L’usure est une logique financière qui permet à quelques hommes de faire du temps un commerce comme un autre : le temps peut se vendre ou s’acheter, comme n’importe quelle vulgaire denrée.
Cette logique financière favorise le riche sur le pauvre, et permet de concentrer les richesses sur une caste après quelques générations.
La domination financière de cette caste se mue en domination sociale.
Le caractère exponentiel de l’usure fait qu’à partir d’un moment, les concentrations de richesse s’accélèrent et la demande de croissance devient insoutenable.
Dans l’histoire, les corps lâches sous la pression de cette machine infernale et des pandémies servent parfois de fusible pour ralentir la cadence ; les écarts de richesse et le besoin effréné de croissance conduit souvent au chaos social, à des guerres civiles ou des guerres expansionnistes.
Pour toutes ces raisons, nos sages des anciens temps ont dénoncé l’usure. Le plus célèbre d’entre eux étant Aristote.
Les trois religions monothéistes dans leurs Livres originels ont formellement interdit l’usure, jusqu’au XIIème siècle où certains hommes de religion décident de lever l’interdit. La tentation de dominer le monde est trop forte.
Des exégètes juifs vers le XIIème siècle vont définitivement statuer sur la licéité de l’usure, puis au XVIème siècle Calvin en fera de même. Il est excommunié par l’Eglise catholique et se réfugie dans le protestantisme. En étant les premiers religieux à avoir rendu légal l’usure, et en profitant du caractère exponentiel de l’usure, le monde judéo protestant prend une avance sur les autres Nations.
D’ailleurs, les premières banques centrales naissent dans le monde protestant dès la fin du XVIIème siècle. Jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas pour rien que les plus grandes places financières sont des places protestantes (Genève, Londres, New-York) et les plus grandes banques sont originellement fondées par des familles protestantes ou juives (JP Morgan, Goldman Sachs, etc.).
Il faut attendre le XVIIIème siècle en France, pour que les physiocrates, des économistes ultralibéraux défient à la fois l’Etat et l’Eglise catholique, en exigeant la libre circulation des marchandises, la non-intervention de l’Etat, et la légalisation sans limite de l’usure.
Ce sont d’ailleurs ces idées libérales qui vont entraîner la France dans un endettement insoutenable, menant à l’embrasement populaire de la Révolution française. D’ailleurs, une des premières lois votées par l’assemblée constituante est la libération totale du taux d’usure. Dans la foulée, en 1800, des banquiers finissent par convaincre Napoléon de créer la Banque de France, une banque privée au service d’intérêts privés (dont l’Empereur et ses proches en deviennent actionnaires).
Le XIXème siècle voit les usuriers prendre le dessus sur les classes laborieuses et sur les peuples d’ici et d’ailleurs. C’est naturellement à cette époque que les idées de Proudhon et de Marx tentent de résister à la domination totale des forces de l’argent.
L’usure ne fut pas seulement un moyen d’accumuler des richesses et de dominer les classes laborieuses, elle fut aussi un moyen de coloniser les contrées du monde les moins financiarisées, d’Afrique et d’Amérique du Sud.
Dans ce XIXème siècle, les travailleurs européens exploités et les peuples du monde colonisés ont un bourreau commun : l’usurier protestant, l’usurier juif, l’usurier matérialiste, l’usurier tout simplement…
Cette convergence des luttes, nous en sommes témoins aujourd’hui encore. Cette alliance de circonstance de l’ouvrier et de la victime de l’impérialisme occidental ne plait pas à l’ordre dominant.
La Tunisie en 1881, l’Égypte en 1882, le Maroc en 1912, sont colonisés par la France et le Royaume-Uni, non pas au son du canon, mais par l’arme mortelle de la dette avec intérêts !
La banque ottomane, qui n’a d’ottomane que le nom, est créée en 1856 par des banquiers français et britanniques et s’installe dans le quartier de Galata à Constantinople. Véritable Cheval de Troie, cette banque finance les guerres ottomanes coûteuses financièrement et humainement, et joue le rôle de banque centrale.
Affaibli militairement par les nationalismes arabes, le colonialisme franco-britannique, les guerres contre les Russes et les Européens au nord, l’Empire ottoman est aussi affaibli financièrement par un système usuraire l’étouffant sous les dettes. L’empire est peu à peu dépecé, notamment en 1916 lors des accords franco-britanniques de Sykes-Picot qui se partagent le Moyen-Orient.
La dette colossale et les divisions fomentées au sein même de l’Empire ottoman par les deux empires colonialistes français et britannique, finiront par mettre fin au dernier empire censé réunir le monde musulman, pour la première fois depuis le VIIème siècle.
Une année après les accords franco-britanniques de Sykes-Picot, la Grande Bretagne mandataire en Palestine, par l’intermédiaire de Lord Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, annonce que son gouvernement soutient l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine. Cette déclaration Balfour n’est pas à l’attention du "Dear Lord Rothschild" par hasard.
Si cette lettre s’adresse à un membre de la famille Rothschild, c’est en partie parce que la famille a financé le Royaume-Uni lors de la Première Guerre mondiale et a participé par son influence politique et économique à l’effort de guerre en faveur de l’Empire britannique.
C’est aussi la branche française de la famille Rothschild qui dès le XIXème siècle, forte de son activité usuraire, achète des terres en Palestine alors sous contrôle ottoman, et finance dans la foulée le projet sioniste de Herzl.
En résumé, l’Empire ottoman a ouvert la porte de l’usure en acceptant l’établissement de la mal nommée Banque Ottomane. Dans le même temps, le monde musulman s’est divisé à cause des nationalismes arabes nourris par les empires franco-britanniques, et il a été affaibli aussi par la colonisation de plusieurs contrées musulmanes « mordues » par le poison de l’usure.
Usure et division, voilà les deux cancers ayant mené à la chute de l’Empire ottoman et à la perte de la Palestine par le monde musulman.
Usure et division, voilà les deux armes qui ont permis au monde judéo-chrétien de conquérir la Palestine, et de laisser une blessure béante au sein d’un monde musulman désuni.
Si la cause palestinienne fait réagir autant, c’est que les causes historiques sont complexes et clivantes. Le conflit israélo-palestinien est le fruit de l’usure, de la colonisation, de la division du monde musulman, de l’antisémitisme européen, et de la barbarie nazie. Voilà pourquoi ce conflit réveille dans notre inconscient collectif un passé douloureux.
Ce conflit divise le monde en deux sans laisser de place à l’indifférence : d’un côté, les hommes et les femmes qui s’accommodent de l’usure et des conquêtes impérialistes, de la hiérarchisation sociale et des races ; de l’autre, les hommes et les femmes qui s’inscrivent contre la domination des peuples, contre la domination des usuriers sur les classes laborieuses, contre les suprémacistes et les impérialistes.
Ces deux mondes sont-ils réconciliables ? À vous d’en juger.
Nous ne vivons pas un choc des civilisations, ni un choc des religions. Nous vivons un choc entre le monde usuraire et les peuples du monde qui en sont victimes et tentent de lui résister…