Beaucoup de bruits circulent actuellement sur des tensions entre le président Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine à moins d’un an des élections présidentielles. Après les huit ans de gouvernance Poutine de 2000 à 2008, la presse étrangère s’était empressée d’affirmer que celui-ci allait sans aucun doute modifier la constitution pour s’autoriser un troisième mandat. Il n’en a rien été.
Après la candidature de Dmitri Medvedev et son élection, la même presse avait affirmé que Poutine allait sans doute faire démissionner Medvedev pour pouvoir le remplacer. Là encore il n’en a rien été. Ces mêmes spécialistes spéculent aujourd’hui sur une hypothétique tension entre les deux hommes. Medvedev, nous dit-on, symboliserait une Russie plus ouverte et tournée vers l’ouest alors que le retour de Poutine à la présidence symboliserait au contraire le maintien d’un système politico-économique autoritaire et archaïque. Sans surprise, cette position est défendue par un certain entourage libéral proche de Dmitri Medvedev qui ne fait pas mystère de ses réticences à un éventuel retour de Vladimir Poutine au pouvoir.
La presse étrangère et notamment française n’a, il est vrai, cessé de spéculer sur la personnalité de Dmitri Medvedev, d’abord présenté comme une marionnette de Vladimir Poutine, puis comme un vrai libéral aux mains liées. Pourtant Dmitri Medvedev n’est pas cet homme mou ni libéral que la presse française nous décrit. Durant l’été 2008 c’est en tant que président qu’il prend la décision d’envoyer l’armée défendre les casques bleus russes et la population ossète, face à l’agression militaire de l’armée géorgienne.
A la fin de la même année, il menace sèchement de couper l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine, si celle-ci ne règle pas ses impayés. Inlassablement, Dmitri Medvedev continue la même politique que celle entamée par Vladimir Poutine. Les deux hommes du reste s’échangent les rôles du bon et du méchant, achevant de rendre totalement opaque leur relation tout comme leurs intentions pour 2012, qui sont devenues un réel casse tête pour les observateurs étrangers. Vladimir Poutine avait pourtant prévenu les occidentaux lors de l’élection de Dmitri Medvedev : "ne pensez pas que ce sera plus facile avec lui".
Dmitri Medvedev n’est pas, il faut le rappeler, issu d’une quelconque structure de sécurité, mais de la société civile. Âgé de seulement 46 ans, il est d’une autre génération, ce qui explique son style plus moderne et plus jeune. D’un président à l’autre la Russie a toujours les mêmes objectifs : renforcer sa position sur la scène internationale en agissant pour la création d’un monde multipolaire, tout en développant son économie, encore trop dépendante des matières premières.
La Russie opère également un réel replacement géostratégique qui vise à la rapprocher de l’Europe. Le pouvoir de la nouvelle Russie n’a du reste cessé de rappeler l’appartenance du pays à la civilisation européenne. En ce sens, les propositions de Dmitri Medvedev de constitution nouvelle architecture de sécurité européenne, alternative à l’Otan, sont complémentaires des propositions formulées par Vladimir Poutine de création d’un marché économique continental commun.
Il faut bien comprendre la forme de continuité entre le pouvoir russe de Eltsine (embryon de démocratisation et volonté avortée de lutte contre la corruption), le redressement de la décennie Poutine (destiné à arrêter l’effondrement et remettre la Russie en ordre) et la période Medvedev (volonté de modernisation et développement). Bien sûr, la présidence Medvedev entre une guerre en 2008, une crise financière qui a sévèrement frappé le pays en 2008 et 2009 et un cataclysme climatique qui a touché l’économie en 2010 n’a pas été consacrée qu’à la modernisation.
Également, la stabilisation économique et politique issue de la gouvernance Poutine est acquise, et ne représente plus réellement un projet à établir, tout au plus à maintenir. Ainsi les principaux think-tanks du pouvoir ont très récemment publiés des projets de développement économique et social dans le cadre du plan de développement 2020. Contrairement à certaines affirmations, la scène politique russe, bien que pour l’instant majoritairement dominée par le parti Russie Unie n’est pas du tout figée ou rigide. Le parti dominant à en son sein une réelle diversité, et de nombreux courants politiques, mais également des courants d’intérêts s’y font face. Le pouvoir n’a cessé par un système de vases coulissants d’intégrer des hommes de sensibilité politique différente, qu’il s’agisse de transfuges des divers principaux partis ou même à des personnalités issues de l’opposition libérales comme par exemple Nikita Belykh, nommé début 2009 gouverneur de la région de Kirov.
Ces élargissements qui devraient continuer, et peut même concerner d’autres franges non politiques de la société, oxygènent Russie Unie en évitant ainsi que le parti ne se coupe d’une potentielle tendance politique concurrente, et émergente. La Russie n’est plus l’Union Soviétique et la liberté d’expression y existe désormais. Il n’est donc pas anormal et même plutôt sain que des opinions diverses s’expriment, même autour du pouvoir. Il serait totalement irréaliste d’imaginer que des personnalités issues de tendances étatistes, voire anti occidentales, puissent toujours être sur la même longueur d’onde que des personnalités issues de la société civile et de tendances très libérales et pro-occidentales.
L’existence de désaccords politiques, d’une opposition des idées et des genres est une des conditions sine qua non du dialogue mais également de l’expression de la démocratie. Bien sur, nombre de commentateurs sont à l’affût d’une tension qui démontrerait "enfin" une hypothétique faillite d’un système Poutine, qui pour certains semblait évidente, que ce soit lors des dernières séries d’attentats ou lors des incendies de l’été dernier. Malheureusement pour ces analystes et comme l’a récemment affirmé Jean Radvanyi, directeur du centre franco-russe des sciences humaines et sociales à Moscou, à propos de la rivalité entre les deux hommes : "La rivalité se manifeste plus dans les commentaires de la presse que dans la réalité". Au jour d’aujourd’hui, il semble que le tandem fonctionne toujours parfaitement, les deux hommes étant parfaitement complémentaires.
Personne ne peut aujourd’hui prédire qui sera candidat en 2012. Une chose est certaine, comme le rappelait récemment l’expert Vladimir Frolov, Medvedev s’il souhaite être réélu en 2012 a impérativement besoin du soutien de Poutine et du parti Russie Unie et pas l’inverse. En 2018, Dmitri Medvedev n’aura en outre que 53 ans, soit l’âge de Poutine lorsque celui-ci a entamé son second mandant en 2004. Sa carrière politique est donc, quoi qu’il arrive, sans doute très loin d’être terminée.