Plus un ! De plus en plus d’économistes prennent position pour un démontage de la monnaie unique européenne. C’est au tour de l’ancien ministre des finances du Brésil, Luiz Carlos Bresser-Pereira, plusieurs fois en poste dans les années 1980 et 1990 dans un entretien au Monde.
L’euro vu d’Amérique du Sud
Comme Jacques Sapir, l’ancien ministre attribue aux déséquilibres des balances des paiements la cause de la crise de la zone euro. Il dénonce « la doctrine libérale voulant que le secteur privé soit toujours équilibré par le marché ». Pour lui, « cela a abouti à une crise de taux de change interne à la zone euro, avec un euro surévalué pour les pays aujourd’hui en difficulté ». Il souligne la responsabilité de la baisse du coût du travail en Allemagne et de la bulle financière ailleurs.
Pour lui, « l’euro est devenu une monnaie étrangère pour un grand nombre de nations de l’Union monétaire. Il n’y a rien de pire que d’être endetté dans une monnaie étrangère. Dans le cas inverse, votre souveraineté peut être préservée, principalement en dévaluant votre monnaie ». Selon l’ancien ministre, « la croissance ne résoudrait pas les problèmes de taux de change affectant certains pays » et « l’austérité est une façon très injuste de résoudre la crise ».
Il conclut que « la voie la plus sage est de mettre fin à l’euro de façon bien planifiée », comme dans la tribune cosignée fin décembre. Pour lui, « l’euro était trop ambitieux », « une monnaie commune ne peut exister que dans un Etat fédéral (…) si vous persistez à maintenir en vie l’euro, la probabilité de le voir s’effondrer de façon incontrôlée grossit de jour en jour (…) Croire que l’extinction de l’euro marquerait la fin de l’Union Européenne est absurde. Elle marchait très bien avant ».
Les euro-sceptiques monétaires
Ce qui est intéressant dans cette opinion, c’est qu’il s’agit d’une personne qui admire la construction européenne. Malgré tout, il reste même favorable à une monnaie unique européenne, mais pour lui, le temps n’est pas venu. Il est trop tôt. Pour lui, « une devise commune doit rester le but de la construction européenne ». Même si je ne suis pas d’accord avec lui sur ce point, il est intéressant de noter que cette opinion n’émane pas d’un anti-européen farouche…
Cette opinion rejoint celle de Paul Krugman, qui consacre tout un chapitre sur la question européenne dans son nouveau livre, qui devrait sortir en septembre en version française. Le « prix Nobel d’économie » 2008 émet un jugement extrêmement sévère sur l’unification monétaire européenne, soulignant que c’est bien cette unification qui a directement provoqué la crise que nous traversons depuis 2010, et non pas les dettes souveraines, comme le répètent les perroquets austéritaires.
Malgré tout, il faut être honnête, Paul Krugman n’en est pas à appeler à un démontage de la monnaie unique européenne. Mais ce livre constitue une charge extrêmement solide et structurée contre l’UEM qui peut être une étape vers une position plus forte. En ce sens, ses positions rappellent celles de Joseph Stiglitz ou Patrick Artus, qui fournissent énormément d’arguments aux opposants de la monnaie unique européenne, sans pour autant oser franchir le Rubicon.
Merci donc à Luiz Carlos Bresser-Pereira qui s’ajoute à la longue liste des économistes sérieux qui disent qu’il faut démonter cette monnaie unique européenne qui ne fonctionne pas. Et merci au Monde d’avoir ouvert ses pages à un avis qui va pourtant contre sa ligne éditoriale.