Egalité et Réconciliation
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Une monnaie pour le monde

"Les marchés font le pari que quelque chose va s’effondrer." Lisez la suite de la chronique de Jacques Attali.

Comme on pouvait le prévoir depuis que le G20 de Londres a choisi de sortir de la crise des finances privées par l’augmentation illimitée des dettes d’Etat, la crise financière mondiale dérape en crise des finances publiques. A force d’inventer des moyens de plus en plus tordus d’emprunter sans le dire, les marchés ne croient plus que les gouvernements sauront rétablir leurs équilibres, et font le pari que quelque chose va s’effondrer. D’abord, pronostiquent-ils, des pays tomberont, comme on l’a vu déjà avec l’Islande, l’Irlande et la Grèce. Puis l’euro lui-même disparaîtra, car il ne pourra durablement exister sans solidarité fiscale entre les pays partageant la même monnaie. Puis ce sera le tour du système financier mondial, si on continue à y émettre de la monnaie de façon aussi illimitée, bien au-delà de la production réelle de richesses. Pour l’empêcher, il ne suffira pas de bloquer la spéculation : elle révèle une tendance profonde, qui ne saurait être inversée par la seule interdiction des paris sur son évolution. Il faut aller plus loin et rétablir des financements sains au niveau des Etats.

La proposition de Dominique Strauss-Kahn

Pour y parvenir, le directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, vient d’émettre une proposition très rationnelle, qui peut conduire au meilleur comme au pire, selon la façon dont elle sera mise en oeuvre. Il vient en effet de demander que soit donné à l’institution qu’il dirige un mandat de supervision du système financier international, avec droit d’intervention dans les affaires budgétaires des nations, pour éviter que les pays continuent à s’endetter sans contrôle, promettant en échange d’ouvrir aux Etats dont le comportement budgétaire deviendrait raisonnable des lignes de crédit à court terme en complément de celles que leur accordent déjà, de façon presque illimitée, les marchés financiers et les banques centrales. Il a même proposé de fournir aux Etats en difficulté "un actif de réserve émis mondialement, semblable, bien que différent dans des aspects importants, aux droits de tirage spéciaux (DTS)".

Transformer le FMI en banque centrale planétaire peut aboutir au pire comme au meilleur

En toute logique, la mise en oeuvre de cette proposition déboucherait sur la transformation du FMI en banque centrale planétaire, assurant la liquidité de tout le système financier international avec une monnaie unique mondiale. Cette idée rejoint celle du bancor, qu’avait proposée Keynes au moment de la création du FMI, en 1944, et que les Américains avaient alors repoussée, pour ne pas remettre en cause la suprématie du dollar ni se trouver contraints eux-mêmes à une discipline.

Aujourd’hui, les Etats-Unis pourraient l’accepter, non pour s’imposer une règle, mais pour financer leurs déficits publics par d’autres ressources que les emprunts aux fonds souverains. Tout le monde s’entendrait alors pour pousser le FMI à accorder de tels crédits nouveaux, sans lui donner pour autant les moyens juridiques et politiques d’un véritable contrôle des déficits budgétaires. Dans ce cas, la proposition de Dominique Strauss-Kahn reviendrait à faire fonctionner une planche à billets supplémentaire, émettant une monnaie de plus, qui compléterait la panoplie des financements imaginaires de déficits illimités, emportant le monde dans une épouvantable glissade. Qui aura désormais le courage de s’arrêter en si mauvais chemin ?