Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Un rapport accablant sur le Proche-Orient

Un texte qui fera date. De par la qualité de son signataire et de par la substance de son contenu. Le Péruvien Alvaro de Soto, coordinateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Proche-Orient a remis son dernier rapport au secrétaire général de l’ONU le 5 mai, avant de quitter la scène professionnelle. Dans ce texte, véritable brûlot politique, celui qui quitte les Nations unies après vingt-cinq ans de bons et loyaux services, « se lâche », comme nous le dit un diplomate belge. Mais ses remarques sévères pour les Etats-Unis, les Nations unies et Israël n’étaient pas destinées à publication. Il est revenu à notre confrère britannique The Guardian, de révéler l’existence de ce rapport de 53 pages en anglais et de le diffuser sur internet (Télécharger le rapport).

Ce « rapport de fin de mission » énumère des constats additionnés tout au long des deux dernières années par un acteur de premier plan de la scène diplomatique proche-orientale. Les deux années en question, de septembre 2005 à mai 2007, ont été riches en événements : retrait unilatéral d’Israël de Gaza, victoire du Hamas aux élections de janvier 2006, boycott subséquent du gouvernement palestinien islamiste par Israël et la communauté internationale, guerre du Liban à l’été dernier, mise en place d’un gouvernement palestinien d’unité nationale en mars 2007 et maintien du siège international. Les observations du diplomate onusien aident à expliquer comment les choses ont évolué jusqu’à la dramatique situation actuelle.

En bref, comme le résume The Gardian, Alvaro de Soto, estime que le boycott international imposé aux Palestiniens a été « au mieux d’extrême courte vue » et a eu « des conséquences dévastatrices pour le peuple palestinien ». Israël de son côté « a adopté une attitude essentiellement de refus envers les Palestiniens ». Les agissements des négociateurs du Quartet (Etats-Unis, Union européenne, Russie et ONU) se sont transformés en « spectacle secondaire ». Quant aux Palestiniens, leur engagement à mettre fin aux violence est « au mieux imparfait, au pire répréhensible ».

Des jugements très lourds surgissent çà et là dans le texte. « Les mesures prises par la communauté internationale dans le but espéré de promouvoir une entité palestinienne qui vivrait en paix avec son voisin israélien ont eu précisément l’effet inverse », écrit de Soto par exemple. Ou encore : « L’impartialité est devenue soumission à la politique américaine, NDLR d’une manière sans précédent au début de 2007 ».

Cette soumission est notamment lisible, explique-t-il, dans l’attitude du Quartet par rapport au gel par Israël des transferts de taxes effectués en faveur de l’Autorité palestinienne : « Le Quartet s’est vu interdire de se prononcer sur le sujet parce que les Etats-Unis, comme ses représentants nous l’ont signifié, ne souhaitent pas
qu’Israël transfère ces fonds à l’AP ».

L’ex-envoyé spécial de l’ONU regrette d’ailleurs la politique de siège imposé au Hamas : « Le Hamas évoluait et pouvait encore le faire et nous devions l’encourager dans cette évolution, de sorte qu’un dialogue puisse s’instaurer dans lequel l’ONU aurait eu un rôle à jouer ».

Ce siège existe car les conditions posées au Hamas - reconnaissance d’Israël, renonciation à la violence et respect des accords antérieurs conclu par l’OLP - ne sont remplies : à ce propos, de Sotos critique les Etats-Unis et Israël « réfugiés dans une position de rejet, dont ils sont prisonniers, en insistant sur des préconditions dont on sait qu’elles ne sont pas réalisables ».

L’Europe, à son tour, en prend pour son grade : « Les eurocrates ont réalisé qu’ils avaient dépensé plus d’argent en boycottant l’Autorité palestinienne que lorsqu’ils la soutenaient et qu’en la contournant cela n’a pas permis de la consolider, mais que cet argent a été investi à fonds perdu ».

De Soto n’épargne pas les Nations unies : « Quasiment à tout moment, l’accent est mis sur les bonnes relations avec les Etats-Unis et sur l’amélioration des relations de l’ONU avec Israël, constate-t-il encore. Il y a un réflexe apparent, dans chaque situation où l’ONU doit prendre position, de se demander d’abord comment Israël ou Washington réagiront, plutôt que se demander quelle est la bonne position à adopter ».

La langue de bois, on le voit, ne transpire pas dans ce rapport « secret » : « Je ne crois pas, honnêtement, continue-t-il, que l’ONU fasse à Israël la moindre faveur en ne lui parlant pas franchement de ses erreurs dans le processus de paix. Nous ne sommes pas un ami d’Israël si nous permettons à ce pays de se satisfaire que les
Palestiniens soient les seuls à blâmer ou que ce pays puisse, avec légèreté, continuer à ignorer ses obligations liées aux accords passés, sans payer un prix diplomatique à court terme et un prix beaucoup plus élevé en matière d’identité et de sécurité à plus long terme ». Et plus loin : « Je me demande si les autorités israéliennes
réalisent qu’elles récoltent ce qu’elles sèment, et elles encouragent systématiquement le cycle violence-répression au point qu’il se reproduit de lui-même ».

Il y a pire encore. Alvaro de Sotos reproche aux Etats-Unis d’avoir « poussé à une confrontation entre le Hamas et le Fatah », et il cite un diplomate américain qui lui confie « J’aime cette violence », alors les heurts palestiniens fratricides se développent.

Mercredi à New York, une porte-parole du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a déclaré qu’il était « profondément regrettable » que ce rapport ait été publié dans la presse, et a précisé que « les points de vue contenus dans le rapport ne devraient pas être considérés comme la politique officielle de l’ONU ». De Soto n’aura sans doute pas été surpris par cette réaction.



Loos Baudouin

Source : http://www.lesoir.be