Il y a soixante ans, le 7 mai 1954, s’achevait la bataille de Diên Biên Phù, la plus longue et la plus meurtrière de la guerre d’Indochine, annonçant la fin de la présence française sur ce territoire.
L’Indochine française en quelques dates :
1858 : Début de la conquête française de l’Indochine.
5 juillet 1887 : Création de l’Union indochinoise réunissant le Cambodge, la Cochinchine, l’Annam, le Tonkin et le Laos sous l’autorité française.
1925 : Grèves ouvrières et manifestations en Indochine.
3 février 1930 : Création du Parti communiste indochinois par Hô Chi Minh.
Mai 1930-sept. 1931 : Émeutes agraires et troubles politiques en Cochinchine.
30 août 1940 : Accord franco-japonais accordant des facilités militaires aux troupes japonaises et reconnaissant la souveraineté française sur l’Indochine.
21 juillet 1941 : Accord franco-japonais prévoyant l’installation de troupes japonaises sur le territoire indochinois.
Septembre 1941 : Création du Viêt-minh par Hô Chi Minh.
7 décembre 1941 : Attaque japonaise sur Pearl Harbor ; entrée en guerre du Japon.
9 mars 1945 : Occupation de toute l’Indochine par les Japonais ; repli des troupes françaises en Chine.
2 septembre 1945 : Signature de la capitulation japonaise ; proclamation de la République démocratique du Vietnam à Hanoi.
Fin octobre 1945 : Réoccupation de la Cochinchine par les troupes françaises.
Mars 1946 : Négociations entre la France et le Viêt-minh portant sur la reconnaissance du Vietnam comme État libre et décidant d’un référendum au Tonkin, en Annam et Cochinchine ; débarquement des troupes françaises à Haiphong.
6 juillet-10 sept. 1946 : Conférence de Fontainebleau sur le statut futur de l’Indochine ; échec des négociations franco-vietnamiennes.
21 novembre 1946 : Premiers accrochages entre troupes françaises et Viêt-minh ; début de la guerre d’Indochine.
1947-1949 : Guérilla Viêt-minh dans le nord du Tonkin.
5 juin 1948 : Accords de la baie d’Along reconnaissant l’unité et l’indépendance du Vietnam dirigé par l’empereur Bao Dai.
Septembre 1948 : Reconnaissance par la France du statut d’États associés au Laos et au Cambodge.
18 janvier 1950 : Reconnaissance du Viêt-minh par la Chine populaire.
Octobre 1950 : Évacuation de la frontière chinoise par les troupes françaises.
6 décembre 1950 : De Lattre haut-commissaire et commandant en chef en Indochine.
13-17 janvier 1951 : Victoire française de Vinh Yen.
Oct. 1952-13 août 1953 : Installation de la base aéroterrestre de Na San ; échec des offensives Viêt-minh vers le Laos.
8 mai 1953 : Général Navarre commandant en chef en Indochine
20-22 novembre 1953 : Opération "Castor" ; occupation de Dien Bien Phu par les parachutistes français.
7 décembre 1953 : Colonel de Castries commandant du camp retranché.
10 décembre 1953 : De Lattre haut-commissaire et commandant en chef en Indochine.
13 mars-7 mai 1954 : bataille de Diên Biên Phù.
21 juillet 1954 : Accords de Genève mettant fin à la guerre d’Indochine.
10 septembre 1954 : Entrée du Viêt-minh à Hanoi.
La bataille de Diên Biên Phù :
Depuis 1946, la France est engagée en Indochine afin de vaincre le Viêt-minh du communiste Hô Chi Minh qui lutte pour l’indépendance.
Le corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient (CEFEO) s’efforce d’arrêter l’avancée des troupes du Viêt-minh vers le Laos à partir de 1952, notamment en s’appuyant sur l’implantation de camps retranchés aéroterrestres sur lesquels doivent se briser les forces ennemies. Entre octobre 1952 et août 1953, un premier camp retranché est implanté à Na San. Avec la reprise de l’avancée des forces dugénéral Giap, commandant de l’armée Viêt-minh, le commandement français décide de créer un second camp à Dien Bien Phu.
La vallée de Dien Bien Phu est située à 250 km de Hanoi, dans le haut pays Thaï, à la frontière du Laos. C’est une cuvette, de 16 km sur 9, entourée par des collines dont les hauteurs varient de 400 à 550 m, qui est traversée par la rivière Nam Youm. Site encaissé et humide, Dien Bien Phu est une zone fréquemment inondée où se maintient souvent un important brouillard. Sur l’un des points de franchissement de la Nam Youm se trouve un petit village près duquel les Japonais ont réaménagé une piste d’aviation durant la Seconde Guerre mondiale.
Entre les 20 et 22 novembre 1953, lors de l’opération aéroportée baptisée "Castor", six bataillons répartis en deux groupements aéroportés, les 1er bataillon étranger de parachutistes, 1er bataillon de parachutistes coloniaux (BPC), 6e BPC, 8e BPC, 2e bataillon du 1er régiment de chasseurs parachutistes et 5e bataillon de parachutistes vietnamiens, commandés par le général Gilles, enlèvent sans difficulté la vallée de Dien Bien Phu et commencent son aménagement.
Les Français transforment progressivement la cuvette en véritable camp retranché : la zone est protégée par plusieurs rangées de fils de fer barbelés ; la piste d’aviation est remise en état ; des positions fortifiées sont construites sur les petites collines qui entourent le village : au nord "Gabrielle", à l’est "Béatrice", "Dominique" et "Éliane", à l’ouest "Anne-Marie", "Huguette", "Claudine", "Françoise", "Liliane", "Junon", au centre le PC et "Épervier", et enfin "Isabelle" au sud ; chaque point d’appui est divisé en plusieurs postes ; un réseau de communication, en partie enterré et protégé par des barbelés, relie les points d’appui et les postes entre eux ; trois zones de largages sont aménagées entre les différents points d’appui dans le cas où la piste d’aviation deviendrait inutilisable.
En décembre 1953, les occupants de la garnison isolée de Lai Chau, capitale du pays Thaï, sont évacués sur Dien Bien Phu. Le Viêt-minh n’a donc plus que ce seul objectif. Après de nombreux accrochages, la bataille s’engage véritablement à la mi-mars 1954.
À cette date, commandée par le colonel de Castries, la garnison française compte près de 10 000 hommes appuyés par des mortiers lourds et des canons de 105 mm. En face, Giap rassemble 70 000 soldats appuyés par plus de 100 pièces d’artillerie installées dans des positions dissimulées. Le 13 mars, le Viêt-minh lance une violente attaque sur "Béatrice" et sur "Gabrielle" essentiellement tenues par des légionnaires et des tirailleurs algériens : les positions françaises sont submergées tandis que l’artillerie française ne parvient pas à détruire les canons ennemis.
En deux jours, deux points d’appui tombent définitivement aux mains du Viêt-minh. Le 16 mars, deux compagnies thaïes évacuent une partie d’"Anne-Marie". La piste d’aviation est désormais directement sous le feu des armes automatiques ennemies. Tout au long de la bataille, chacun des adversaires ne cesse d’étoffer ses forces, en hommes et en matériels. Si, grâce aux parachutages, les forces françaises présentes dans la cuvette atteignent jusqu’à 15 000 hommes, à partir du 27 mars, alors que la pluie tombe sans discontinuer, aucun avion ne peut plus ni atterrir ni décoller du camp retranché : les assiégés ne sont plus relevés ; les blessés des deux camps sont soignés sur place.
Giap aligne quatre divisions d’infanterie et une division d’artillerie, soit 70 000 combattants régulièrement relevés, et 60 000 auxiliaires dont les missions sont de construire les routes et de transporter ravitaillement et matériel. Ce déploiement de forces s’avère bien supérieur aux estimations françaises. Prenant position sur les hauteurs, le Viêt-minh accroît progressivement sa pression sur la garnison française. Alors que toutes les tentatives de désengorgement de Dien Bien Phu par des colonnes de secours échouent, le ravitaillement du camp retranché est rendu de plus en plus difficile par l’intervention permanente de l’artillerie antiaérienne ennemie.
Les 28 et 29 mars, parachutistes et légionnaires détruisent des batteries ennemies positionnées près d’"Anne-Marie" ce qui redonne un peu d’espoir à la garnison. Le Viêt-minh ne cesse pourtant de progresser : le 30 mars, une grande partie de "Dominique" est perdue ; le 14 avril le Viêt-minh occupe tout le nord de la cuvette, dont un tiers de la piste d’aviation. De jour comme de nuit, attaques et contre-attaques se succèdent autour d’"Huguette", de "Dominique" et d’"Éliane". La pluie incessante transforme le camp en bourbier.
Le 1er mai à 22h, après une importante préparation d’artillerie, le Viêt-minh lance son offensive générale. Les derniers points d’appui tombent les uns après les autres : le 7 mai, "Claudine", "Éliane" et le PC sont perdus ; à 18 h ce jour-là, le cessez-le-feu est annoncé ; le 8 mai, après une ultime tentative de sortie des tirailleurs et des légionnaires, "Isabelle" est submergé Hormis l’écart important, en effectifs et en matériels, entre forces françaises et Viêt-minh, contrairement à Na San, cuvette dont les Français tenaient à la fois les hauteurs et le fond, à Dien Bien Phu, le CEFEO ne maîtrise en effet que les premières collines et le fond de la cuvette, avec un appui aérien limité en raison de l’éloignement des bases de décollage et de conditions météorologiques exécrables.
La bataille de Dien Bien Phu coûte au CEFEO plus de 3 000 hommes, 1 700 morts et 1 600 disparus ; 4 400 soldats français sont blessés ; 10 300, dont les 4 400 blessés, sont fait prisonniers. L’ennemi perd au moins 8 000 hommes et a plus de 15 000 blessés.
La victoire Viêt-minh à Dien Bien Phu annonce le désengagement de la France d’Indochine. À l’issue des accords de Genève qui, le 21 juillet 1954, mettent fin au conflit indochinois en reconnaissant le gouvernement démocratique du Vietnam, sur les 10 300 soldats français faits prisonniers à Dien Bien Phu, seuls 3 300 sont rendus à leurs familles. Les autres, souvent laissés sans soins, épuisés, affamés, parfois sommairement exécutés, perdent la vie sur les routes qui les conduisent à leur lieu de détention et dans les camps du Viêt-minh.
Le plan de Dien Bien Phu :