Ce ne serait pas juste d’associer Zemmour à Ramadan sans parler d’Haziza, Weinstein ou DSK. Il semble que parmi nos élites intellectuelles, l’agression sexuelle soit quelque chose de naturel. On espère pour le futur champion de la droite – et accessoirement rabatteur pour Macron – que ces accusations sont infondées, sinon la présidentielle risque d’être compliquée pour le camp national-sioniste.
Mais n’anticipons pas, le polémiste est pour l’instant libre, les accusations ne sont pas encore devenues des charges officielles, et aucun juge n’est encore saisi du dossier, un dossier médiatique à défaut d’être judiciaire, puisqu’on parle de sept plaignantes... sans qu’aucune plainte n’ait encore été déposée.
Alors, quelle est cette affaire, et y a-t-il affaire ?
Tout est parti d’un gros travail d’investigation, ou plutôt de récolte d’anecdotes, ce sera plus précis, du journal en ligne Mediapart, qui ne porte pas, politiquement s’entend, l’essayiste de droite dans son cœur. Les gauchistes y verront la preuve de l’amoralité du donneur de leçons du Figaro et de Face à l’info (avec la belle Christine Kelly), les droitistes diront que cette attaque sous la ceinture n’est pas sans rapport avec la campagne qui se rapproche.
La première à jeter la pierre à Zemmour s’appelle Gaëlle Lenfant, à l’époque conseillère municipale d’opposition à Aix. Toutes les scènes relatées dans cet article sont tirées de l’enquête de Mediapart. Nous sommes en 2004, il y a 17 ans donc, et au lendemain d’un dîner entre responsables politiques, auquel Zemmour était convié.
Il « me reconnaît, me dit bonjour et me demande ce qu’il a raté. Je lui résume l’intervention. L’atelier se termine, je me lève, il se lève aussi. M’attrape par le cou. Me dit “cette robe te va très bien, tu sais ?”. Et m’embrasse. De force. Je me suis trouvée tellement sidérée que je n’ai rien pu faire d’autre que le repousser et m’enfuir en courant. Trembler. Pleurer. Me demander ce que j’avais bien pu faire », écrit Gaëlle Lenfant.
« Je n’avais rien fait, rien dit, rien montré, rien voulu. Je n’étais bien sûr pour rien là-dedans. J’étais juste une chose dont celui qui se définit lui-même comme “prédateur sexuel violent” avait eu envie, et quand on a envie, dans son monde, on se sert. Il s’est servi », dit-elle encore. Avant de préciser : « C’était il y a des années, mais le dégoût ne s’en va pas. »
La blessure semble vivace : 17 ans après les faits, Gaëlle reste dégoûtée. Pourquoi n’a-t-elle pas porté plainte ? Elle répond elle-même :
« À l’époque, je n’ai jamais pensé à porter plainte… Puis il est devenu connu. Ses propos sur les femmes dans ses livres et à la télévision faisaient à chaque fois écho à ce qu’il avait fait. Mais je m’en tenais loin. Là, avec l’énorme affiche dans ma ville, j’ai eu besoin de le dire… », explique-t-elle. Prise depuis dans un tourbillon de sollicitations médiatiques, qu’elle a toutes refusées hormis Mediapart, elle ajoute : « Je n’ai pas mesuré la portée médiatique, ni la portée symbolique de ce que je faisais. Quand j’ai écrit ce post, je n’ai pas pensé à Éric Zemmour, la personnalité publique, mais à Éric Zemmour, la personne que j’accuse aujourd’hui. »
- Que s’est-il vraiment passé
entre et Éric et Gaëlle ?
Du côté de Zemmour, on ne se souvient pas de la scène. Son entourage parle d’« une affaire politique qui sort au moment où chacun sait qu’il y a des velléités autour de lui ».
Maintenant, au tour d’Aurore Van Opstal, journaliste et autrice belge, c’est Mediapart qui écrit autrice, pas nous, car ça fait un peu Autriche par quelqu’un qui zozote. Aurore a envoyé ce tweet le 27 avril (inutile de le chercher, le compte a été fermé) :
« Qd j’ai rencontré Éric Zemmour la 1iere fois, au bout de trois min, il m’a caressé la cuisse jusqu’à l’entrejambe ss la table du café parisien où nous étions. Vu mn passé ça m’a paru anecdotique et suis resté en contact avc lui. Ms, on me raisonne mnt en me disant que c’est grave »
- Aurore, journaliste autrice
Mediapart a entendu la souffrance d’Aurore, qui correspond à l’idée réductrice que Zemmour se fait des femmes.
Jointe par Mediapart, la journaliste de 31 ans explique avoir voulu témoigner « par solidarité féminine et féministe » après avoir lu le récit de l’élue. « Si je parle aujourd’hui, c’est aussi parce que les féministes nous ont appris que le privé est aussi politique », ajoute-t-elle. Elle estime que les idées développées par Éric Zemmour dans ses écrits seraient corrélées du comportement qu’elle dénonce aujourd’hui : « Il est sexiste, il défend le système patriarcal. Selon lui, les femmes sont par essence vouées à être dans l’émotionnel et non dans la raison. »
Après Gaëlle et Aurore, cinq autres femmes se sont épanchées auprès de Mediapart et ont raconté leur expérience avec Zemmour. Souvent, elles le contactent pour une raison professionnelle, et lui transforme la rencontre en quelque chose de plus sexuel. Il essaye de les séduire, quoi. Voici l’expérience d’Anne (un témoignage anonyme), tirée de son journal intime :
Anne raconte à son journal intime avoir alors écrit à Zemmour, au Figaro. « Et bien ce dernier m’a appelé[e] juste après avoir reçu ma lettre, soit le mardi. Il voulait me rencontrer, donc on s’est vus jeudi. » Dans ses souvenirs, c’était un café, en face du siège du journal, rue du Louvre. « Je me réjouissais, je me disais qu’on allait reparler de son intervention, de ma lettre. J’avais même noté quelques arguments pour ne pas être trop ridicule devant ce “super” journaliste », écrit la jeune femme dans son journal.
« La rencontre, malheureusement, ne s’est pas vraiment déroulée comme je l’avais prévu », poursuit Anne. Dans son journal, elle note : « Il n’a pas arrêté de me draguer. […] Moi j’étais hyper troublée. Mal. Je l’ai repoussé gentiment au départ […] mais il revenait à la charge, profitant de son statut. Et moi, intimidée mais aussi flattée quelque part, je n’arrivais pas à lui dire un non ferme. »
Anne l’aurait ensuite remercié d’avoir payé l’addition : « Il m’a demandé de le remercier autrement, s’est penché et m’a embrassé[e]. Il a mis sa langue et tout ! Je l’ai repoussé encore mais pas assez franchement. Quand nous sommes sortis du café, il m’a réembrassée et je me suis laissée faire. […] Quel goujat ! C’est incroyable d’être comme ça. Pour qui se prend-il ? […] Moi, je me dégoûte, je me trouve trop débile d’avoir cédé à ses avances. […] J’étais paniquée quand je suis rentrée. »
Nous avons choisi de diffuser ce témoignage bouleversant en entier, car il montre toute la complexité d’un rapport humain entre un homme et une femme, entre un journaliste célèbre et une admiratrice inconnue, avec des frontières qui ne sont pas très nettes, un interrupteur oui/non encore plus nébuleux. On devine que si l’admiratrice est jolie, Zemmour va se transformer en « goujat ». Mais nous avons vérifié, la goujaterie n’est pas encore inscrite au tableau B de Marlène Schiappa, ou de sa remplaçante Élisabeth Moreno, celle qui a beaucoup souffert du 21 avril 2002, mais là ce n’était pas sexuel, c’était 100 % politique.
Pou résumer, Zemmour a une réputation d’homme pressant avec les femmes, sa réputation le précède, donc celles qui sont au courant, si elles approchent la bête, devraient pouvoir préparer leur défense. Les autres, comme les jeunes femmes qui admiraient PPDA, sont tombées apparemment, selon leurs dires, dans le piège du « prédateur » (qui n’a tué personne, précisons-le).
Pour l’instant, on a donc au passif de Zemmour : des baisers forcés, des remarques sur le décolleté, des mains sur les cuisses, voire l’entrecuisse, des regards lubriques. On ajoutera des propos grivois, comme quand il a carrément sorti à Nathalie, une maquilleuse (que les âmes sensibles se bouchent les oreilles) : « Mais tu comprends pas que j’ai envie de baiser avec toi ? »
Le terme « baiser » est ici parlant : ce n’est pas le nom commun baiser, qui signifie bise, sur la joue ou la bouche, mais bien le verbe argotique qui signifie s’accoupler. On sait tous – Zemmour ne le cache pas – qu’il est sexiste et misogyne. Mediapart illustre ces deux gros défauts par un dessin :
L’équipe de Plenel en charge de la dézemmourisation du paysage politico-médiatique a exhumé des extraits du Premier Sexe (sorti en 2006), l’ouvrage qui ressemble étrangement à Vers la féminisation d’Alain Soral, extraits qui exaltent les valeurs viriles et sexualisent les femmes.
« L’homme ne doit plus être un prédateur du désir, écrit-il dans Le Premier Sexe. Il ne doit plus draguer, séduire, bousculer, attirer. Toute séduction est assimilée à une manipulation, à une violence, une contrainte. [...] Interdites les photographies de femmes nues dans les ateliers, les plaisanteries graveleuses dans les bureaux. Les allusions, les sous-entendus, la séduction, le désir. C’est l’enfant monstrueux de Tartuffe et de Simone de Beauvoir. L’homme n’a plus le droit de désirer, plus le droit de séduire, de draguer. Il ne doit plus qu’aimer. »
Il y a, au regard des témoignages de Gaëlle, Aurore et consœurs de souffrance, un passage assez croustillant dans l’interminable article de Mediapart : c’est quand Zemmour dénonce les agressions sexuelles des hommes de banlieue, comprendre les musulmans (à 43’02 dans la vidéo).
« Moi je connais des jeunes femmes qui n’osent pas sortir en robe, qui n’osent pas sortir en jupe, car elles se font cracher dessus, dans d’innombrables quartiers, pas plus loin que des banlieues parisiennes que je connais, où j’ai grandi, vous vous rendez compte ? »
Et on en revient à notre titre.
Quand Soral analysait le cas Ramadan