Alors que les médias braquaient leurs projecteurs sur la Pentecôte œcuménique organisée le 9 juin dernier avec Mahmoud Abbas et Shimon Peres en guest stars, une sorte de révolution de palais s’était déroulée quelques jours plus tôt, dans l’indifférence générale, au Saint-Siège. Les membres italiens de l’Autorité d’information financière (AIF) du Vatican avaient été remerciés le 5 juin et remplacés par « des experts internationaux », ayant parfois servi à des postes clefs de l’administration Bush…
Le 5 juin dernier, dans un communiqué de presse émis par le Vatican, le Pape a remercié l’entièreté de la direction sortante de l’AIF composée des italiens Claudio Bianchi, Marcello Condemi, Giuseppe Dalla Torre, Francesco De Pasquale et Cesare Testa. Le mot d’ordre de leur remplacement ? « Professionnaliser, internationaliser, coordonner. » C’est ainsi que le pape François a nommé pour cinq ans quatre nouveaux membres à la direction de l’AIF. Ils seront chargés de superviser son agence de lutte contre le blanchiment d’argent et la fraude.
Créée le 30 décembres 2010 par Benoît XVI dans le but d’aligner le Vatican sur les normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, l’AIF est un des leviers essentiels du Saint-Siège dans le cadre d’une politique de transparence et d’assainissement des finances. Deux tendances s’affrontent au Vatican : les tenants de la transparence absolue voulant apparaître comme de bons élèves aux yeux des organisations internationales d’un côté, et de l’autre les tenants de la souveraineté financière de l’État pontifical, soucieux de l’autonomie du Vatican et partisans d’une certaine discrétion. Le 5 juin a vu la victoire des premiers et notamment d’une personnalité qui sera désormais l’homme fort de l’AIF, René Brülhart (photo).
Originaire de Fribourg (Suisse), cet avocat de profession a notamment participé au transfert des actifs de Saddam Hussein vers le nouveau gouvernement irakien dans l’après-2003 et fut directeur de la Financial Intelligence Unit (cellule de renseignement financier) du Liechtenstein pendant huit ans. En 2010, il a été nommé vice-président du Groupe Egmont, un réseau d’agences nationales de renseignement financier, auquel il fera adhérer le Vatican en 2013. Car entre temps, ce « James Bond du monde financier » (The Economist du 20 octobre 2012), quarante ans à peine, a été nommé conseiller financier du Vatican en septembre 2012 avant d’être rapidement nommé à la tête de l’AIF, le 7 novembre 2012. Selon l’agence Associated Press, des affrontements récurrents se déroulaient au sein de l’AIF, où René Brülhart tenait son conseil composé d’Italiens à l’écart de ses initiatives. Ces mésententes auraient conduit, en janvier dernier, à la démission du président de l’AIF, le cardinal Attilio Nicora (aujourd’hui remplacé par Mgr Giorgio Corbellini). Le pape François s’est rangé de son côté pour opérer un changement de « culture ». C’est ainsi que la Curie s’internationalise avec l’arrivée de laïcs, de femmes et de non-Européens. Tous font leur entrée dans les commissions et les nouvelles instances du Vatican.
Le 5 juin, quatre nouveaux administrateurs internationaux ont donc été nommés à l’AIF, des administrateurs à l’image de ce nouveau Vatican. Tout d’abord, l’emblématique Juan Carlos Zarate : professeur invité à Harvard, Zarate a été sous-conseiller à la sécurité nationale des États-Unis (2005-2009), chargé de superviser la mise en œuvre effective de la stratégie de lutte contre le terrorisme dans l’administration de George W. Bush. Avant cela, Zarate avait été fonctionnaire du département du Trésor des États-Unis chargé de la lutte contre le financement du terrorisme et les crimes financiers. Il est également senior adviser d’un célèbre think tank néoconservateur, le Center for Strategic and International Studies (CSIS), au conseil d’administration duquel siègent, entre autres, Zbigniew Brzezinski, Henry Kissinger ou encore James Woolsey.
Également nommé à l’AIF, le Suisse Marc Odendall. Aujourd’hui administrateur de plusieurs fondations, ce consultant financier dans le secteur philanthropique, né en 1957, diplômé de Sciences Po Paris (1979) et de l’ESSEC (1983) a fait carrière au sein des plus grandes banques d’investissement à Paris et à Londres. Il a en effet travaillé pour JPMorgan (1984-1989), CSFB (1990-1993) ou encore Merrill Lynch (1994-1996).
On trouve aussi Joseph Yuvaraj Pillay. Ce singapourien qui a suivi ses études au Royaume-Uni est le président du Conseil des consulteurs du président de Singapour. Il est président non-exécutif du conseil de surveillance de Tiger Airways Holdings Ltd. Il a fait la plus grande partie de sa carrière dans la fonction publique du gouvernement de Singapour de 1961 à 1995. Il a servi dans les ministères des Finances, de la Défense et le développement national, ainsi qu’au sein de l’Autorité monétaire de Singapour et dans la Government of Singapore Investment Corporation, dont il fut directeur général. Il a également présidé Singapore Exchange Limited, Development Bank of Singapore, Singapore Airlines Limited, Temasek Holdings…
L’Italie ne sera pas complètement absente de l’administration de l’AIF avec la nomination d’une femme, Maria Bianca Farina, qui a dirigé INA Assitalia, le géant italien de l’assurance qu’elle a contribué à privatiser. Elle a ensuite été l’administratrice de la branche assurance de la poste italienne. Elle siège également au conseil d’administration de Generali Asset Management Spa, et de Generali Multimanager Sicav. Pour ce qui est de la charité, elle est membre du conseil d’administration de l’ONG « Save the Children ». Côté italien, le Vatican a également annoncé le 5 juin la nomination de Tommaso di Ruzza au nouveau poste de vice-directeur de l’AIF. Ce fonctionnaire italien travaillera sous les ordres directs de René Brülhart.
Ces nominations interviennent dans le cadre d’une large restructuration des finances au sein du Vatican. Le 8 mars dernier, François avait nommé les nouveaux membres du conseil pour l’économie du Vatican, soit huit cardinaux et sept laïcs parmi lesquels Jean-Baptiste de Franssu, un français consultant en fusions-acquisitions et expert en gestion.
Le 24 février dernier, le pape François avait annoncé la création d’un secrétariat à l’Économie du pape, visant à accentuer la transparence et la discipline budgétaire à tous les ministères du Vatican. Au nouveau secrétariat de l’Économie dirigé par le cardinal australien George Pell, le pape a annoncé le 5 juin dernier la nomination de Danny Casey, ex-business manager du richissime Archidiocèse de Sydney. Ce laïc, expert en finance, se retrouve à la tête de la section « project management » de ce nouveau secrétariat pour l’Économie. Il sera chargé à la fois d’assister le cardinal George Pell, ancien archevêque de Sydney et préfet du nouveau secrétariat, dans la réforme des structures économiques et financières du Saint-Siège, mais également de coordonner le travail du dicastère. La transformation du Vatican en multinationale du XXIème siècle ne verra même pas l’éradication des sempiternels reproches faits au Saint-Siège, puisque ces deux derniers personnages furent impliqués dans des scandales de pédophilie au sein de l’Église catholique australienne, notamment dans l’affaire John Ellis.