Dans les registres de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), l’une des rares sources d’information indépendantes qui inventorie les exportations de matériel militaire au sens strict – donc, ni les technologies, ni les composants, notamment –, la France n’apparaît plus comme fournisseur d’Israël depuis des décennies.
Seuls les États-Unis – loin devant, avec un montant global, depuis 2013, évalué à 3,6 milliards d’euros –, l’Allemagne (1,5 milliard d’euros) et l’Italie (261 millions) sont identifiés comme exportateurs d’« armes majeures » vers Israël. Tout comme le Royaume-Uni, le Canada ou encore l’Australie, la France ne livre plus d’équipements militaires ou d’armements clés en main à Israël.
Mais depuis 2013, la France a vendu et livré chaque année pour 20 millions d’euros, en moyenne, de composants militaires à Israël. Le gouvernement français a, par ailleurs, délivré des autorisations d’exportation vers Israël pour un volume global de 357 millions d’euros, dont près d’une dizaine de millions entrant dans la fabrication de « bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosifs ». Mais ces licences accordées par la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) sont loin d’être toutes exercées dans les faits.
À ces exportations, réelles ou encore virtuelles, d’armements purs et durs, il convient d’ajouter le volume des échanges avec Israël concernant les biens dits « à double usage ». Dans un autre rapport destiné aux parlementaires, Bercy recense ainsi des transferts vers Israël de composants de cette nature hybride, à application civile ou militaire, pour un volume financier de 34 millions d’euros en 2022, dont 29 millions d’euros pour la seule catégorie « capteurs et lasers », particulièrement utiles pour les armées.
Soulignant que les montants en jeu sont « assez faibles », surtout en comparaison des clients principaux de la France en matière militaire comme l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Égypte, Patrice Bouveret, cofondateur de l’Observatoire des armements, en tire une observation imparable : « L’adoption d’un embargo ne mettrait pas du tout en péril l’industrie française. »
Une question de justice internationale et de droit humanitaire
Mais, évidemment, sur fond d’offensive israélienne littéralement sans précédent – d’après les décomptes du ministère de la Santé du Hamas à Gaza, les bombardements ont fait 10 812 morts, dont 4 412 enfants –, la question n’est pas économique, elle renvoie désormais à la justice internationale et au droit humanitaire.
« On nous informe de montants financiers dans le rapport présenté au Parlement sur les exportations d’armements, relève Patrice Bouveret. Mais cela ne donne aucune idée de la dangerosité des armes conçues avec des éléments ou des composants produits et commercialisés par la France. Ce ne sont pas les montants qui font la létalité, l’enjeu des exportations d’armes ne se mesure pas qu’au seul volume d’argent en jeu. Seule la publication d’une liste précise des produits exportés permettrait de mesurer précisément la réalité de la contribution militaire et la responsabilité de la France dans les massacres perpétrés par l’armée israélienne à l’encontre des populations palestiniennes. »
Interrogé par l’Humanité sur la nature des produits militaires français exportés vers Israël et sur le risque de complicité pour avoir prêté aide ou assistance à un acte illicite commis par un autre État, le ministère des Armées renvoie vers l’Élysée, « ce sujet relevant de la présidence de la République ». Sollicités à leur tour, les services d’Emmanuel Macron ne nous ont pas répondu avant le bouclage de cette édition.
En matière d’exportations d’armes vers Israël, la position du gouvernement français a été constante jusqu’à présent : s’appuyant sur le niveau « relativement faible » des « ventes directes de matériels français à l’État israélien », les autorités à Paris ne semblent pas particulièrement inquiètes, et elles insistent sur la « vigilance » de la commission interministérielle (CIEEMG) qui les autorisent. Pas sûr que cette explication suffise, d’autant plus si des familles de victimes palestiniennes se piquent de suivre l’exemple de la famille Shuheibar, qui a saisi la justice en France pour faire reconnaître un « crime de guerre », survenu à Gaza en juillet 2014, au moyen d’armes en partie françaises [1].
Le géant français Thalès interpelé au Royaume-Uni
Tandis que des activistes au Royaume-Uni ciblent, ces dernières semaines, les fabricants d’armes ou de composants potentiellement utilisés contre les populations gazaouies, comme le géant français Thales qui a un partenariat sur un drone militaire avec le plus gros industriel israélien du secteur (Elbit), les questions se posent au sein même des entreprises en France. D’ailleurs, chez Thales, ce n’est pas nouveau. Dès 2014, la CGT avait interpellé la direction sur ses « relations avec Israël », et elle envisage de le refaire prochainement.
« On est en train de voir comment agir efficacement, confie Gregory Lewandowski, le coordinateur du syndicat au sein de la multinationale. On sait bien que c’est le gouvernement français qui autorise les ventes d’armes, et notre direction se réfugie derrière ça pour évacuer le sujet, mais on aurait tout à fait le droit de décider de ne pas vendre nous-mêmes ! Pour nous, il y a bien sûr une responsabilité morale, nous ne tolérons pas l’idée que nos matériels puissent être utilisés pour des génocides, on l’avait dit pour les Saoudiens au Yémen, et ça vaut peut-être aujourd’hui pour Israël à Gaza. Mais, à la direction de Thales, nous rappelons également le risque juridique que fait peser notre concours potentiel à des crimes de guerre. »
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La honte
Netanyahou, le 24 octobre 2023 : « On va faire tous les efforts nécessaires pour libérer nos otages et pour protéger les civils palestiniens... »
Macron : « Je veux en effet ici exprimer au peuple israélien toutes les condoléances de la France. Ces condoléances sont celles d’un pays ami, éploré devant l’acte terroriste le plus terrible de votre histoire, et saisi par votre chagrin et votre douleur. Ces condoléances sont celles d’une nation qui comme vous a pleuré des jeunes vies, des vies ordinaires, des vies heureuses fauchées par la sauvagerie du terrorisme. Ces condoléances sont celles de millions de femmes et d’hommes, nos compatriotes, qui ont été sidérés par le degré inouï de violence pure et de cruauté, et qui pensent aux familles endeuillées, aux familles brisées, aux familles angoissées. Les actes que vous avez subis dépassent tout entendement. »