Dans un article mis en ligne vendredi 22 juillet sur son site, l’hebdomadaire L’Express constate, via l’AFP, que Bachar al-Assad résiste toujours à quatre mois de pression internationale mais aussi de contestation interne. C’est Nadera Bouazza, chercheuse à l’Institut français de géopolitique de l’Université Paris VIII et spécialiste de la Syrie, qui est chargée de donner des commencements d’explication à ce déconcertant phénomène politique proche-oriental.
Nadera Bouazza commence sa visite guidée de la Syrie bachariste par la capitale, qui « ne semble pas sombrer dans le chaos« . Diable ! Et L’Express d’asséner ces révélations déstabilisantes pour un journaliste franco-occidental et ses fidèles lecteurs : à Damas, « les magasins lèvent à nouveau leurs rideaux, les Damascènes consomment, se promènent et continuent à vivre« . Mais on comprend mieux cette attitude étrange quand on apprend que « Damas demeure un enchevêtrement de quartiers fidèles au régime ; des quartiers sunnites, ceux des minoritaires arméniens, chrétiens, druzes et alaouites« . Or, il faut savoir, expliquent l’hebdomadaire et Nadera Bouazza, que « la communauté, le clan et la famille ont toujours été les verrous du régime« .
Les Syriens ont plus peur du chaos que de Bachar !
Et il en va apparemment de Damas comme d’autres villes et régions syriennes. Alors L’Express, qui n »a consacré jusque-là à la crise syrienne que des articles empreints de la traditionnelle vulgate anti-Bachar, pose à notre chercheuse LA question : « Comment expliquer le soutien, passif ou actif, du régime par une partie de la population ? » « Car, ajoute-t-il, ce soutien existe, malgré sa faible médiatisation dans les médias occidentaux« (en français, on appelle ça une litote, Ndlr).
Oui, comment, au fait ? Eh bien c’est grâce à une addition de soutiens raisonnés : d’abord »les privilégiés du régime, des élites d’Etat à la bourgeoisie dorée« . Jusque-là rien de très surprenant. Mais Bachar et son régime peuvent compter aussi sur les minorités, qui sont « convaincues que celui-ci est le dernier rempart contre l’islamisation du pays et la guerre civile. » A ce stade, L’Express convoque un autre chercheur, Thomas Pierret, chercheur en sciences politiques à Berlin, qui renchérit sur Nadera Bouazza, et apporte cette précision d’ordre sociologique : Beaucoup, parmi les soutiens alaouites et sunnites du régime, loin d’être des privilégiés ou des « bourgeois dorés », sont pauvres. Et « ils pensent que l’alternative ne pourrait être que pire pour leur communauté ».
La peur du chaos serait donc le premier argument pro-Bachar, et l’exemple si proche de l’Irak a défavorablement impressionné les Syriens – qui ont d’ailleurs accueilli, depuis 2003, plus d’un million de réfugiés irakiens. Ajoutez à cela qu’en Syrie même, Le père de l’actuel président, Hafez el-Assad, a mis fin à une succession de coups d’Etat. En un mot comme en cent, le nom d’Assad est synonyme, pour une majorité de Syriens, de « stabilité ». En outre, fait remarquer Nadera Bouazza, les Syriens dans leur ensemble sont « attachés à la souveraineté de leur pays et hostiles à toute ingérence étrangère, qu’elles viennent des opposants syriens de l’extérieur ou des pays occidentaux. » Dans ces conditions « ethno-psychologiques », conclut madame Bouazza, « le discours à l’extérieur n’a que très peu d’impact à l’intérieur du pays. »
De la propagande à l’analyse
Tout finit par se dire, même dans les colonnes d’un news magazine français, il suffit juste de donner un peu de temps (4 mois) au temps ! On accordera à Infosyrie.fr d’avoir répété peu ou prou ces évidences avant qu’un média « sérieux » comme L’Express confirme – à regret – leur validité.
Bien sûr, dans la deuxième partie de son article, L’Express dissèque la stratégie – forcément machiavélique – du régime baasiste pour se maintenir au pouvoir : en premier lieu, la répression brutale bien sûr – et elle existe, mais est très souvent la réponse à des provocations violentes voire meurtrières ; ensuite, comme on vient de le voir, la manipulation des minorités religieuses pour diviser la population – mais les dites minorités et même pas mal de sunnites sont conscients que des extrémistes islamistes – assez organisés – rêvent pour la Syrie d’une théocratie salafiste où ils n’auraient guère de place et d’avenir. Et à ce propos Nadera Bouazza ne peut que conclure : « Les minorités confessionnelles ont donc réaffirmé leur appui au régime car les représentations de menaces sont là, avant même que Bachar al-Assad ne les réactive pour contrer les manifestations. » Sauf que, d’après ce qu’on vient de lire plus haut dans l’article, Bachar n’a bnul besoin de « réactiver » des menaces bien réelles, et bien intégrées par la population.
Bref, la « grande presse » – ou du moins L’Express – est obligée de revenir, progressivement et partiellement, à la réalité, après quatre mois de sensationnalisme manichéen. Une véritable révolution culturelle pour elle, tant il est vrai que seule la vérité est révolutionnaire.