« Nous sommes face en quelque sorte à un scandale économique, financier et éducatif ». Voilà comment Antoine Dulin, vice-président du Cese, le Conseil économique, social et environnemental, qualifie la situation actuelle des jeunes majeurs qui sortent de l’Aide sociale à l’enfance, l’ASE. Les anciens enfants placés représentent 30% des sans-abri nés en France.
Face à ce constat, le Cese a rendu ce mercredi [13 juin 2018] un rapport pour apporter des solutions à ces jeunes « souvent “incasables”, qui vont d’institution en institution sans jamais être stabilisés et n’ont pas de prise en charge globale », détaille Antoine Dulin. Ce rapport, qui se veut comme un porte-voix des « jeunes invisibles », a été commandé en mars dernier par le Premier ministre dans le cadre de la stratégie interministérielle sur la protection de l’enfance.
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En France, 300 000 enfants bénéficient d’une mesure de protection de l’enfance. Plus de 20 000 jeunes majeurs sont également concernés. Au total, leur prise en charge représente un budget conséquent. En 2016, 7,3 milliards d’euros, à la charge des départements, y ont été consacrés. Ces jeunes majeurs se retrouvent « souvent livrés à eux-mêmes, selon Antoine Dulin, ils sont soit obligés de retourner dans leur famille, avec les risques que cela comporte, soit il doivent solliciter le 115, le Samu social, les centres d’hébergement d’urgence et sont plongés dans la précarité. Certains départements, faute de moyen financier ou de volonté politique, ne s’en occupent pas. » Légalement, une fois les enfants majeurs, les départements n’ont pas l’obligation de poursuivre l’aide.
Le Conseil propose deux scénarios :
Modifier le droit commun en garantissant à tous les jeunes de 18 ans, sortant ou non de l’ASE, l’Aide sociale à l’enfance, un parcours d’accompagnement vers l’insertion avec une garantie de ressources. Le Cese avait déjà préconisé en 2017 un « revenu minimum social garanti ».
Créer un droit spécifique pour les jeunes majeurs sortants de l’ASE, avec une prise en charge jusqu’à la fin des études ou jusqu’au premier emploi, co-financée par l’Etat et les départements.
Des contrats jeune majeur efficaces mais plus difficiles à obtenir
Autre préconisation du Cese : généraliser le contrat jeune majeur. Le but de ce contrat est « d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux majeurs âgés de moins de 21 ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre », selon le code de l’action sociale et des familles.
Ce dispositif accompagne les jeunes entre 18 et 21 ans pour trouver un travail, une formation, tout en les aidant à se loger, à subvenir à leurs besoins et si nécessaire leur offrir un soutien psychologique.
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Mais depuis quelques années, ces contrats seraient de plus en plus difficiles à obtenir pour les jeunes. Certains départements n’en proposent plus, ou les réduisent à 6 mois au lieu de trois ans. C’est ce que constate notamment Anne-Solène Taillardat. Elle est éducatrice spécialisée dans une maison d’enfants en Seine-Saint-Denis. Il y a quelques années, elle a elle-même bénéficié de l’aide sociale à l’enfance. « J’ai passé trois ans en foyer pour adolescents, de 15 à 18 ans, puis j’étais en foyer jeune travailleur, sous contrat jeune majeur », explique-t-elle.
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Dans cette vidéo réalisée pour le Cese, Anne-Solène raconte son parcours :
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Une loi a été votée en 2016 pour réformer la protection de l’enfance, dans le but de rendre les dispositifs plus respectueux de l’intérêt et des droits de l’enfant. Mais sur le terrain, les pratiques évoluent lentement. C’est ce qu’avait constaté Aurélie Kieffer lors d’un Magazine de la rédaction consacrée à la protection de l’enfance diffusé en juin 2017 sur France Culture. Elle avait notamment rencontré Magali :
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Ce mercredi, Brigitte Bourguignon, députée LaREM du Pas-de-Calais, a déposé une proposition de loi concernant les jeunes majeurs vulnérables, pour que leur accompagnement soit renforcé.
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Brigitte Bourguignon souhaite rendre obligatoire les contrats jeunes majeurs, en cas de cumul des difficultés. Les départements auraient aussi la possibilité de prolonger la prise en charge jusqu’à 25 ans. La proposition de loi sera examinée par la commission des Affaires sociales en juillet prochain.