Une nouvelle étape vient d’être franchie dans la poursuite sans fin de l’indemnisation des victimes de la Shoah. Le ministère des Affaires étrangères, en collaboration avec le Premier ministre, a élaboré un projet de loi visant à autoriser un transfert d’argent vers les États-Unis pour alimenter un fond d’indemnisation.
Le montant du transfert serait de 60 millions d’euros. Il s’agirait, plus précisément, d’indemniser des victimes déportées depuis la France qui, compte tenu de leur nationalité, n’avaient jusqu’à présent pas pu bénéficier des fonds d’indemnisations français. Le projet de loi sera par ailleurs accompagné de dispositions visant à éviter les doublons, même si, bien sûr, les concernés seront certainement déjà bénéficiaires d’autres programmes d’indemnisation, en particulier les nombreux programmes allemands [1].
Ce projet de loi est en réalité la première étape de la traduction en droit de l’accord établi en décembre dernier entre les autorités françaises et américaines dans le cadre de l’affaire SNCF. Des élus américains s’étaient opposés à l’attribution de gros marchés publics à la SNCF tant que cette dernière n’avait pas distribué des indemnisations [2]. II y a plusieurs années en effet, des rescapés s’étaient manifestés auprès de cours de justice américaines pour obtenir réparation, et des projets de lois ont ensuite été introduits au Congrès pour permettre aux juridictions américaines de poursuivre toute entreprise ayant joué un rôle dans le transport des victimes de la déportation.
Les déclarations solennelles de Guillaume Pépy (président de la SNCF), à l’époque, avaient été vaines. Les excuses par les mots ne sont pas suffisantes, il faut des excuses sonnantes et trébuchantes, que le gouvernement français, après le vote du parlement, fournira donc. Il y aura, parmi les bénéficiaires, des anciens déportés, mais aussi des descendants de déportés, ce qui, du reste, n’est pas matière à déranger les autorités françaises, qui se sont distinguées en ouvrant en 2000 un fond d’indemnisation au bénéfice d’environ 10 000 juifs dont les parents sont morts en déportation.
On notera au passage avec amertume cet indécent mélange de questions juridiques et de pressions économiques et diplomatiques, qui transgressent les règles les plus élémentaires de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice. Les plaignants, cependant, ne s’y trompaient pas puisqu’à l’origine, ils avaient naturellement déposé une plainte dans une juridiction qui n’était pas en mesure de traiter l’affaire. Nonobstant cette très délicate question des indemnisations, il est aujourd’hui de plus en plus normal de considérer que les juridictions américaines, directement ou indirectement, sont en mesure d’étendre leur rayon d’application à l’ensemble du globe.
Illustration : signature de l’accord à Washington le 8 décembre 2014 par Patrizianna Sparacino-Thiellay, ambassadrice française pour les droits de l’Homme.