"Par suite de diverses circonstances, parmi lesquelles il faut mettre au premier rang sa richesse, la douceur de ses mœurs et la décroissance de sa population, la France, parmi toutes les nations pourvues depuis très longtemps d’une personnalité sociale, est celle qui est la plus largement ouverte à l’immigration étrangère.
Cet état de choses a donné lieu, à la suite du nombre croissant des naturalisations, à la formation d’un groupe important de nouveaux venus qui apportent de leur pays d’origine une hérédité, des traditions, des coutumes et des idées morales différentes de celles qui ont été élaborées chez nous au cours des siècles.
Un but déterminé les stimule et accroît leur énergie.
Venus souvent de pays moins riches, ils apportent des exigences moindres ; ouvriers, commerçants, industriels, banquiers, ils rendent plus ardente la concurrence pour le gain, et sont un élément qui s’ajoute aux complications de la question économique.
Leur éducation les a-t-elle préparés aux carrières libérales, le même stimulant leur fait convoiter, avec une ardeur précise, les meilleurs emplois dans la politique, dans l’administration, dans l’enseignement.
Ils apportent dans ces carrières une activité qui peut être un gain pour la collectivité.
Mais s’ils viennent à prévaloir dans ces divers domaines qui touchent à la haute direction du pays, le pays, de fait, va courir un risque ; celui de se voir appliquer, d’une façon plus ou moins sensible, un ensemble de mesures où se trahira une conception morale et politique empruntée à une autre hérédité sociale, où se trahira tout au moins l’ignorance de la coutume nationale.
Cette conception étrangère fût-elle supérieure à la coutume héréditaire, le groupe n’en subira pas moins le dommage de se voir imposer des manières d’être auxquelles il n’est point adapté.
Prenant conscience de lui-même dans le cerveau des nouveaux venus, il va se concevoir autre qu’il n’est, s’essayer à des gestes auxquels il est inhabile et qui ne sont pas appropriés à son anatomie."
Jules de Gaultier
Le Bovarysme
(1902)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules...