Soyez sages ! #4 – Le Banquet de Platon
2 mars 22:31, par ProtégeonslaPalestineLa philosophie de Platon repose sur l’idée d’une tension, d’une distorsion anamorphotique entre la perfection de l’essence et la dégradation de la substance. Dans le dualisme platonicien, la matière est le succédané de l’Idée, dont elle n’est que la scorie, le reflet imparfait qui subsiste au terme d’un processus de chute qualitative. Le Beau serait ainsi une réverbération sensible atténuée, une déclinaison spéculaire (en miroir) amoindrie, mais néanmoins reconnaissable, de l’indépassable sublimité de l’Idée du Bien.
La beauté n’étant pas une fin en soi, mais une porte d’accès à l’absoluité de l’Idée qu’elle incarne, une invitation à la connaissance de l’abstraction dont elle est la dégradation sensible, elle a pour vocation première de permettre l’accès à la transcendance, par le truchement des sens. La dichotomie que Platon établit entre le corps idéel et le corps matériel est à l’origine d’une cosmologie dualiste qui a connu une postérité philosophique et religieuse prolifiques.
Ainsi, me semble t-il que Platon est aussi bien le père du rousseauisme qui oppose, pour prémisse, la société viciée à l’état de pureté naturelle, que le précurseur du transcendantalisme emersonien de la Nouvelle-Angleterre, qui postule que les institutions politiques corrompent la bonté originelle de l’homme, de même qu’il offre une postérité philosophique aux antagonismes du dualisme zoroastrien, qui mettait en concurrence l’esprit, source de bien, et le corps, comme origine du mal, sans compter que le platonisme fut une préfiguration intuitive du primat que les théologies religieuses donnent à l’esprit sur la matière, vecteur de péché.
Le pouvoir éminemment civilisateur de la sagesse de Platon tient à ce qu’il a introduit une hiérarchie métaphysique, via la notion de perfection et de transcendance de l’essence, qui supplante la substance. Notre monde sensible résulte d’une altération de la réalité prélapsaire (antérieure à la chute, à l’incarnation matérielle), à un moment de l’histoire indo-européenne, où la vie de la cité et la pratique religieuse étaient régies par les limites conceptuelles de l’immanence : les imperfections liées à l’anthropomorphisme des dieux et au zoomorphisme des passions humaines constituaient des croyances limitantes, une finitude de la représentation à laquelle Platon a apporté un dépassement.