Egalité et Réconciliation
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Une géopolitique de gribouille ne protégeant ni nos journalistes, ni même nos tombes !

par Jacques Borde

Q – On ne vous a guère entendu sur les derniers événements. Notamment sur ce qui est arrivé à nos confrères occidentaux ?

Jacques Borde – La première raison est que, j’ai eu quelques soucis de santé. Quant à ce qui est arrivé à nos confrères, ce sont, hélas, les aléas du métier de correspondant de guerre. C’est regrettable, mais inhérent au métier. Je note, également, que des centaines de personnes meurent tous les jours, victimes elles aussi d’accident du travail, sans que cela affecte outre-mesure le microcosme médiatique. Par ailleurs, comment ne pas noter qu’aux yeux de certains, il y a « journalistes » et « journalistes ». J’ai le souvenir, encore effaré, du mépris affiché par les media parisiens à l’égard des journalistes serbes et chinois tués lors des frappes aéroportées effectuées par l’Otan sur l’ambassade de Chine et sur les TV serbes. Sans parler des media libyens rasés eux aussi, à l’envie, lors des Guernica en série des armées de l’air occidentales…

Q – Un sujet rarement abordé : qui, initialement, est responsable des violences ?

Jacques Borde – Vaste sujet. Cela dépend de l’endroit dont on parle. En Libye, où les Contras libyens détiennent – ou plutôt se disputent entre factions rivales – les dépouilles opimes du kadhafisme, assurément, les principaux responsables de la violence sont, aujourd’hui, les factions armées que les raids indiscriminés de l’Otan ont porté au pouvoir. Quant au démarrage même de la Guerre de Libye, rappelons qu’il s’agit, initialement, d’un coup d’État raté déclenché par les Contras de Benghazi qui a fait tâche d’huile. Le reste, désolé, c’est de l’onanisme médiatique !

Quant à savoir qui fait quoi, on a, récemment, vu des images saisissantes de miliciens pro-occidentaux libyens en train de profaner (et de saccager) deux cimetières chrétiens, dans la région de Benghazi semble-t-il. Images révélées, à l’origine, par le Mail on Sunday. Vidéo que je dédie sans hésitation à tous ceux qui se demandent encore pourquoi les Syriens, dans leur majorité, ne veulent pas de tels gens aux commandes du pays !!!

Sans doute aussi parce que des télécoranistes comme le ô combien éclairé Cheikh al-Arour, proposent de « hacher les alaouites et de donner leur chair aux chiens »[1]. En passant, hacher menu les alaouites de la seule Syrie reviendrait à massacrer ad minimo autour de 2.300.000 personnes. Ce qui placerait le pieux Arour derrière un certain Hitler et devant le commandant du camp d’extermination d’Auschwitz, où ( si ma mémoire est bonne) l’actuel Premier ministre israélien, Binyamin Nétanyahu, s’était recueilli, lors de son premier mandat, devant une plaque commémorant plus de 1.500.000 victimes…

Q – Vous n’avez pas le sensation de noircir un peu trop le tableau ?

Jacques Borde – Dans ce cas-là, je ne suis pas le seul ! Pas plus tard qu’hier (vendredi 9 mars 2012) la commission d’enquête indépendante de l’Onu sur la Libye a indiqué qu’une liste d’individus soupçonnés d’avoir commis des crimes et/ou des violations des droits de l’Homme sera remise au Haut-commissariat de l’Onu aux droits de l’Homme. Elle accuse les Contras libyens d’exécutions sommaires, de tortures, de disparitions forcées, d’attaques et de pillages au cours de leur avancée vers Tripoli. Son président, le juge Philippe Kirsch, a présenté son rapport final au Conseil des droits de l’Homme onusien.

Q – J’ai noté, depuis un moment, votre refus de labelliser religieusement tel ou tel groupe. Vous ne les reliez pas au Salafisme, Wahhabisme ou tel autre courant ?

Jacques Borde – Non ! Parce que ces groupes ne sont pas représentatifs de courants religieux au demeurant respectables et qui ont beaucoup apporté à l’Islam[2] mais dont nos harpies takfiristes sont, à l’évidence, des déviances sectaires. Alors, oui, je sais bien que certains groupes se réclament du Salafisme ou de l’Ikhwan al-Muslimin[3]. J’ai bien envie de rappeler que leur fondateur et père spirituel, Hassan al-Banna, fut aussi l’un des créateurs du Groupe pour le Rapprochement entre les Écoles Juridiques Islamiques du Caire…

Concernant toujours al-Banna, on peut aussi citer ces propos de Robert Jackson : « Si cet homme vivait encore ou avait vécu plus longtemps, cette nation aurait accompli beaucoup de réalisations, surtout parce que Hassan al-Banna et l’Ayatollah al-Chirazi avaient convenu d’effacer le différend entre les chi’ites et les sunnites. Ces deux hommes s’étaient rencontrés effectivement en 1948, à Hijaz, et il semble qu’ils se soient mis d’accord sur un point principal. Mais Hassan al-Banna n’a pas tardé à être assassiné ». On se demande vraiment pourquoi !…

Quant aux penseurs de l’Islam. Je vous en citerai un au hasard : Cheikh Muhammad al-Ghazali, qui écrivait que « Bien que j’ai des opinions différentes de celles des chi’ites sur beaucoup de questions, je ne considère pas que mon opinion soit une religion ni que celui qui exprime une opinion différente de la mienne soit pêcheur. J’ai la même position vis-à-vis de toutes les opinions jurisprudentielles courantes chez les sunnites. (…) Lorsque nous abordons la jurisprudence comparée et vivons le désaccord provoqué par le différend jurisprudentiel entre un avis et un autre ou entre l’authentification d’un hadith ou sa mise en doute, nous remarquons que la distance qui sépare le Chi’isme du Sunnisme est identique à celle qui sépare l’école jurisprudentielle d’Abou Hanifa de celles de Malik ou d’al-Chafi’i »[4].

Il va donc sans dire que les diatribes de certains prédicateurs takfiristes, notamment à l’endroit des alaouites, ne sont rien d’autre que des divagations d’esprits égarés, mais surtout ignorants. Ce d’autant que la plupart d’entre eux n’ont pas les capacités théologiques (et encore moins les titulatures correspondantes) pour se prononcer ainsi en matière de dogme ou d’apostasie.

Quant au comportement à avoir en temps de guerre, le jus bellum est, contrairement à ce que peuvent croire certains, particulièrement élaboré en Islam. Et si le premier siècle de son histoire a connu une expansion territoriale, rappelons que ces temps étaient ceux où la conquête par les armes était une pratique universelle, et pas particulièrement musulmane. Mais cette conquête ne devait pas se faire sans règles. Comme en témoigne l’exhortation du premier Calife Abou-Bakr[5] à ses troupes : « Et bientôt vous allez passer près de peuples qui vivent en retraite dans des couvents, laissez-les vivre en paix dans leurs retraites ». Apparemment, nos dégénérés Contras libyens[6], profanateurs de tombes zélés, ont quelques lacunes en ce domaine ! A contrario du Hezbollah, qui, à la fin de l’été 2006, avait solennellement averti[7] que les communautés chrétiennes du Sud du pays, et tout particulièrement leurs moines, étaient placées sous la haute protection de la Résistance croyante et que tous ceux qui oseraient s’en prendre à elles auraient à le payer très cher. À bon entendeur…

Dernière horreur en date en Libye post-kadhafiste : des Contras libyens n’ont rien trouvé de mieux que de mettre des Libyens du Sud et des immigrés africains en… cage pour les humilier et les soumettre à des sévices variés. Nicolas Sarkozy avait promis aux Africains que la Françafrique, sous son quinquennat, laisserait la place à d’autres us et coutumes. Alors, comment couvrir de telles pratiques, en laissant leurs auteurs impunis ? La France n’avait-elle pas pris sur elle d’user de la force pour protéger les civils en Libye ? Ou serait-ce que pour l’Élysée et le Quai d’Orsay, il y aurait de « bons » ou de « mauvais » Libyens, selon leur couleur de peau ?

Mais, si j’en juge par certaines réactions à une affaire (bien trop) médiatisée, pour d’aucuns en France, il y aurait également de « bons » et de « mauvais » adeptes du djihâdisme ?

Q – Et, à qui donc, faites-vous allusion ?

Jacques Borde – Écoutez, c’est très simple ! Lorsque des Contras libyens et syriens, plus quelques télécoranistes particulièrement en verve :

1° Font l’apologie d’Al-Qaïda ;

2° Se revendiquent comme salafistes (ce qu’ils ne sont pas, à mon humble avis) ;

3° Et appellent à la haine des juifs, cela ne semble pas affoler grand-monde au Quai d’Orsay, ni dans notre bonne société civile française, d’ailleurs.

En revanche lorsque, de sa cellule, le chef du Gang des barbares, le triste Youssouf Fofana, fait de même, la mobilisation est immédiate…

Q – Il y a quand même des différences ?

Jacques Borde – Ah, bon ! Et lesquelles ? Personnellement, j’en note une seule (et de taille, il est vrai) Al-Qaïda apporte son soutien aux Contras libyens et syriens, y compris en mettant à leur disposition des cadres militaires. Pas à Youssouf Fofana. Du moins, pas à ma connaissance…

Pour rester sur le terrain des relations internationales, je ne pense pas qu’il soit judicieux de soutenir des tortionnaires et des assassins, comme la France le fait depuis quelques mois. C’est là un pari risqué sur un avenir incertain, c’est un vieux principe du jus bellum : les forces – qu’elles soit, militaires, paramilitaires, régulières ou irrégulières – sont comptables des désordres, massacres, pogroms, engendrés, induits ou subis suite à leur prise de contrôle du terrain.

Q – Dans quel sens ?

Jacques Borde – Je vais vous donner un exemple. Suite aux massacres de Sabra et Chatila perpétrés par des miliciens kataëb (tiens ! ceux de ce bon Dr. Geagea, groupie des Contras syriens) – alors même que Tsahal n’y a pris aucune part directe – ceux-ci ont pourtant provoqué au sein de l’establishment militaro-sécuritaire israélien une purge notable de ses cadres. À commencer par le patron de l’Agaf Ha’Modi’in (A’Man, les services secrets militaires), le major-général Yéoshua Saguy, en poste depuis février 1979, contraint au départ, en 1983, sur les recommandations de la Commission Kahane, pour, dixit, son « manque de discernement »[8]. Quant à Nahum Admoni, du Mossad, il sera épargné par la Commission Kahane qui ne demandera pas son départ mais conclura, malgré tout, que sa « responsabilité directe » dans les événements « était limitée ».

À ce jour, j’attends toujours le départ – fut-il sous forme de retraite anticipée – du moindre cadre, militaire ou politique d’un des pays de l’Axe atlantique co-responsables (outre des litanies de cadavres dues à leurs armées de l’air) de l’état des lieux actuel en Libye. Pas de commission d’enquête. Pas de mea culpa. Pas de remise en cause. Tout au contraire, des Rodomonte trépignant de rage suite à leurs faux pas répétés sur le dossier syrien. En termes de Renseignements, notamment…

Q – Et à qui faites-vous allusion ?

Jacques Borde – Très clairement à la France. En effet, si l’en en croit plusieurs sources – Thierry Meyssan, Al-Manar, The Daily Star, notamment – entre 13 et 19 membres des Services de Renseignements militaires français auraient été un temps – voire, pire, seraient encore – entre les mains des forces régulières syriennes. DIX-NEUF ! Bravo, quel exploit ! Heureusement qu’à Homs le fief des djihâdistes de marché est tombé, parce qu’à ce rythme, il aurait fallu affréter un charter pour rapatrier tout ce petit monde. Quoi qu’il en soit, les SR militaires français se sont trompés du tout au tout en Syrie. Mais pas seulement…

Peut-être n’en serait-on pas là, si le chef de l’État avait fait un peu de ménage dans ce que les Russes appellent les organes et ministères de force. Les chiens ne font pas des chats. Et les incapables encore moins des miracles ! À noter que, pour l’instant, cette présence (et capture) de membres des SR français n’a toujours pas été confirmée de manière officielle. Y compris à Moscou, où le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, a indiqué ne pas être en mesure de confirmer – ni d’infirmer, d’ailleurs – l’information. « Je tiens pourtant à souligner que nous sommes très préoccupés par l’aide apportée à l’opposition syrienne de l’étranger sous la forme de conseils, de renseignements et de livraisons d’armes », a-t-il déclaré. Un profil bas qui pourrait cependant s’expliquer par le fait que la Russie ait été approchée par Paris pour récupérer son personnel d’un genre un peu particulier…

Q – Selon vous, il n’y pas de contacts entre les SR français et syriens ?

Jacques Borde – Je ne suis pas dans le secret des dieux. Mais, je ne pense pas. Du moins pas à un niveau suffisamment élevé pour débloquer les choses. C’est dommage ! Ce d’autant que l’affaire de barbouzes tricolores aux mains des Syriens semble prendre quelque poids. Du moins à croire Stratfor[9] qui, rapporte Gilles Munier « a cautionné l’annonce faite par le quotidien de Beyrouth The Daily Star, qu’environ 13 officiers français ont été capturés à Homs et sont détenus dans un hôpital de campagne de l’armée syrienne[10]. Si l’information est confirmée – le conditionnel est toujours de rigueur – l’affaire serait d’une extrême gravité. La France n’ayant pas déclaré la guerre à la Syrie, ces militaires ne pourraient pas être considérés comme des prisonniers de guerre. Quel sort les autorités syriennes leur réserveraient-elles ? »

Q – Les contacts, c’est utile ?

Jacques Borde – C’est toujours utile. Les professionnels ont toujours intérêt à communiquer. Entre eux, en tout cas ! Voyez ce que vient de nous sortir Jeremyah Albert, sur JSSNews. Selon Stratfor, Israël aurait donné à la Russie « des codes de transcription de donnée » des drones que Jérusalem aurait vendu à Tbilissi. En retour, la Russie aurait offert aux israéliens les codes systèmes des missiles TOR-1, missiles antimissile, que Moscou a vendu à… Téhéran. Pour ce qui est de nos journalistes, les choses se sont arrangées d’elles-mêmes (ou presque) : l’ambassade de France a organisé son petit convoi que les Syriens ont eu la bonhommie de laisser passer. À quel prix, au fait ?

Q – Et, en Syrie, qui est responsable de la violence ?

Jacques Borde – Tout d’abord, les Contras syriens ! Ce sont eux qui ont pris les armes pour se soulever contre une administration centrale dont ils ont dramatiquement sous-évalué les capacités de réaction. Ensuite, tous les jean-foutre qui les ont poussé – tranquilles bien au chaud dans leurs bureaux (lobbies, « barbus », chancelleries, responsables politiques et médiatiques occidentaux, SR[11], etc.) – à prendre les armes. La guerre, c’est toujours facile quand ce sont les autres qui la font. Or, l’évidence commence à sauter aux yeux de nos pompiers-pyromanes, la Syrie ça n’est pas la Libye. Ne serait-ce que parce que Damas a une véritable armée. Plus de 200.000 hommes. Sans les conscrits, je veux dire…

Q – Et qui donc, selon-vous, se rend à cette « évidence »…

Jacques Borde – Les Arabes eux-mêmes. Ainsi, selon un homme politique syrien, le Dr. Mohammad Dirar Jemmo, cité par Al-Alam, une altercation aurait opposé le chef de l’adiplomatie française, Alain Juppé, à son homologue séoudien, Séoud Ibn-Fayçal Ibn-Abdelaziz al-Séoud, lors de la Conférence des Amis de la Syrie. Fayçal, qui s’était retiré de la Conférence, aurait insisté sur le fait de reconnaitre le Conseil National Syrien (CNS) comme le seul représentant du peuple syrien. Ce a quoi Juppé, embarrassé, lui aurait d’abord répondu que « Nous ne pouvons pas reconnaitre le CNS vu que nos soldats sont toujours en Syrie… Si on reconnait le CNS qui rapatriera nos soldats ? ». Quant on commence à se chamailler de la sorte entre alliés, la fin est souvent proche. Par ailleurs, les Émirats arabes unis ont, d’ores et déjà, pris leur distance sur le dossier syrien.

Q – Que faites-vous des accusations d’organisations internationales ?

Jacques Borde – Vous voulez sans doute parler des Nations-unies – le « machin » que vilipendait, à raison, le général ? Je leur accorde le crédit qu’elles méritent. C’est-à-dire pas grand-chose ! Pour le reste, je vous conseille de vous reporter à l’excellent papier de Julie Lévesque, sur Mondialisation. ca. Que nous dit-elle ?

Qu’in fine, « Le rapport de l’Onu et les reportages des media » qui « accusent les autorités syriennes de crimes contre l’humanité » le font « sans détenir beaucoup de preuves factuelles ». À l’évidence, « Ils accordent plus de crédibilité à des témoignages de l’opposition souvent impossibles à vérifier qu’à des données précises fournies par les autorités », ceci, « tout en ignorant le rôle des groupes armés dans le meurtre de civils et des forces de l’ordre ». Et, alors que les Contras syriens ont bien été, bel et bien, à l’origine de provocations armées récurrentes, ils persistent à parler de « manifestations pacifiques ». En outre, l’Onu affirme que le gouvernement syrien a « manifestement failli à son obligation de protéger sa population civile », mais :

1° N’aborde pas, comme le souligne Julie Lévesque, « de manière adéquate la question des groupes armés appuyés et financés par d’autres États qui demandent la résignation d’Assad ».

2° N’indique pas comment le même gouvernement doit faire pour ne pas faillir « à son obligation de protéger sa population civile », sans faire usage de la force inhérente aux pouvoirs publics pour rétablir le droit républicain dans des zones de non-droit tombées sous la coupe de djihâdistes armés, affichant motu proprio leurs intention de « hacher les alaouites et de donner leur chair aux chiens »[12]. Au bas mot, 11% à 12% de la population syrienne ! Sans parler des alaouites du Liban et de Turquie. Notamment, dans l’ancien Sandjak d’Alexandrette, littéralement volé à la Syrie, grâce à la complicité active du gouvernement… français – dirigée par par la même majorité parlementaire coloniale-socialiste, qui, par la suite votera les pleins pouvoirs à Pétain – plongeant la France dans la collaboration avec l’occupant hitlérien[13]…

En fait, « Comme ce fut le cas avec l’opposition libyenne, les États-Unis montrent qu’ils ont deux poids deux mesures dans la « guerre au terrorisme ». Alors qu’ils demandent à Assad de démissionner, ils admettent que l’opposition est appuyée par des organisations terroristes comme Al-Qaïda ». Organisation avec laquelle tout lien est, aux États-Unis, passible des foudres de la loi Patriot Act et du tout récent NDAA[14], dont va se servir l’administration US pour éliminer sans autre forme de procès des citoyens états-uniens en dissidence avec le pouvoir central…

Q – Que pensez-vous de la proposition de Nicolas Sarkozy d’ouvrir ce qu’il appelle des « zones humanitaires » ?

Jacques Borde – Drôle d’idée, en vérité. Encore de la géopolitique de gribouille ! Reprenons, voulez-vous, ce que propose le président français : que nous dit Nicolas Sarkozy ? Qu’il est « favorable à ce qu’au moins aux frontières de la Syrie, des zones humanitaires soient organisées pour qu’on puisse accueillir des gens qui sont persécutés par le régime syrien, qui doit partir ».

De toute évidence, le maître (pour combien de temps encore ?) de l’Élysée se prend pour celui du Levant, ou, pour le moins, pour celui de Baabda[15] ! Que je sache, c’est à l’administration libanaise – et à elle seule – de décider de ce qu’il convient de faire sur son sol. Or, Beyrouth qui a, déjà, dû nettoyer un bastion d’activistes armés pro-occidentaux œuvrant de concert avec les Contras syriens, dans le Akkar, n’a guère envie de refaire avec de pseudos-réfugiés de Syrie l’erreur historique de voir se recréer un Fatahland aux mains de djihâdistes armés, qui plus est, à la solde puissances étrangères. Et, réagissant aux injonctions français, le ministre libanais des Affaires étrangères, Adnane Mansour, rappelant que « nul ne peut dicter au Liban une attitude car il se comporte conformément à ses intérêts », a fait savoir à Paris qu’il n’était « pas question » de fournir un soutien à des éléments armés venant de Syrie, sur le territoire libanais, pour éviter « un nouveau camp Achraf au Liban »[16].

À moins que Sarkozy ne songe à implanter ces « zones humanitaires » en… Israël. Il serait intéressant de savoir ce que pense le Premier ministre israélien, Binyamin Nétanyahu, de cette brillante idée…

Reste, évidemment, la Turquie. Mais qui peut croire un instant que, compte tenu des inclinations radicales du Premier ministre truc, Reccep Tayyip Erdoğan, ces « zones » resteront longtemps simplement « humanitaires ». D’ailleurs, en dépit de son hostilité à peine déguisée contre Damas, je ne suis par certain que ce cher Erdoğan soit assez instable géopolitiquement pour choisir pareille voix. Au Levant, malheureusement, on ne sait au trop à quoi peuvent aboutir ces zones de non-droit !

Q – Mais que vont devenir ces réfugiés ?

Jacques Borde – Je pense que la plupart d’entre eux vont tout bonnement rentrer en Syrie. Ce qu’ils fuyaient, principalement, c’étaient les zones de non-droit mises en place par les Contras pro-occidentaux et, par là, une situation de guerre civile. Si retour au calme il y a, quelles raisons auront ces gens de ne pas rentrer chez eux…

Q – Que vous inspirent les récents propos du chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman, sur la Syrie ?

Jacques Borde – Vous faites allusion à ceux repris par Déborah Coen sur JSSNews, je suppose ? Pas grand-chose, à vrai dire. En fait, Lieberman, interrogé par Kol Israel, prend surtout en marche le train de l’indignation occidentale. Ça ne sert pas grand-chose. Le vin, amer, de l’insurrection ayant été tiré à Homs, et, en raison même de la disproportion entre les forces en présence, j’ai l’impression que la cause – ô combien discutable – de la Contra syrienne est un échec pour les âniers de l’Apocalypse que sont MM. Obama, Cameron, Sarkozy, etc.. Mais, surtout, la prose de M. Lieberman s’adresse aux Israéliens eux-mêmes, à qui il rappelle qu’ils ne peuvent que compter sur eux-mêmes. Que leur dit, en effet, Lieberman ? Que « l’incapacité des dirigeants internationaux et des travailleurs humanitaires pour subvenir aux besoins des victimes des tueries et des massacres d’innocents civils en Syrie montre que toutes les promesses de la communauté internationale concernant notre sécurité sont vaines, nulles et non avenues ».

Dans un autre entretien accordé à Galei Tsahal[17], le chef de la diplomatie israélienne se garde bien d’avoir un mot plus haut que l’autre et se contente d’appeler à « intervenir immédiatement en Syrie », mais « sur le plan humanitaire », car Israël « ne peut pas et ne doit pas agir seul, par contre, on pourrait apporter notre aide dans le cadre d’une action internationale ». Tout ça ne mange pas de pain et n’engage pas à grand-chose !

Pour le reste, le soufflé syrien semble retomber, au grand dam des milices pro-occidentales…

Q – Qu’est-ce à dire ?

Jacques Borde – Deux choses, Primo, concernant l’État hébreu, beaucoup d’entre de nos Contras syriens plaçaient beaucoup d’espoir dans les allées hiérosolymitaines pour les tirer d’affaire. Hélas pour eux – exceptées quelques livraison d’armes, et encore rien ne nous dit que ces matériels n’aient été, surtout, le fruit douteux des ingérences de factions libanaises – il semble bien que l’implication israélienne dans cette affaire syrienne a été des plus limitée…

Q – Pour vous, il s’agirait donc d’espoirs déçus ?

Jacques Borde – Oui, principalement. Côté Contras, le site Israël Today a confirmé leur volonté d’appeler Israël à les soutenir, voire à intervenir militairement sur le terrain pour les aider à renverser l’administration actuelle.

En effet, dans un entretien réalisé par Israël Today, un responsable de l’Armée libre syrienne (ALS), « un de ses plus éminents représentants en Europe », selon le site, lui a déclaré que « le peuple syrien n’oublierai jamais la bonté d’Israël à l’aider à renverser Assad ». Et de rassurer ses interlocuteurs : « .. vous êtes inquiets sur l’après-Assad ! Ne vous inquiétez pas… avec la chute d’Assad vous éliminer le maillon qui lie le Hezbollah avec l’Iran ! Non seulement vous vous débarrassez d’un ennemi mais aussi vous affaiblissez vos autres ennemis… »

Q – Cela va très loin…

Jacques Borde – Plus que beaucoup le croient. En effet, ça n’est pas tout ! Interrogé sur la question du Golan, le même individu affirme qu’« après le départ du régime du Ba’ath et de tous ceux qui sont au pouvoir qui refusent d’ouvrir des relations avec Israël, la question du Golan sera traitée différemment, elle subira un tournant majeur ! »

Rappelons donc simplement ceci : les parties syrienne et hiérosolymitaine n’ont signé aucun traité de paix et l’état de guerre, certes larvé, prévaut toujours entre elles. Notamment en raison de la question du Golan syrien. Par ailleurs, on voit mal ce qui pousserait un État hébreu, au mieux de sa forme militaire, à restituer le Golan à une bande d’extrémistes djihâdistes à la fiabilité douteuse, alors qu’il s’y est toujours refusé avec le front patriotique ba’athiste au pouvoir à Damas. En clair, les Contras syriens se reconnaissant dans les propos de ce responsable, pour autoproclamé qu’il soit, sont ipso facto des traîtres liant pacte avec l’ennemi de jure de la République arabe syrienne. De ce simple fait, ils sont passibles de la peine capitale pour haute trahison !

Q – Vous nous disiez : primo, il y a donc un secundo ?

Jacques Borde – Oui effectivement : Secundo, comme l’a écrit, assez justement, sur son blog Bruxelles-2 Nicolas Gros-Verheyde, « Face à la tournure qu’ont pris les évènements en Syrie (…) on aurait pu s’attendre à un peu plus de considération de la part des dirigeants européens. Quelques dizaines de minutes de conversation, en fin de Conseil européen, où quelques dirigeants s’expriment sur un ou deux points – comme la fermeture des ambassades – ne peuvent suffire à définir une politique étrangère ». « On aurait pu s’attendre également à un peu plus de solennité dans la condamnation du régime Assad. Par exemple, une déclaration commune, orale et télévisée, de plusieurs des dirigeants européens, en commun lançant un appel à Assad ».

Or, Nada, niente, bernique ! Et, poursuit Nicolas Gros-Verheyde , « Même sur la question humanitaire, un des chevaux de bataille de l’Union européenne d’ordinaire, il y a comme un trou d’air (…). L’Europe est, là, muette ».

Il est donc évident que les Européens restent plus que divisés sur le rôle à avoir sur la scène syrienne. Nicolas Gros-Verheyde a, d’ailleurs, posé la question à un représentant français, croisé dans un couloir du Sommet européen. Celui-ci a reconnu qu’« il y a deux conceptions de la politique étrangère. D’un coté, nous avons ceux comme Ashton qui estiment que l’action humanitaire suffit. Et de l’autre, ceux comme la France qui estiment qu’il doit y avoir un travail essentiellement politique et diplomatique. Pour nous, l’UE n’a pas vocation à remplacer le travail des organisations non gouvernementales ».

Fin de la première partie, pourrait-on dire…

Q – Mais la Chine a sensiblement évolué ?

Jacques Borde – Oui et non ! Beijing vient effectivement de proposer un plan de sortie de crise en six points (en fait, seuls quatre sont à prendre en compte) dont, certes, certaines conditions pourrait s’avérer embarrassantes pour Damas. Mais encore faudrait-il que les Contras syriens – qui restent des djihâdistes – et ceux qui les poussent (en clair Washington, Londres et Paris) en acceptent les termes. Or que demandent les Chinois ?

1° Que les parties concernées doivent « immédiatement, intégralement et sans condition » cesser tous les actes de violence, en particulier contre des civils innocents. Et que les diverses factions en Syrie devraient exprimer les aspirations politiques par des « moyens non violents ».

2° Que « Le gouvernement syrien et les différentes factions devraient (…) lancer immédiatement un dialogue politique inclusif sans conditions préalables fixées ou les résultats prédéterminés par l’intermédiaire de la médiation impartiale de (Kofi Annan) l’Envoyé spécial conjoint de l’Onu et la Ligue arabe, un accord sur une feuille de route complet et détaillé et un calendrier pour la réforme à travers la consultation et la mise en œuvre dès que possible d’un accord en vue de restaurer la stabilité nationale et l’ordre public ».

3° Que, certes, « La Chine soutient le rôle leader de l’Onu dans la coordination des efforts de secours humanitaires ». Mais « à condition de respecter la souveraineté de la Syrie » précisent les Chinois. « Nous nous opposons à toute personne de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Syrie sous le prétexte de question humanitaire ».

4° Car, ajoute Beijing, « Les parties concernées de la communauté internationale devrait sérieusement respecter l’indépendance, la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie et le droit du peuple syrien à choisir indépendamment son système politique (…). La Chine n’approuve pas de l’ingérence armée ou pousser à un « changement de régime » en Syrie, et croit que l’utilisation ou la menace de sanctions ne contribue pas à résoudre ce problème de manière appropriée ».

Pas besoin d’être devin pour s’apercevoir que ni les Occidentaux ni leurs djihâdistes-liges en Syrie n’ont l’intention de tenir le plus petit des engagements demandés par la diplomatie chinoise. Il y a donc de fortes chance pour que le plan chinois – pour équilibré qu’il soit – reste lettre morte.

Q – Doit-on s’attendre, par ailleurs, à un changement de braquet de la part de Moscou ?

Jacques Borde – Apparemment, non ! La Russie a averti l’Occident de ne pas se bercer d’illusions quant à un éventuel changement de politique à l’égard de Damas, après l’élection de Vladimir Poutine à la présidence russe – ce à la suite d’exigences indécentes en ce sens de la part de Washington et de l’Union européenne.

« Nous aimerions appeler nos partenaires américains et européens à ne pas prendre leurs désirs pour des réalités. La position russe sur la règlement du conflit en Syrie n’a jamais dépendu d’événements conjoncturels et ne se forme pas en fonction de cycles électoraux, contrairement à certains de nos collègues occidentaux » a, ainsi, fait savoir, un brin espiègle, le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué. À bon entendeur !…

[1] Sur la chaîne (séoudienne) Wissal TV.

[2] Pour ceux que le sujet intéresse, lire l’indispensable Islam, l’avenir de la Tradition entre révolution & occidentalisation, de Charles Saint-Prot, paru aux éditions du Rocher.

[3] Frères musulmans.

[4] In Comment comprendre l’Islam ?

[5] Le premier des califes – les califes rachidoun (bien inspirés) – ceux qu’aucun musulman, sunnite ou chi’ite, ne conteste.

[6] Idem pour leurs homologues syriens qui ont détruit des églises.

[7] Suite à quelques menaces de djihâdistes de marché sur Internet.

[8] Ce qui entraîna, conséquence peu courante dans les annales de Tsahal pour un officier de son rang, son départ définitif de l’armée.

[9] Firme de Renseignement privée US.

[10] Syria : 13 French Officers Being Held In Homs, Stratfor info (5 mars 2012)

[11] Responsabilité moindre que les autres, les SR ne font jamais que ce que leur commandent leurs autorités de tutelle.

[12] Propos diffusés, rappelons-le, sur la chaîne (séoudienne) Wissal TV.

[13] Là, lire l’indispensable Alexandrette, le « Munich » de l’Orient ou Quand la France capitulait, de Lucien Bitterlin, paru Éd. Jean Picollec, 1999.

[14] Le National Defense Authorization Act (NDAA).

[15] Palais présidentiel libanais.

[16] Une allusion au camp du Sazéman-é-Mujaheddin-e-Khalq-é-Iran (MeK, Organisation des Combattants du peuple iranien), en Irak.

[17] La radio de l’armée, Tsahal. Un excellent support, contrairement à ce que beaucoup pourraient croire.

 






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2 Commentaires

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  • Des choses intéressantes dans cet article mais je ferai deux remarques sur cet article de Jacques Borde, "gaulliste de gauche" que je généraliserai à la ligne EetR en général :
    1° - La gauche a bien été coloniale en Syrie : l’indépendance ayant été envisagée sous le Front Populaire et un traité élaboré en 1936, qui n’ a finalement jamais été ratifié par le Parlement - ajournant cette indépendance que les nationalistes arabes syriens espéraient obtenir de leurs contacts avec les socialistes et les communistes.
    Une précision d’importance : on sait que Léon Blum reçut la visite de Chaïm Weizmann visant à le dissuader d’accorder l’indépendance à la Syrie.
    Borde rappelle de plus avec justesse la saloperie qu’a été par cette même gauche le don du Sanjak d’Alexandrette à la Turquie pour s’attirer ses bonnes grâces.
    2° - Cependant en Syrie, la droite catholique-conservatrice comme gaulliste l’a été aussi. C’est ce catholique colonial qui méprisait tant l’islam qui inspira, le général Gouraud qui après avoir fait écraser les troupes de l’émir Faysal à Maysaloun en 1920 afin de tailler une colonie mandataire en Syrie pour la France, et enterrer le rêve d’un grand royaume syrien, posa le pied sur la tombe de Saladin à Damas et déclara : « Réveille-toi Saladin, nous sommes de retour. Ma présence ici consacre la victoire de la croix sur le croissant. »
    C’est le très catholique et droitier Robert de Caix qui imposa le charcutage de la Syrie afin de créer le Grand Liban sous domination maronite, en cette même année 1920.
    En 1925 ce n’est pas la gauche qui écrasa la révolution syrienne et fit bombarder Damas pendant deux jours (faisant plus de 1000 morts).
    Et ce sont bien les autorités dépendantes de la France Libre de de Gaulle qui bombardèrent de nouveau Damas en 1945 pour empêcher l’accession à l’indépendance et soumettre le Bloc National syrien (400 mots civils environ).

    Je sais gré à EetR et Soral de leur boulot et de leurs analyses en général et en particulier sur le mensonge antiraciste de la gauche (dont je suis issu), souvent occulté. Mais je remarque que parfois cela se fait en escamotant aussi une autre partie de l’histoire. C’est dommage !
    Malgré ça, soutien quand même au courageux Soral et à ses collègues.

    Un français, fils de syrien, sympathisant raisonné d’EetR

     

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