Malgré l’annonce officielle d’un retrait des troupes militaires américaines d’Afghanistan en 2014, la tendance actuelle est plutôt à leur maintien. Reste à savoir sous quel statut, avec quels droits et surtout dans quel but. Telles sont en tout cas les questions qui inquiètent de plus en plus les voisins de l’Afghanistan : la Russie, la Chine et les pays d’Asie Centrale.
Un accord de coopération stratégique est imminent entre Washington et Kaboul. Selon une déclaration de la secrétaire d’État Hilary Clinton faite le 22 mars dernier à l’issue des négociations menées avec le ministre afghan des Affaires étrangères, cet accord devrait être signé un peu avant ou au cours du sommet de l’OTAN qui se tiendra au mois de mai à Chicago. Il devrait ainsi permettre aux États-Unis de sortir plus ou moins dignement de la plus longue guerre de leur histoire. Et c’est d’autant plus important pour le Président Obama de le faire à la veille des présidentielles que cette guerre, certes engagée par ses adversaires Républicains, a déjà fait perdre à l’État 2000 soldats et 500 milliards de dollars alors même que le décompte n’est pas encore terminée. Pour autant, il ne sera pas facile de sauver les apparences. Il ne s’agit pas d’une victoire. En préparant l’accord avec Kaboul, les États-Unis ont d’ailleurs entamé des pourparlers officiels avec ceux qu’ils accusaient hier de soutenir Al-Qaïda et contre qui ils avaient lancé l’offensive en octobre 2001 : les talibans afghans.
Malgré onze ans d’occupation, l’influence de ces derniers en dehors de Kaboul demeure assez importante et le pouvoir du Président Karzaï pourrait s’effondrer dès le lendemain du départ des Américains. C’est pourquoi l’accord de coopération stratégique entre les États-Unis et l’Afghanistan prévoit explicitement le maintien de bases militaires américaines. Karzaï, soucieux de maintenir le statu quo et de garder le pouvoir après 2014, tout comme la Loya Jirga (la Grande assemblée des représentants du peuple et des tribus), soutiennent l’idée de conserver des bases militaires. C’est le vœu des Américains eux-mêmes qui souhaitent préserver leur influence en Asie Centrale et dans la région de la mer Caspienne qui regorge des plus importantes réserves de pétrole et de gaz.
Par ailleurs, les bases militaires en Afghanistan permettent de contrôler la Chine, la Russie et l’Iran. Autrement dit, « il existe bien des raisons économiques et géostratégiques pour que les Etats-Unis ne donnent pas facilement le pouvoir de Karzaï aux talibans », soutient Viktor Korgoun, le Directeur du Centre de recherches afghanes de l’Institut des études orientales de l’Académie des Sciences de Russie. La question des bases militaires semble déjà réglée et commence à inquiéter la Russie. Dans ce contexte, Moscou propose que l’ONU garde le contrôle des troupes militaires étrangères en Afghanistan au-delà du retrait du contingent de l’OTAN en 2014. Cette semaine, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a évoqué ce thème à au moins deux reprises.
« Si une présence militaire américaine dans le pays doit être maintenue, il convient alors de continuer à respecter le mandat du Conseil de Sécurité. Si quelqu’un souhaite ne pas le respecter et pense l’avoir déjà exécuté tout en déployant et en préservant des bases militaires, cela paraît illogique. Par ailleurs, je considère que le territoire de l’Afghanistan ne doit pas être utilisé pour créer des points militaires qui inquiéteraient les pays tiers », a déclaré le Sergueï Lavrov dans son interview à la chaîne de télévision afghane TOLO.
La position de Moscou se résume à demander que le maintien de la présence militaire des Etats-Unis en Afghanistan soit subordonné à un mandat de l’ONU via une résolution du Conseil de Sécurité qui aura également à évaluer ce qui a été fait dans le pays pendant ces onze ans de guerre. « La présence de l’OTAN contient le terrorisme dans la région et il est dans l’intérêt de la Russie que les États-Unis et l’OTAN ne partent pas d’Afghanistan avant l’heure » remarque Viktor Korgoun. « Les fonctions policières doivent être exercées, surtout qu’elles sont mandatées par l’ONU. Mais il n’est pas dans notre intérêt que l’OTAN reste dans la région en tant que force militaire ».
Au sommet de l’OTAN à Chicago qui sera consacré à l’Afghanistan, la question du cadre et de l’ampleur du maintien des troupes des États-Unis et de l’OTAN devrait être finalisée. A l’évidence, les réponses ne contenteront pas les pays voisins. « Nous souhaitons que l’Afghanistan soit (…) un État neutre », a déclaré Sergueï Lavrov. En réalité, l’OTAN fera encore un pas de plus en direction des frontières russes. Un prétexte supplémentaire pour de nouvelles frictions...