Voilà seize ans que ça dure ! En 2009 et pour la seizième année consécutive en effet, plus de 90% du budget européen sont matériellement entachés par des irrégularités « significatives », dont 4,7 milliards d’euros d’attributions irrégulières de marchés, selon le dernier rapport de la Cour des comptes de l’Union européenne. Une douche froide au milieu du débat sur l’augmentation du budget de l’Union pour l’année prochaine et alors que le projet d’impôt européen continue de jouer au serpent de mer.
La Commission de Bruxelles et le Parlement européen exigent en effet des Etats, malgré les programmes d’austérité nationale (eux-mêmes résultants de nos engagements européens), d’augmenter les dépenses européennes de six pour cent pour commencer, et ce, en dépit de seize années de rapports critiques de la Cour des comptes de l’Union…
Ce 33ème rapport annuel de la haute juridiction financière et relatif à l’exercice 2009 ; porte sur 118,4 milliards d’euros de paiements (pour 142,5 milliards d’euros d’engagements). Malgré les efforts des institutions européennes, « les paiements relevant du budget continuent d’être affectés de manière significative par des erreurs », souligne la Cour dans un bel euphémisme, soit 92% des dépenses de l’Union. Elle estime également que « les systèmes de contrôle et de surveillance relatifs aux paiements sont, d’une manière générale, partiellement efficaces ». (p.21) Elle stigmatise pêle-mêle les dépenses d’« Agriculture et ressources naturelles, Cohésion, Recherche, énergie et transports, Aide extérieure, développement et élargissement, ainsi qu’Éducation et citoyenneté » Selon le Président de la Cour, « les systèmes de contrôle et de surveillance sont partiellement efficaces » lorsqu’il s’agit de « prévenir ou de détecter et de corriger le remboursement de dépenses surestimées ou inéligibles. » résume Vítor Manuel da Silva Caldeira, qui note néanmoins une légère amélioration entre 2008 et 2009.
Moutons comptant double, sur-déclarations, clubs de golf subventionnés…
Les irrégularités proviennent principalement de déclarations de paiement incorrectes et dans l’attribution des marchés publics. La Cour des comptes constate des « déficiences systémiques » (p.81) conduisant à une fréquence élevée d ’« erreurs significatives », c’est à dire des paiements irréguliers. Ainsi par exemple, avec 214 opérations de subventions contrôlées dans le domaine de l’agriculture et du développement rural, pour lesquelles les auditeurs ont constaté un accroissement du taux d’ « erreurs ». Ainsi les fraudes commises par des personnes réclamant des subventions « inadmissibles » pour le maintien des terres ou, dans un cas italien, où « les mêmes ovins ont été comptés pour deux exploitants agricoles différents afin de satisfaire aux exigences en matière de facteur de densité minimal. »
La plupart des erreurs résultent de la « sur-déclaration de terres éligibles par les bénéficiaires des régimes de paiement unique et de paiement unique à la surface ». Les commissaires aux comptes ont une fois de plus souligné le manque de contrôle, comme requis par la loi. Ainsi en Grèce, il fallait vérifier si des terrains subventionnés étaient ou non des pâturages permanents : « des surfaces enregistrées comme forêts dans le LPIS ont été déclarées comme pâturages permanents et ont bénéficié d’aides au titre du RPU, bien que les orthophotos (images aériennes ou satellitaires, ndlr) montraient clairement une densité importante d’arbres et de rochers ».
Les auditeurs ont également fait part de leurs préoccupations concernant l’usage des subventions européennes en Grande-Bretagne, où les aides agricoles sont parfois versées à des entreprises tels que des clubs de golf, des promoteurs immobiliers ou même des spéculateurs, qui ne se livrent en réalité à aucune exploitation de type agricole, sauf « le maintien des terres en bon état » comme l’exigent les règles européennes. « Les gens peuvent obtenir des subventions très généreuses en louant des terres de faible valeur. Nous pensons que cette situation est plus fréquente qu’il n’y paraît » estime un auditeur.
Surestimation du « chèque » britannique, dont la France est premier contributeur
Enfin on sait depuis décembre 2009 que la Commission a commis une erreur affectant son estimation provisoire de la correction en faveur du Royaume-Uni pour 2008 et 2009, qui s’est traduite par une « surestimation de 138 millions d’euros et de 458 millions d’euros respectivement ».
Comme la correction en faveur du Royaume-Uni pour 2008 était inscrite au budget 2009, les États membres qui la financent ont versé une contribution plus élevée que nécessaire en 2009, à commencer par la France, première contributrice à cette ristourne britannique.
Neuf projets sur dix n’offrent pas le « meilleur rapport qualité-prix »
La majeure partie des erreurs concerne l’éligibilité aux aides européennes, principalement dues à la « prise en compte de coûts inéligibles au remboursement », ainsi qu’à des « manquements graves aux règles en matière de passation de marchés publics ». Tout en notant des améliorations dans l’allocation des aides pour les régions les plus pauvres de l’Europe, les auditeurs ont demandé à la Commission de récupérer au moins 700 millions d’euros qui n’auraient pas dû être versés. L’audit a également mis en évidence des « erreurs significatives » affectant plus de 11 millions d’euros de dépenses, se traduisant par de graves violations des règles de passation des marchés publics.
Ainsi, sur dix projets routiers européens contrôlés, neuf ont été identifiés comme relevant d’une utilisation illégale des critères d’attribution. Ces contrats cofinancés au titre du FEDER ont donc été attribués à des soumissionnaires qui, « dans neuf cas sur dix, n’avaient pas remis l’offre présentant le meilleur rapport qualité-prix ».
A la lumière de ce nouvel audit des comptes de l’Union, Mme Marta Andreasen, député UKIP (groupe ELD), membre de la Commission du contrôle budgétaire (COCOBU) du Parlement européen, aura été quasiment la seule voix critique des négociations en cours relatives à l’augmentation du budget de l’Union en 2011 : « la Commission européenne et le Parlement européen hurlent qu’ils veulent une augmentation de 6% du budget de l’Union. C’est donc qu’ils veulent gaspiller davantage encore ?! » s’est-elle émue.