médias français, était relatée l’histoire d’un adolescent un peu simplet (mais qui perdit sa naïveté quasi instantanément), auteur d’un Tweet aussi bête que l’âge de son inventeur :
Y'a du monde à InZeBoite pic.twitter.com/LUy96EMT4j
— Hugo (@GpercerOklm) 14 avril 2019
Pendant ce temps, Alain Soral était accusé d’avoir mis en ligne un pastiche de Charlie Hebdo « itself » (ce qui est faux puisqu’il n’en était ni l’auteur, ni celui qui l’avait mis en ligne, ni même le Directeur de publication du support qui accueillait le dessin) :
On n’ose même plus mettre en ligne l’objet du délit, alors on le met quand même, mais en tout petit et à titre purement informationnel et illustratif de l’actualité judiciaire et de notre propos.
Ces deux exemples d’illustration humoristique, celle d’Hugo et celle d’Alain, que les tenants des communautés visées purent trouver de mauvais goût pour certains, voire franchement injurieuse pour d’autres, vont pourtant connaître deux destins parfaitement opposés ! Les règles de droit habituellement en vigueur pour ce genre de caricatures ou de parodies vont rencontrer ce qu’on pourrait appeler scientifiquement une anomalie. Qu’on appellera l’anomalie Charlie.
Quand donc une certaine vindicte communautaire s’abattit sur le montage d’Hugo, qui tout de même se moquait de la foi de pèlerins et d’une religion, ce qui n’est pas illégal mais pas du meilleur goût, on vit immédiatement toute la plus pure intelligentsia s’indigner, les politiques se scandaliser :
La France est une République laïque où chacun peut critiquer et se moquer des religions sans être menacé de mort pour cela !
Le blasphème n'existe pas.
En revanche, le cyber-harcèlement en meute est puni depuis cet été par la loi.#JeSoutiensHugo
cc @TwitterFrance— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) 14 avril 2019
Combien faut-il ne pas croire en Dieu pour croire qu'Il/Elle est susceptible !
Et mépriser Sa puissance pour vouloir Le/La défendre !
Le problème des intégristes n'est pas la foi, mais l'impiété.
S'ils croyaient vraiment en Dieu, ils se moqueraient des rires. #JeSoutiensHugo— Raphaël Enthoven (@Enthoven_R) 14 avril 2019
On remarquera en revanche que les intégristes ne sont pas "elles"...
On atteint ici le summum de l’aliénation à une idéologie pathologique.
Et c’est là où s’arrête la symétrie de nos deux histoires. Pourtant on aurait pu transposer le Tweet de Marlène Schiappa : « La France est une République laïque où chacun peut critiquer et se moquer des religions sans être menacé de mort pour cela ! ». Cela fonctionnait plutôt pas mal avec la Shoah qui reprend toutes les caractéristiques d’une religion.
De même que Raphaël Enthoven aurait pu dire : « S’ils croyaient vraiment en la Shoah, ils se moqueraient des rires. ». Car, enfin, une foi inébranlable en l’Histoire ne vacille pas devant un quelconque discours contradictoire ni même de piètres mensonges. Prendrait-on au sérieux untel hurluberlu qui déclarerait ex abrupto que Napoléon ou le Général de Gaulle n’avaient jamais existé ! Voyons !
Alors quand Le Figaro reprend le hashtag #JeSoutiensHugo et ose titrer :
#JeSoutiensHugo face à ces jeunes ados qui ne sont décidément pas Charlie
alors que deux pages plus loin il annonce sans s’en indigner :
Alain Soral condamné pour négationnisme à un an de prison ferme
on est saisi d’étonnement (feint, bien sûr, car nous ne sommes pas nés de la dernière pluie).
Il semble donc que la géométrie judiciaire soit assez variable. Et que c’est le début et la fin de la chaîne qui constituent la mesure de l’instabilité pénale : Qui commet l’infraction et Qui est la victime. Et quand, comme ici, on a le mauvais goût de cumuler les deux, alors le jugement de cour s’abattra sur vous comme une lame aiguisée, irréversible. Sans oubli. Ni pardon.