Le président du CRIF a demandé à Albert Chennouf, père d’une victime de la tuerie de Montauban, d’abandonner ses poursuites judiciaires à l’encontre de Bernard Squarcini, l’ex-directeur du Renseignement intérieur.
Depuis dimanche, la presse généraliste se focalise sur le nouvel épisode de l’affaire Merah, dévoilé par M6 et relatif aux propos antisémites de la sœur Souad. Le tandem à l’origine de cette œuvre audiovisuelle, Mohamed Sifaoui et Abdelghani Merah, enchaîne depuis les interviews pour promouvoir leur ouvrage, sorti mercredi chez Calmann-Lévy : RTL, France Inter, Europe 1, RMC, Canal+, France 5, Arte, BFM TV, entre autres boulevards.
D’ores et déjà, les deux hommes peuvent se réjouir de constater l’écho retentissant de leur coup médiatique : les extraits de la caméra cachée repris par plusieurs chaînes de télévision – jusqu’en Israël – et des entretiens complaisants sur le mode psycho-misérabiliste ont assuré la publicité du livre, vendu à 17 euros et dont les recettes ne semblent pas, comme l’a souligné l’éditorialiste Guy Birenbaum, être destinées aux familles de victimes.
Outre ses conséquences lucratives pour le tandem, la focalisation médiatique sur Souad Merah a un intérêt politique au regard de la raison d’État : détourner l’attention des nombreuses zones d’ombre sur les évènements de Toulouse-Montauban et désamorcer le questionnement croissant sur le rôle exact des services secrets – DCRI et DGSE – dans leur traitement de Mohamed Merah en tant qu’éventuel indicateur.
Rien ne permet d’affirmer à ce jour que Mohamed Sifaoui collabore secrètement – comme c’est le cas de nombreux journalistes – avec la DCRI. Cependant, à l’instar du scoop estival de TF1 sur l’enregistrement sonore de Merah, le reportage de M6 était également signé par un journaliste disposant exceptionnellement de l’accès aux archives de la police. Après Christophe Dubois, Mohamed Sifaoui ne semble pas non plus rencontrer de difficultés pour se procurer des documents de la DCRI et les exposer à l’antenne afin d’appuyer sa thèse : celle d’un tueur solitaire – Mohamed Merah – assisté par une obscure nébuleuse islamiste aux ramifications internationales.
- Mohamed Sifaoui
Chose à retenir, le journaliste algérien, qui a récemment adapté un film sur son thème fétiche, est un proche de la droite ultra-sioniste française, avec laquelle il partage les mêmes idées, comme l’illustre son intervention (à 31’) dans un colloque organisé en 2009 par l’UPJF et intitulé « Les ruses du nouvel antisémitisme contemporain : l’antisionisme ».
La tournée promotionnelle du tandem Sifaoui-Merah fait également le jeu de l’actuelle direction ultra-droitière du CRIF : fin juin, celle-ci avait déjà organisé, avec la complicité de l’hebdomadaire Le Point, une rencontre avec Abdelghani Merah, curieusement mise en scène comme un interrogatoire policier (extrait visible de 8’35 à 9’15) :
Artificier d’une propagande catastrophiste et victimaire à outrance, son président Richard Prasquier n’a cessé, depuis le début de l’affaire Merah – et même juste avant – d’attiser, comme son ami Benyamin Netanyahu à l’échelle mondiale, la peur du salafisme terroriste, présenté comme une menace permanente et croissante.
- Nicolas Sarkozy, Richard Prasquier et François Hollande
Une manne commerciale pour les auteurs, un contre-feu soulageant pour la police et un discours anxiogène dans la ligne idéologique du CRIF : le pack documentaire/livre est une aubaine pour certains. Quant aux médias français, la plupart ont préféré servir de chambre d’écho à cette diversion plutôt que de la minorer au regard du bilan journalistique décrié de Mohamed Sifaoui. Plus grave, les journalistes de la presse généraliste n’auront pas remarqué cette étrange information, relevée par Oumma : Richard Prasquier, président du CRIF, a demandé – en privé – à Albert Chennouf, père d’une des victimes de la tuerie de Montauban, de cesser ses poursuites judiciaires, pour « non-assistance à personne en danger », à l’encontre de l’ancien patron du Renseignement intérieur.
- Bernard Squarcini
« Pour moi, Bernard Squarcini est l’assassin présumé de mon fils. J’affirme qu’il a menti au juge. Et lorsqu’on ment au juge, on ment au peuple. Je n’admets pas cela », déclarait Albert Chennouf au Point la semaine dernière. Lors du dépôt de plainte, au mois de mai, son ex-avocat, le frontiste Gilbert Collard, y était curieusement défavorable.
Oumma a remarqué sur le compte Twitter du père d’Abel Chennouf la remarque stupéfiante, formulée incidemment dimanche dernier : réagissant à un commentaire relatif au CRIF, l’homme a fait savoir que Richard Prasquier lui avait « demandé en personne d’abandonner » sa procédure judiciaire intentée à l’encontre de l’ex-dirigeant de la DCRI.
Question : pourquoi le président d’un organisme communautaire est-il intervenu auprès du père d’une victime de l’affaire Merah pour épargner l’ex-patron du Renseignement intérieur ?
Cette démarche inattendue révèle le lien entre deux hommes, Richard Prasquier et Bernard Squarcini, dont les missions et les prérogatives ne sont pas censées se recouper. Quel sens faut-il accorder à cette intervention ? Richard Prasquier semble vouloir sauver la peau de l’ex-patron de la DCRI, homme sur lequel pèse le soupçon d’avoir menti dans l’affaire Merah. Pourquoi le CRIF, constitué partie civile dans le dossier Merah, voudrait-il couvrir les éventuelles fautes graves de la DCRI ?
Une chose est certaine : ne comptez guère sur TF1, M6, Mohamed Sifaoui ou l’Express pour vous donner la réponse. Les Oummanautes désireux d’en savoir plus sont les bienvenus pour soutenir le « Projet Merah » : la réalisation d’une contre-enquête indépendante sur l’environnement toulousain de Mohamed Merah, sans le parrainage et le tampon de validation émis par la DCRI, la DGSE ou le CRIF.