La Russie a bien changé, depuis le chaos des années 1990, mais il est difficile de trouver des traces de ce changement dans les médias des pays occidentaux. On y trouve le plus souvent des reportages catastrophistes et des commentaires méfiants ou simplement hostiles à la Russie en général et à son système politique en particulier.
Dans un éditorial de juin 2009, les fondateurs du journal français Le courrier de Russie ont résumé ce déficit d’image à leur manière : "Quand nous nous rendons en France, même en ignorant les questions stupides sur le temps qu’il fait à Moscou ou le rationnement dans les magasins, nous constatons que nous faisons figure de zombies et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Pas un journal, pas une chronique, pas un magazine, pas une émission de télévision en France qui ne parle de la Russie sans souligner atteintes aux droits de l’homme, misère de la population ou argent trop facile et viols, meurtres et pillages en tous genres".
Plus récemment, le premier ministre russe Vladimir Poutine a affirmé que : "De nombreux clichés ont été hérités du passé, de la guerre froide. Ces clichés, tels des mouches, planent au-dessus de l’Europe et du monde entier, ils bourdonnent aux oreilles et effraient les gens. Pourtant, la réalité est autre".
C’est dire si le problème d’objectivité concernant la Russie est devenu préoccupant. On constate que les méfiances héritées de la guerre froide et de la débâcle économique des années 1990 ont fait naître un certain nombre de clichés que tout le monde connaît, comme par exemple l’alcoolisme, la misère, la mafia, la corruption ou encore la prostitution. On ne peut que constater aussi que les reportages sur la Russie ont souvent tendance à noircir le tableau de toutes les manières possibles.
Pourtant, les choses ont vraiment énormément changé et la Russie d’aujourd’hui n’a absolument plus rien à voir avec la Russie des années 1990. Bien sûr personne ne peut affirmer que la corruption, la prostitution ou l’alcoolisme n’existent plus, ou que le pays ne rencontre plus de problèmes sociaux et économiques. Mais ils sont réellement en voie de se résorber. Et ces dernières années ont été marquées par une amélioration significative de la situation générale, que l’on pense à la hausse du niveau de vie, à l’émergence d’une solide classe moyenne, à la baisse de la pauvreté ou encore aux énormes progrès réalisés dans le domaine de la santé ou de la démographie.
Autre exemple qui traduit ce défaut d’objectivité, pendant les incendies de forêt qui ont frappé la Russie l’été dernier, certains reporters ou journalistes occidentaux ont transformé les reportages sur cette catastrophe climatique en critique de ce qu’ils appellent "le système Poutine", comme si le premier ministre portait sur ses épaules la responsabilité de tous les évènements tragiques qui surviennent dans le pays.
Il y a aussi cette légende selon laquelle Moscou aurait drainé tous les bénéfices de la croissance économique de la dernière décennie, pendant que les autres villes de Russie seraient restées dans la misère et la désorganisation.
J’ai ramené des images bien différentes de mon voyage en Extrême-Orient le mois dernier, voyage qui m’a mené à Vladivostok. Avec son port militaire et son statut de ville fermée pendant la période soviétique, cette ville a longtemps gardé un certain mystère, qui fascinait probablement les journalistes étrangers en quête de réalité dissimulée. Aujourd’hui, à 8 heures de vol de Moscou, la ville est atteignable en low cost russe, en Boeing-777 neuf, pour moins de 150 euros. Bien que située à 9.300 km en train de Moscou et bien plus proche des grandes capitales asiatiques, Vladivostok est totalement russe. La surprise est grande d’arriver dans une ville relativement moderne, toute en montées et descentes comme San Francisco, et où il est possible de trouver autant des magasins de vins français que des caves à cigares, ou encore de déguster des huitres de l’Extrême-Orient qui sont par ailleurs délicieuses. La différence avec la capitale est assez facile à ressentir, Vladivostok est une ville douce, comme l’est le rythme de la région, en phase avec une nature incroyable, et bien loin de l’ambiance fiévreuse de la capitale. L’activité économique intense est cependant constatable à travers les nombreux chantiers liés à la préparation du sommet de l’APEC en 2012. A cette occasion les infrastructures de la ville, mais également du Kraï vont être totalement modernisées, que ce soit les routes, les hôpitaux, l’aéroport, les hôtels ou encore les ponts. C’est d’ailleurs une société française qui se charge d’un projet unique : la construction du plus long pont à câbles du monde, pour relier la ville à une île, sur laquelle sera construit un campus universitaire moderne.
Lorsque j’ai déménagé en Russie, mes amis étaient sceptiques quand à mon choix. Je précise que mes amis d’enfance ont pour la plupart grandi au bord de l’océan Atlantique, dans une ville ou les seules activités disponibles étaient les sports de mer, surf en tête. Il est vrai que la Russie ne leur apparaissait pas comme l’endroit idéal pour sa pratique. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir qu’il était pourtant possible de surfer dans l’Extrême-Orient russe, que des Russes surfaient régulièrement sur place et que l’un des plus grand surfer du monde, Tom Curren, avait récemment fait un voyage sur place, domptant les vagues à Vladivostok, Nakhodka et Ioujno-Sakhalinsk. Je repense à la phrase du premier ministre russe Vladimir Poutine à la suite du choix de la Russie pour organiser la Coupe du monde de football 2018 : "Venez pour la Coupe proprement dite et regardez la Russie, promenez-vous dans les villes, parlez avec les gens et ressentez le pays".
Effectivement, la seule façon de ressentir la Russie est de s’y rendre, hors des sentiers battus, et de découvrir les incroyables atouts dont le pays dispose, même les plus inattendus.
* Alexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".