La situation des Noirs américains s’est plutôt dégradée depuis l’élection de Barack Obama à la présidence en 2008, explique Pap Ndiaye, professeur d’histoire nord-américaine à Sciences Po, au lendemain des manifestations provoquées par l’acquittement de George Zimmerman, qui avait tué l’an dernier le jeune Trayvon Martin.
Pourquoi l’acquittement de George Zimmerman suscite-il une telle émotion aux Etats-Unis ?
C’est l’ensemble de cette affaire judiciaire qui a suscité une forte émotion depuis un an et demi : d’abord le meurtre du jeune Trayvon Martin ; ensuite l’acquittement de son meurtrier. Le sentiment d’injustice est très vif, particulièrement chez les Noirs américains. Il vient leur rappeler d’autres affaires, caractérisées par l’acquittement d’accusés ayant tué ou violenté des Noirs par des jurys composés d’Américains blancs. Depuis le 26 février 2012, tout le système policier et judiciaire a été organisé pour obtenir l’acquittement de George Zimmerman. L’émotion vient du sentiment que rien ne change, que les institutions américaines sont encore structurellement biaisées en défaveur des Afro-Américains. Y compris la Cour suprême, qui vient d’annuler certaines dispositions de la loi des droits civiques de 1965.
L’élection de Barack Obama semblait tourner une page aux Etats-Unis. N’a-t-elle été que l’arbre qui cache la forêt pour les Noirs américains ?
L’élection de Barack Obama n’a malheureusement rien changé à la situation des Afro-Américains. Elle leur a quand même donné un sentiment de fierté, ce qui n’est pas rien. Ils conservent un attachement personnel fort à Obama, attachement lié au symbole et à la dignité avec laquelle il incarne la fonction présidentielle. Mais les données socio-économiques montrent que la situation des Noirs américains s’est plutôt dégradée depuis 2008. Cela moins en raison d’un effet direct de la politique d’Obama qu’en raison de la crise économique qui a très lourdement affecté les minorités, sans qu’Obama fasse grand chose pour elles.
En outre, Obama, en raison de son identité, a éprouvé les pires difficultés pour s’adresser directement au monde noir, tant il a craint d’être considéré comme le "président des Noirs". Cela l’a amené à être d’une grande prudence sur les sujets de racisme ou de discrimination, par contraste avec un Bill Clinton plus audacieux sur le sujet, à une ou deux exception près, comme lorsque Obama a dit ce mot sans doute spontané : "Trayvon Martin aurait pu être mon fils".
La justice américaine est-elle toujours biaisée en défaveur des Noirs ?
La justice américaine condamne plus lourdement les Noirs. Près de la moitié des condamnés à mort sont noirs ; les Afro-Américains sont huit fois plus nombreux que les Blancs en prison, et on pourrait multiplier les statistiques de ce genre. Cela ne s’explique pas seulement par des facteurs socio-économiques (la pauvreté, les défaillances du système éducatif public), mais aussi par une justice, qui, en tendance, a la main plus lourde pour les non-Blancs, et est plus indulgente lorsqu’un Blanc est accusé de violence à l’encontre d’un Noir.
Les ministres de la justice américains (attorney generals) ont reconnu les biais racistes de la justice américaine, y compris John Ashcroft du gouvernement Bush et l’actuel attorney general Eric Holder. Le projet de loi, "End Racial Profiling Act" dite ERPA, en discussion au Congrès, vise à réduire ces biais dans le système judiciaire en les qualifiant comme des crimes, et en obligeant le système à rendre des comptes sur ses pratiques.