Pas un média ne passe actuellement sous silence un drame d’il y a… un demi-siècle ! Le 17 octobre 1961, « une manifestation pacifique d’Algériens était sauvagement réprimée à Paris. On ignore encore le nombre des victimes », écrit ainsi le quotidien Libération qui consacre, sous la plume de Béatrice Vallaeys, un très long article à ce qui est qualifié de « monstrueuse ratonnade. »
Le ton est comme il se doit celui de la charge, non seulement contre le préfet de police de Paris pendant la guerre d’Algérie d’alors, un certain Maurice Papon, mais aussi contre ses chefs avec les propos de la documentariste Yasmina Adi dont le film Ici on noie les Algériens - 17 octobre 1961 sort en salles cette semaine : « J’en ai assez d’entendre toujours parler de Papon. Il y a un président de la République, le général De Gaulle, un Premier ministre, Michel Debré, un ministre de l’Intérieur, Roger Frey, et, en effet, un préfet de Paris qui est un très bon soldat à la main lourde. C’est cela qu’on doit expliquer aux jeunes générations. »
Expliquer aux jeunes générations… Pourquoi pas ! Et que ce drame ait fait 300 morts comme l’assurent certains ou « quinze ou vingt Nord-Africains jetés dans la Seine à la suite de règlements de comptes entre tenants du MNA et dissidents du FLN. On a fait de ce 17 octobre un tableau polémique (…) Il n’y a pas eu de débordements. La répression s’est réduite à faire monter les Nord-Africains dans les autobus. Ils ne se sont pas fait prier », comme s’en est défendu par la suite Maurice Papon… ou même seulement « deux Algériens et un Français venant du Morbihan », ainsi que l’affirma de son côté Roger Frey à l’Assemblée nationale, c’est aux historiens, et à seuls, de faire désormais toute la lumière sur la réalité de ce qui reste, de toute manière, un drame. Ce que nul ne peut nier, au-delà de toute polémique de chiffres.
Mais un drame parmi tant et tant d’autres de ces « événements d’Algérie » qui furent non seulement une véritable guerre(1), mais une double guerre civile, entre les communautés d’une part et à l’intérieur des communautés d’autre part et dont le bilan humain, militaire ou civil, concernant les Européens ou les Nord-africains, se chiffrent en centaine de milliers de blessés et de morts.
Et il ne se trouve à nouveau guère de médias pour rappeler à ce propos les crimes et attentats commis en Algérie par les effectifs du FLN qui ont leur part de lourdes responsabilités dans un drame comme celui du 17 octobre 1961…
Que les historiens, journalistes, documentaristes, donneurs de leçon professionnels ou politiciens en mal de douteuse publicité électorale(2) rappellent les événements honteux de l’Histoire et « défient le déni et l’oubli », comme est présenté le film de Yasmina Adi, fort bien ! Mais que leurs défis ne soient pas sélectifs.
Car les archives et les preuves des crimes et attentats du FLN existent, tout autant que les archives du drame de 1961, exhumées par Yasmina Adi.
L’archive, « c’est son trip », claironne-t-elle. Dans ce cas, on ne peut que lui recommander d’ouvrir un certain nombre de livres tel Aspects véritables de la rébellion algérienne (suivi d’Algérie médicale)(3), un document bouleversant, exhumé grâce à Jean-Pierre Rondeau, un Pieds noirs qui en a assez de la désinformation, « par les photos des victimes ensanglantées, mutilées, violées, décapités, égorgées… et par les documents et les témoignages que le Ministère de la Guerre n’hésitait pas à publier lors de cette guerre ignoble… Mais dont plus personne aujourd’hui ne veut entendre parler ! »
Lorsque Maurice Papon fut débouté dans un procès en diffamation qu’il intenta contre les archivistes Philippe Grand et Brigitte Lainé, on comprend mieux alors le substitut du procureur qui reconnu certes à ceux-ci le droit d’employer le terme de « massacre », mais avec cette nuance : pour le substitut, les morts du 17 octobre furent les victimes d’« une houle de haine qui a submergé les hommes sur le terrain. Il n’y avait malheureusement pas besoin ce soir-là ni d’ordres ni d’instructions. »
Cela n’excuse certes aucun débordement policier, aucune responsabilité ministérielle, mais permet de mieux faire comprendre aux « jeunes générations », comme le souhaite tant Madame Adi, l’abomination d’une Guerre civile où les passions furent exacerbés d’un bord ou d’un autre.
Et qu’en Histoire, rien n’est blanc ou noir… Que la mort odieuse et la folie dévastatrice, la haine aveugle et la vengeance hideuse, sont rarement le monopole d’un seul camp… et sont généralement d’un gris très sale sur fond de passions rouges sang.
(1) Le terme de « guerre d’Algérie » a été officiellement adopté en France le 18 octobre 1999.
(2) François Hollande, à peine investi officiellement par le PS à l’élection présidentielle de mai prochain, s’est précipité pour rendre hommage aux manifestants algériens du 17 octobre 1961.
(3) Éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’histoire », 26 euros, 246 pages. À commander : Éditions Dualpha – Boîte 30 – 16 bis rue d’Odessa 75014 Paris.